Extrait "En somme, je vais parler de ceux que j'aimais", Ă©crit Albert Camus dans une note pour Le premier homme. Le projet de ce roman auquel il travaillait Lire la suite. 8,40 € Neuf. Poche 8,40 € Ebook 5,99 € Grand format 23,00 € Livre audio 21,90 € Voir tous les.
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 Le festin terminĂ©, plaisir et frustration aussitĂŽt oubliĂ©s, c’était la course vers l’extrĂ©mitĂ© ouest de la plage, sous le dur soleil, jusqu’à une maçonnerie Ă  demi dĂ©truite qui avait dĂ» servir de fondation Ă  un cabanon disparu et derriĂšre laquelle on pouvait se dĂ©shabiller. En quelques secondes, ils 15 Ă©taient nus, l’instant d’aprĂšs dans l’eau, nageant vigoureusement et maladroitement, s’exclamant, bavant et recrachant, se dĂ©fiant Ă  des plongeons ou Ă  qui resterait le plus longtemps sous l’eau. La mer Ă©tait douce, tiĂšde, le soleil lĂ©ger maintenant sur les tĂȘtes mouillĂ©es, et la gloire de la lumiĂšre emplissait ces jeunes corps d’une joie qui les faisait crier sans arrĂȘt. Ils rĂ©gnaient sur la vie et sur la mer, et ce que le monde peut donner de plus 20 fastueux2, ils le recevaient et en usaient sans mesure, comme des seigneurs assurĂ©s de leurs richesses irremplaçables. Ils en oubliaient mĂȘme l’heure, courant de la plage Ă  la mer, sĂ©chant sur le sable l’eau salĂ©e qui les faisait visqueux, puis lavant dans la mer le sable qui les habillait de gris. Ils couraient, et les martinets3 avec des cris rapides commençaient de voler plus bas au-dessus 25 des fabriques et de la plage. Le ciel, vidĂ© de la touffeur4 du jour, devenait plus pur puis verdissait, la lumiĂšre se dĂ©tendait et, de l’autre cĂŽtĂ© du golfe, la courbe des maisons et de la ville, noyĂ©e jusque-lĂ  dans une sorte de brume, devenait plus distincte. Il faisait encore jour, mais des lampes s’allumaient dĂ©jĂ  en prĂ©vision du rapide crĂ©puscule d’Afrique. Pierre, gĂ©nĂ©ralement, Ă©tait le premier Ă  donner le signal Il est tard », et aussitĂŽt, c’était la 30 dĂ©bandade, l’adieu rapide. Jacques avec Joseph et Jean couraient vers leurs maisons sans se soucier des autres. Ils galopaient hors de souffle. La mĂšre de Joseph avait la main leste5. Quant Ă  la grand-mĂšre de Jacques
 Albert Camus, Le Premier Homme, 1994 le corrigĂ© de Français du DNB 2019 Extrait du corrigĂ© PREMIERE PARTIE Grammaire et compĂ©tences linguistiques / ComprĂ©hension et compĂ©tences d’interprĂ©tation1. Lignes 7-8 L’usage Ă©tait alors qu’il offrĂźt une frite Ă  chacun de ses camarades, qui savourait religieusement l’unique friandise chaude et parfumĂ©e d’huile forte qu’il leur laissait. »a. Quel est le groupe complĂ©ment d’objet de savourait » ? COD l’unique friandise chaude et parfumĂ©e »b. Réécrivez la phrase en le remplaçant par un pronom qui la savourait »c. Relevez deux expansions du nom friandise » de nature grammaticale diffĂ©rente. unique », chaude » adjectifs ; parfumĂ©e » participe passĂ© ; qu’il leur laissait » subordonnĂ©e relative2. Lignes 12-13 Le festin terminĂ©, plaisir et frustration aussitĂŽt oubliĂ©s, c’était la course vers l’extrĂ©mitĂ© ouest de la plage ». Remplacez les deux groupes soulignĂ©s par deux propositions subordonnĂ©es conjonctives complĂ©ments circonstanciels de temps Quand le festin Ă©tait terminĂ©, alors que plaisir et frustration Ă©taient aussitĂŽt oubliĂ©s »3. Si par hasard l’un d’entre eux avait la piĂšce nĂ©cessaire, il achetait un cornet, avançait gravement vers la plage, suivi du cortĂšge respectueux des camarades et, [
], plantant ses pieds dans le sable, il se laissait tomber ses les fesses, portant d’une main son cornet bien vertical et le couvrant de l’autre. »RĂ©crivez ce passage en remplaçant l’un d’entre eux » par deux d’entre eux ». Faites toutes les modifications nĂ©cessaires. Si par hasard deux d’entre eux avaient la piĂšce nĂ©cessaire, ils achetaient un cornet, avançaient gravement vers la plage, suivis du cortĂšge respectueux des camarades et, [
], plantant leurs pieds dans le sable, ils se laissaient tomber sur les fesses, portant d’une main leur cornet bien vertical et le couvrant de l’autre. le sujet de Français du DNB 2018 Extrait du sujet La scĂšne se dĂ©roule, aprĂšs la seconde guerre mondiale, dans la ville de BlĂ©mont qui a subi d’importantes destructions. LĂ©opold s’assura que la troisiĂšme Ă©tait au complet. Ils Ă©taient douze Ă©lĂšves, quatre filles et huit garçons qui tournaient le dos au comptoir. Tandis que le professeur gagnait sa place au fond de la salle, le patron alla retirer le bec de cane Ă  la porte d’entrĂ©e afin de s’assurer contre toute intrusion. Revenu Ă  son zinc, il but encore un coup de vin blanc et s’assit sur un tabouret. En face de lui le professeur Didier s’était installĂ© Ă  5 sa table sous une rĂ©clame d’apĂ©ritif accrochĂ©e au mur. Il ouvrit un cahier, jeta un coup d’oeil sur la classe de troisiĂšme et dit – Hautemain, se pencha sur son siĂšge pour voir l’élĂšve Hautemain que lui dissimulait la poutre Ă©tayant le plafond. La voix un peu hĂ©sitante, Hautemain commença Seigneur, que faites-vous, et que dira la GrĂšce ?Faut-il qu’un si grand coeur montre tant de faiblesse ?– Asseyez-vous, dit le professeur lorsque Hautemain eut fini. notait avec indulgence. Estimant que la plupart de ces enfants vivaient et travaillaient dans des conditions pĂ©nibles, il voulait les encourager et souhaitait que l’école, autant que possible, leur offrĂźt les sourires que leur refusait trop souvent une existence son zinc, LĂ©opold suivait la rĂ©citation des Ă©coliers en remuant les lĂšvres et avalait anxieusement sa salive lorsqu’il sentait hĂ©siter ou trĂ©bucher la mĂ©moire du rĂ©citant. Son grand regret, qu’il n’oserait jamais confier Ă  M. Didier, Ă©tait de ne participer Ă  ces exercices qu’en simple tĂ©moin. LĂ©opold eĂ»t aimĂ© rĂ©citer, lui aussi le corrigĂ© de Français du DNB 2018 Extrait du corrigĂ© 1. OĂč se dĂ©roule la scĂšne ? Qui est LĂ©opold ? Pourquoi la situation prĂ©sentĂ©e peut-elle surprendre ? Justifiez votre rĂ©ponse. 4 pointsLa scĂšne se dĂ©roule dans un cafĂ© LĂ©opold est le patron » ligne 3 et se trouve Ă  son zinc » ligne 4 qui est le comptoir du cafĂ©, dont on remarque la dĂ©coration typique une rĂ©clame d’apĂ©ritif accrochĂ©e au mur » ligne 6. La situation prĂ©sentĂ©e peut surprendre, car le maĂźtre s’est installĂ© lĂ  pour y faire la classe le professeur Didier [
] ouvrit un cahier, jeta un coup d’Ɠil sur la classe de troisiĂšme. » ligne 7. On peut trouver une explication dans le paratexte, qui nous prĂ©cise le contexte de seconde guerre mondiale il est donc probable que l’école ait Ă©tĂ© dĂ©truite par les bombardements puisqu’il y est fait Ă©tat d’importantes destructions », et que les cours doivent prendre place dans le Lignes 9 Ă  20 Comment se manifeste l’intĂ©rĂȘt de LĂ©opold pour le cours du professeur Didier ? DĂ©veloppez votre rĂ©ponse en vous appuyant sur trois Ă©lĂ©ments significatifs. 6 pointsL’intĂ©rĂȘt de LĂ©opold se manifeste d’abord par son attention au bon ordre des choses LĂ©opold s’assura que la troisiĂšme Ă©tait au complet » ligne 1, le patron alla retirer le bec de cane Ă  la porte d’entrĂ©e afin de s’assurer contre toute intrusion » ligne 4 ; les clients pourraient dĂ©ranger le cours le terme intrusion » n’est pas neutre, ce qui est un comble pour un commerçant
 Ensuite, il est attentif comme au spectacle, il s’assit sur un tabouret » ligne 5, puis lorsque l’élĂšve Hautemain prend la parole il se pencha sur son siĂšge pour [le] voir » ligne 9. le sujet de Français du DNB 2017 Extrait du sujet A. Texte littĂ©raire Giono a dĂ©cidĂ© de vivre Ă  la campagne, au plus prĂšs de la nature. NĂ©anmoins, il va parfois Ă  Paris. Il Ă©voque ici son expĂ©rience de la ville. 1 Quand le soir vient, je monte du cĂŽtĂ© de Belleville. A l’angle de la rue de Belleville 2 et de la rue dĂ©serte, blĂȘme et tordue, dans laquelle se trouve La Bellevilloise, je connais un petit restaurant oĂč je prends mon repas du soir. Je vais Ă  pied. Je me sens tout dĂ©paysĂ© par la duretĂ© du trottoir et le balancement des hanches qu’il faut avoir pour Ă©viter ceux qui vous frĂŽlent. Je marche vite et je dĂ©passe les gens qui vont dans ma direction ; mais quand je les ai dĂ©passĂ©s, je ne sais plus que faire, ni pourquoi je les ai dĂ©passĂ©s, car c’est exactement la mĂȘme foule, la mĂȘme gĂȘne, les mĂȘmes gens toujours Ă  dĂ©passer sans jamais trouver devant moi d’espaces libres. Alors, je romps mon pas et 3 je reste nonchalant dans la foule. Mais ce qui vient d’elle Ă  moi n’est pas sympathique. Je suis en prĂ©sence d’une anonyme crĂ©ation des forces dĂ©sĂ©quilibrĂ©es de l’homme. Cette foule n’est emportĂ©e par rien d’unanime. Elle est un conglomĂ©ratde mille soucis, de peines, de joies, de fatigues, de dĂ©sirs extrĂȘmement personnels. Ce n’est pas un corps organisĂ©, c’est un entassement, il ne peut y avoir aucune amitiĂ© entre elle, collective, et moi. Il ne peut y avoir d’amitiĂ© qu’entre des parties d’elle-mĂȘme et moi, des morceaux de cette foule, des hommes ou des femmes. Mais alors, j’ai avantage Ă  les rencontrer seuls et cette foule est lĂ  seulement pour me gĂȘner. Le premier geste qu’on aurait si on rencontrait un ami serait de le tirer de lĂ  jusqu’à la rive, jusqu’à la terrasse du cafĂ©, l’encoignure de la porte, pour avoir enfin la joie de vĂ©ritablement le rencontrer.[
] De tous ces gens-lĂ  qui m’entourent, m’emportent, me heurtent et me poussent, 4 de cette foule parisienne qui coule, me contenant sur les trottoirs devant. La Samaritaine, combien seraient capables de recommencer les gestes essentiels de la vie s’ils se trouvaient demain Ă  l’aube dans un monde nu ? Qui saurait orienter son foyer en plein air et faire du feu ? Qui saurait reconnaĂźtre et trier parmi les plantes vĂ©nĂ©neuses les nourriciĂšres comme l’épinard sauvage, la carotte sauvage, le navet des montagnes, le chou des pĂąturages ? Qui saurait tisser l’étoffe ? Qui saurait trouver les sucs pour faire le cuir ? Qui saurait Ă©corcher un chevreau ? Qui saurait tanner la peau ? Qui saurait vivre ? Ah ! c’est maintenant que le mot dĂ©signe enfin la chose ! Je vois ce qu’ils savent faire ils savent prendre l’autobus et le mĂ©tro. Ils savent arrĂȘter un taxi, traverser une rue, commander un garçon de cafĂ© ; ils le font lĂ  tout autour de moi avec une aisance qui me dĂ©concerte et m’ Giono,Les Vraies Richesses, 1936 le corrigĂ© de Français du DNB 2017 Extrait du corrigĂ© Questions 20 pointsLes rĂ©ponses aux questions doivent ĂȘtre entiĂšrement le texte littĂ©raire document A1. En vous appuyant sur le premier paragraphe, expliquez la formule du narrateur Je me sens tout dĂ©paysĂ© » lignes 3-4. 2 pointsLe narrateur ne va Ă  Paris que rarement le paratexte nous informe qu’il habite dĂ©sormais Ă  la campagne. La ville, et a fortiori Paris, reprĂ©sente donc le contraire de ce dont il a l’habitude duretĂ© du trottoir » s’oppose aux chemins de campagne, ceux qui vous frĂŽlent » montre le rĂ©trĂ©cissement de l’espace dont il est coutumier. Sorti de ses habitudes, il est hors de son pays », donc a-Quel est ici le sens du mot entassement » ligne 13 ? Trouvez un synonyme de ce nom dans les lignes qui prĂ©cĂšdent. b- Elle est 
 personnels. » Lignes 11-12 quel est le procĂ©dĂ© d’écriture utilisĂ© dans cette phrase ?c-En vous appuyant sur vos deux rĂ©ponses prĂ©cĂ©dentes, expliquez comment le narrateur perçoit la foule. 4 points Entassement » signifie ce qui est mis en tas, accumulation ; il est synonyme de conglomĂ©rat » ligne 11. Ici, cela signifie que la foule n’est pas un ensemble unanime », mais un conglomĂ©rat », une addition de gens oĂč toutes les individualitĂ©s s’ajoutent sans s’unifier ni se fondre dans une vĂ©ritable union. Pour le narrateur, c’est un rassemblement de solitudes qui demeurent individuelles. Il le symbolise par la figure de style de l’accumulation car les sentiments divers s’ajoutent de mĂȘme les uns aux autres sans se confondre. le sujet de Français du DNB 2016 Extrait du sujet PrĂ©sentez prĂ©cisĂ©ment la situation du narrateur. 1,5 point 2. a Qu’est-ce qui attire l’attention du narrateur ? Pour quelles raisons ? b Comment le texte crĂ©e-t-il un effet d’obsession ? Justifiez votre rĂ©ponse en vous appuyant le corrigĂ© de Français du DNB 2016 Extrait du corrigĂ© Le narrateur est dans une tranchĂ©e boueuse, de nuit, durant la 1Ăšre guerre mondiale. Il est abritĂ© sous des planches et il croit qu’il se met Ă  pleuvoir. Dans cet enfer, il Ă©prouve le besoin presque spontanĂ© de se rattacher Ă  ce qui contribue Ă  la grandeur de l’homme et qu’on aurait tendance Ă  oublier dans ces circonstances l’art, et en particulier la poĂ©sie. C’est aussi pour lui un refuge dans ce qui lui est fam le sujet de français du Brevet des collĂšges 2015 Extrait du sujet QUESTIONS 15 points1. Deux lieux sont distinguĂ©s. En vous appuyant sur des Ă©lĂ©ments prĂ©cis du texte, vous montrerez ce qui les Il Ă©tait [
] un parc » ligne 10a Quelle remarque pouvez-vous faire sur cette construction grammaticale ?b A quel genre narratif vous fait-elle penser ?3. Montrez en vous appuyant sur des exemples prĂ©cis des lignes 10 Ă  21 que l’évocation des souvenirs ravive les sensations du enchantements de ma mĂ©moire » ligne 9a Comment le nom enchantement » est-il formĂ© ?b Quels sens donnez-vous ici Ă  ce mot ? le corrigĂ© de français du Brevet des collĂšges 2015 Extrait du corrigĂ© 2015 QUESTIONS1 Deux lieux sont distinguĂ©s. En vous appuyant sur des Ă©lĂ©ments prĂ©cis du texte, vous montrerez ce qui les oppose. /2Deux lieux sont en effet distinguĂ©s la mĂ©moire et la rĂ©alitĂ©. La mĂ©moire est le lieu oĂč le narrateur se rĂ©fugie pour fuir sa condition prĂ©sente, oĂč il est perdu dans le dĂ©sert je n’étais rien qu’un monde Ă©garĂ© entre du sable et des Ă©toiles », l. 2, un monde froid oĂč il se sent vulnĂ©rable ici, je ne possĂ©dais plus rien au monde », l. 1 ; la mĂ©moire est pour lui un refuge, par le rĂ©confort presque magique que lui offre sa maison d’enfance une vieille maison que j’aimais », l. 11 dans ses souvenirs enchantements de ma mĂ©moire », l. 9.2 Il Ă©tait un parc » l. 10A – Quelle remarque pouvez-vous faire sur cette construction grammaticale ? /1 C’est une construction impersonnelle il » est un sujet grammatical mais ne dĂ©signe aucune rĂ©alitĂ© ; un parc » est le sujet rĂ©el.
LesrĂ©sultats de l’épreuve du brevet seront donnĂ©s le 11 juillet. Ci-dessous, vous pouvez retrouver le corrigĂ© de la dictĂ©e, en cliquant sur le bouton “Afficher”.
BND/Sujet et corrigĂ© Français – Brevet des collĂšges – Vous voulez savoir si vous avez rĂ©ussi votre Ă©preuve de français du Brevet des collĂšges DNB 2021 ? DĂšs votre sortie de la salle d’examen, tĂ©lĂ©chargez gratuitement et d’un simple clic, le corrigĂ© qu’un enseignant aura rĂ©alisĂ© en mĂȘme temps que vous ! Extrait du sujet Lors de la dictĂ©e, on procĂ©dera successivement 1. Ă  une lecture prĂ©alable, lente et bien articulĂ©e du texte ;2. Ă  la dictĂ©e effective du texte, en prĂ©cisant la ponctuation et en marquant nettement les liaisons ;3. Ă  la relecture, sans prĂ©ciser cette fois-ci la ponctuation mais en marquant toujours les demandera aux candidats d’écrire une ligne sur ne rĂ©pondra pas aux questions Ă©ventuelles des candidats aprĂšs la relecture du texte ; ils en seront avertis avant cette de commencer la dictĂ©e, on inscrira au tableau de maniĂšre lisible François-RenĂ© de Chateaubriand, MĂ©moires d’outre-tombe, 1848-1850 Extrait du corrigĂ© ComprĂ©hension1. La scĂšne se dĂ©roule dans un manoir et plus prĂ©cisĂ©ment dans la cuisine dans les recoins de la cuisine » puis dans la chambre Ă  coucher arrivĂ© Ă  la chambre Ă  coucher ». Il fait nuit Pendant ce temps la nuit s’était faite ».2. Le baron est seul avec un domestique, un chat et un chien. Il y avait une famille nombreuse et il ne reste plus que le baron. De la livrĂ©e de domestiques, il n’en reste plus qu’un seul, et de la trentaine de chiens, il n’en reste plus qu’un. La restriction ne que » rĂ©pĂ©tĂ©e trois fois souligne que le manoir s’est complĂštement dĂ©peuplĂ© de ses habitants. Le lexique de la solitude solitude, isolĂ©, dĂ©sert et l’emploi de l’imparfait accentuent cette La chambre semble encore plus hantĂ©e le soir. Le chasseur est comparĂ© Ă  un assassin. Il ressemblait Ă  un assassin ». Sa bouche est comparĂ©e Ă  celle d’un vampire, on eĂ»t dit ». Les comparaisons sont suggĂ©rĂ©es par les apparences du personnage de la tapisserie. L’autre procĂ©dĂ© d’écriture est l’emploi des verbes ou des expressions Ă©voquant une transformation bien pis, devenait, ressortait plus Le fantastique est explicitĂ© par l’expression chambre Ă  revenants », on s’attend donc Ă  voir surgir des fantĂŽmes. Le manoir est toujours plongĂ© dans la pĂ©nombre, il n’est Ă©clairĂ© que par le feu de cheminĂ©e ou par une petite lampe et les portraits sont assombris par la fumĂ©e enfumĂ©s » ou de nature foncĂ©e verdure sombre. Il n’y a aucun bruit Ă  part celui du vent. Il fait nuit. Les murs semblent vivants, les personnages des portraits et des fresques s’animent par leurs regards ou leur bouche. Les yeux sont noirs et fixes » et ne semblent pas affables. Le vent devient lui-mĂȘme un personnage sinistre par la personnification suivante il pousse des soupirs d’orgue Ă  travers les couloirs ». Le chat porte le nom du diable qui est l’incarnation du mal. Le sujet de Français du DNB 2019 Extrait du sujet A. Texte littĂ©raire Dans son roman Le Premier Homme, Albert Camus raconte son enfance en AlgĂ©rie dans les annĂ©es 1920. Il s’est reprĂ©sentĂ© dans le personnage de Jacques et Ă©voque ici les jeux qu’il partage avec ses les jours, Ă  la saison, un marchand de frites activait son fourneau. La plupart du temps, le petit groupe n’avait mĂȘme pas l’argent d’un cornet. Si par hasard l’un d’entre eux avait la piĂšce nĂ©cessaire, il achetait son cornet, avançait gravement vers la plage, suivi du cortĂšge respectueux des camarades et, devant la mer, Ă  l’ombre d’une vieille barque dĂ©mantibulĂ©e, plantant ses pieds dans le sable, il se laissait tomber sur les fesses, portant 5 d’une main son cornet bien vertical et le couvrant de l’autre pour ne perdre aucun des gros flocons croustillants. L’usage Ă©tait alors qu’il offrĂźt une frite Ă  chacun des camarades, qui savourait religieusement l’unique friandise chaude et parfumĂ©e d’huile forte qu’il leur laissait. Puis ils regardaient le favorisĂ© qui, gravement, savourait une Ă  une le restant des frites. Au fond du paquet, restaient toujours des dĂ©bris de frites. On suppliait le repu1 de bien vouloir les 10 partager. Et la plupart du temps, sauf s’il s’agissait de Jean, il dĂ©pliait le papier gras, Ă©talait les miettes de frites et autorisait chacun Ă  se servir, tour Ă  tour, d’une miette
 Le festin terminĂ©, plaisir et frustration aussitĂŽt oubliĂ©s, c’était la course vers l’extrĂ©mitĂ© ouest de la plage, sous le dur soleil, jusqu’à une maçonnerie Ă  demi dĂ©truite qui avait dĂ» servir de fondation Ă  un cabanon disparu et derriĂšre laquelle on pouvait se dĂ©shabiller. En quelques secondes, ils 15 Ă©taient nus, l’instant d’aprĂšs dans l’eau, nageant vigoureusement et maladroitement, s’exclamant, bavant et recrachant, se dĂ©fiant Ă  des plongeons ou Ă  qui resterait le plus longtemps sous l’eau. La mer Ă©tait douce, tiĂšde, le soleil lĂ©ger maintenant sur les tĂȘtes mouillĂ©es, et la gloire de la lumiĂšre emplissait ces jeunes corps d’une joie qui les faisait crier sans arrĂȘt. Ils rĂ©gnaient sur la vie et sur la mer, et ce que le monde peut donner de plus 20 fastueux2, ils le recevaient et en usaient sans mesure, comme des seigneurs assurĂ©s de leurs richesses irremplaçables. Ils en oubliaient mĂȘme l’heure, courant de la plage Ă  la mer, sĂ©chant sur le sable l’eau salĂ©e qui les faisait visqueux, puis lavant dans la mer le sable qui les habillait de gris. Ils couraient, et les martinets3 avec des cris rapides commençaient de voler plus bas au-dessus 25 des fabriques et de la plage. Le ciel, vidĂ© de la touffeur4 du jour, devenait plus pur puis verdissait, la lumiĂšre se dĂ©tendait et, de l’autre cĂŽtĂ© du golfe, la courbe des maisons et de la ville, noyĂ©e jusque-lĂ  dans une sorte de brume, devenait plus distincte. Il faisait encore jour, mais des lampes s’allumaient dĂ©jĂ  en prĂ©vision du rapide crĂ©puscule d’Afrique. Pierre, gĂ©nĂ©ralement, Ă©tait le premier Ă  donner le signal Il est tard », et aussitĂŽt, c’était la 30 dĂ©bandade, l’adieu rapide. Jacques avec Joseph et Jean couraient vers leurs maisons sans se soucier des autres. Ils galopaient hors de souffle. La mĂšre de Joseph avait la main leste5. Quant Ă  la grand-mĂšre de Jacques
 Albert Camus, Le Premier Homme, 1994 Le corrigĂ© de Français du DNB 2019 Extrait du corrigĂ© PREMIERE PARTIE Grammaire et compĂ©tences linguistiques / ComprĂ©hension et compĂ©tences d’interprĂ©tation1. Lignes 7-8 L’usage Ă©tait alors qu’il offrĂźt une frite Ă  chacun de ses camarades, qui savourait religieusement l’unique friandise chaude et parfumĂ©e d’huile forte qu’il leur laissait. »a. Quel est le groupe complĂ©ment d’objet de savourait » ? COD l’unique friandise chaude et parfumĂ©e »b. Réécrivez la phrase en le remplaçant par un pronom qui la savourait »c. Relevez deux expansions du nom friandise » de nature grammaticale diffĂ©rente. unique », chaude » adjectifs ; parfumĂ©e » participe passĂ© ; qu’il leur laissait » subordonnĂ©e relative2. Lignes 12-13 Le festin terminĂ©, plaisir et frustration aussitĂŽt oubliĂ©s, c’était la course vers l’extrĂ©mitĂ© ouest de la plage ». Remplacez les deux groupes soulignĂ©s par deux propositions subordonnĂ©es conjonctives complĂ©ments circonstanciels de temps Quand le festin Ă©tait terminĂ©, alors que plaisir et frustration Ă©taient aussitĂŽt oubliĂ©s »3. Si par hasard l’un d’entre eux avait la piĂšce nĂ©cessaire, il achetait un cornet, avançait gravement vers la plage, suivi du cortĂšge respectueux des camarades et, [
], plantant ses pieds dans le sable, il se laissait tomber ses les fesses, portant d’une main son cornet bien vertical et le couvrant de l’autre. »RĂ©crivez ce passage en remplaçant l’un d’entre eux » par deux d’entre eux ». Faites toutes les modifications nĂ©cessaires. Si par hasard deux d’entre eux avaient la piĂšce nĂ©cessaire, ils achetaient un cornet, avançaient gravement vers la plage, suivis du cortĂšge respectueux des camarades et, [
], plantant leurs pieds dans le sable, ils se laissaient tomber sur les fesses, portant d’une main leur cornet bien vertical et le couvrant de l’autre. Le sujet de Français du DNB 2018 Extrait du sujet La scĂšne se dĂ©roule, aprĂšs la seconde guerre mondiale, dans la ville de BlĂ©mont qui a subi d’importantes destructions. LĂ©opold s’assura que la troisiĂšme Ă©tait au complet. Ils Ă©taient douze Ă©lĂšves, quatre filles et huit garçons qui tournaient le dos au comptoir. Tandis que le professeur gagnait sa place au fond de la salle, le patron alla retirer le bec de cane Ă  la porte d’entrĂ©e afin de s’assurer contre toute intrusion. Revenu Ă  son zinc, il but encore un coup de vin blanc et s’assit sur un tabouret. En face de lui le professeur Didier s’était installĂ© Ă  5 sa table sous une rĂ©clame d’apĂ©ritif accrochĂ©e au mur. Il ouvrit un cahier, jeta un coup d’oeil sur la classe de troisiĂšme et dit – Hautemain, se pencha sur son siĂšge pour voir l’élĂšve Hautemain que lui dissimulait la poutre Ă©tayant le plafond. La voix un peu hĂ©sitante, Hautemain commença Seigneur, que faites-vous, et que dira la GrĂšce ?Faut-il qu’un si grand coeur montre tant de faiblesse ?– Asseyez-vous, dit le professeur lorsque Hautemain eut fini. notait avec indulgence. Estimant que la plupart de ces enfants vivaient et travaillaient dans des conditions pĂ©nibles, il voulait les encourager et souhaitait que l’école, autant que possible, leur offrĂźt les sourires que leur refusait trop souvent une existence son zinc, LĂ©opold suivait la rĂ©citation des Ă©coliers en remuant les lĂšvres et avalait anxieusement sa salive lorsqu’il sentait hĂ©siter ou trĂ©bucher la mĂ©moire du rĂ©citant. Son grand regret, qu’il n’oserait jamais confier Ă  M. Didier, Ă©tait de ne participer Ă  ces exercices qu’en simple tĂ©moin. LĂ©opold eĂ»t aimĂ© rĂ©citer, lui aussi Le corrigĂ© de Français du DNB 2018 Extrait du corrigĂ© 1. OĂč se dĂ©roule la scĂšne ? Qui est LĂ©opold ? Pourquoi la situation prĂ©sentĂ©e peut-elle surprendre ? Justifiez votre rĂ©ponse. 4 pointsLa scĂšne se dĂ©roule dans un cafĂ© LĂ©opold est le patron » ligne 3 et se trouve Ă  son zinc » ligne 4 qui est le comptoir du cafĂ©, dont on remarque la dĂ©coration typique une rĂ©clame d’apĂ©ritif accrochĂ©e au mur » ligne 6. La situation prĂ©sentĂ©e peut surprendre, car le maĂźtre s’est installĂ© lĂ  pour y faire la classe le professeur Didier [
] ouvrit un cahier, jeta un coup d’Ɠil sur la classe de troisiĂšme. » ligne 7. On peut trouver une explication dans le paratexte, qui nous prĂ©cise le contexte de seconde guerre mondiale il est donc probable que l’école ait Ă©tĂ© dĂ©truite par les bombardements puisqu’il y est fait Ă©tat d’importantes destructions », et que les cours doivent prendre place dans le Lignes 9 Ă  20 Comment se manifeste l’intĂ©rĂȘt de LĂ©opold pour le cours du professeur Didier ? DĂ©veloppez votre rĂ©ponse en vous appuyant sur trois Ă©lĂ©ments significatifs. 6 pointsL’intĂ©rĂȘt de LĂ©opold se manifeste d’abord par son attention au bon ordre des choses LĂ©opold s’assura que la troisiĂšme Ă©tait au complet » ligne 1, le patron alla retirer le bec de cane Ă  la porte d’entrĂ©e afin de s’assurer contre toute intrusion » ligne 4 ; les clients pourraient dĂ©ranger le cours le terme intrusion » n’est pas neutre, ce qui est un comble pour un commerçant
 Ensuite, il est attentif comme au spectacle, il s’assit sur un tabouret » ligne 5, puis lorsque l’élĂšve Hautemain prend la parole il se pencha sur son siĂšge pour [le] voir » ligne 9. Le sujet de Français du DNB 2017 Extrait du sujet A. Texte littĂ©raire Giono a dĂ©cidĂ© de vivre Ă  la campagne, au plus prĂšs de la nature. NĂ©anmoins, il va parfois Ă  Paris. Il Ă©voque ici son expĂ©rience de la ville. 1 Quand le soir vient, je monte du cĂŽtĂ© de Belleville. A l’angle de la rue de Belleville 2 et de la rue dĂ©serte, blĂȘme et tordue, dans laquelle se trouve La Bellevilloise, je connais un petit restaurant oĂč je prends mon repas du soir. Je vais Ă  pied. Je me sens tout dĂ©paysĂ© par la duretĂ© du trottoir et le balancement des hanches qu’il faut avoir pour Ă©viter ceux qui vous frĂŽlent. Je marche vite et je dĂ©passe les gens qui vont dans ma direction ; mais quand je les ai dĂ©passĂ©s, je ne sais plus que faire, ni pourquoi je les ai dĂ©passĂ©s, car c’est exactement la mĂȘme foule, la mĂȘme gĂȘne, les mĂȘmes gens toujours Ă  dĂ©passer sans jamais trouver devant moi d’espaces libres. Alors, je romps mon pas et 3 je reste nonchalant dans la foule. Mais ce qui vient d’elle Ă  moi n’est pas sympathique. Je suis en prĂ©sence d’une anonyme crĂ©ation des forces dĂ©sĂ©quilibrĂ©es de l’homme. Cette foule n’est emportĂ©e par rien d’unanime. Elle est un conglomĂ©ratde mille soucis, de peines, de joies, de fatigues, de dĂ©sirs extrĂȘmement personnels. Ce n’est pas un corps organisĂ©, c’est un entassement, il ne peut y avoir aucune amitiĂ© entre elle, collective, et moi. Il ne peut y avoir d’amitiĂ© qu’entre des parties d’elle-mĂȘme et moi, des morceaux de cette foule, des hommes ou des femmes. Mais alors, j’ai avantage Ă  les rencontrer seuls et cette foule est lĂ  seulement pour me gĂȘner. Le premier geste qu’on aurait si on rencontrait un ami serait de le tirer de lĂ  jusqu’à la rive, jusqu’à la terrasse du cafĂ©, l’encoignure de la porte, pour avoir enfin la joie de vĂ©ritablement le rencontrer.[
] De tous ces gens-lĂ  qui m’entourent, m’emportent, me heurtent et me poussent, 4 de cette foule parisienne qui coule, me contenant sur les trottoirs devant. La Samaritaine, combien seraient capables de recommencer les gestes essentiels de la vie s’ils se trouvaient demain Ă  l’aube dans un monde nu ? Qui saurait orienter son foyer en plein air et faire du feu ? Qui saurait reconnaĂźtre et trier parmi les plantes vĂ©nĂ©neuses les nourriciĂšres comme l’épinard sauvage, la carotte sauvage, le navet des montagnes, le chou des pĂąturages ? Qui saurait tisser l’étoffe ? Qui saurait trouver les sucs pour faire le cuir ? Qui saurait Ă©corcher un chevreau ? Qui saurait tanner la peau ? Qui saurait vivre ? Ah ! c’est maintenant que le mot dĂ©signe enfin la chose ! Je vois ce qu’ils savent faire ils savent prendre l’autobus et le mĂ©tro. Ils savent arrĂȘter un taxi, traverser une rue, commander un garçon de cafĂ© ; ils le font lĂ  tout autour de moi avec une aisance qui me dĂ©concerte et m’ Giono,Les Vraies Richesses, 1936 le corrigĂ© de Français du DNB 2017 Extrait du corrigĂ© Questions 20 pointsLes rĂ©ponses aux questions doivent ĂȘtre entiĂšrement le texte littĂ©raire document A1. En vous appuyant sur le premier paragraphe, expliquez la formule du narrateur Je me sens tout dĂ©paysĂ© » lignes 3-4. 2 pointsLe narrateur ne va Ă  Paris que rarement le paratexte nous informe qu’il habite dĂ©sormais Ă  la campagne. La ville, et a fortiori Paris, reprĂ©sente donc le contraire de ce dont il a l’habitude duretĂ© du trottoir » s’oppose aux chemins de campagne, ceux qui vous frĂŽlent » montre le rĂ©trĂ©cissement de l’espace dont il est coutumier. Sorti de ses habitudes, il est hors de son pays », donc a-Quel est ici le sens du mot entassement » ligne 13 ? Trouvez un synonyme de ce nom dans les lignes qui prĂ©cĂšdent. b- Elle est 
 personnels. » Lignes 11-12 quel est le procĂ©dĂ© d’écriture utilisĂ© dans cette phrase ?c-En vous appuyant sur vos deux rĂ©ponses prĂ©cĂ©dentes, expliquez comment le narrateur perçoit la foule. 4 points Entassement » signifie ce qui est mis en tas, accumulation ; il est synonyme de conglomĂ©rat » ligne 11. Ici, cela signifie que la foule n’est pas un ensemble unanime », mais un conglomĂ©rat », une addition de gens oĂč toutes les individualitĂ©s s’ajoutent sans s’unifier ni se fondre dans une vĂ©ritable union. Pour le narrateur, c’est un rassemblement de solitudes qui demeurent individuelles. Il le symbolise par la figure de style de l’accumulation car les sentiments divers s’ajoutent de mĂȘme les uns aux autres sans se confondre. Rejoindre Notre Groupe Telegram URGENT ! 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Ă  la relecture, sans prĂ©ciser cette fois-ci la ponctuation mais en marquant toujours les demandera aux candidats d’écrire une ligne sur ne rĂ©pondra pas aux questions Ă©ventuelles des candidats aprĂšs la relecture du texte ; ils en seront avertis avant cette de commencer la dictĂ©e, on inscrira au tableau de maniĂšre lisible François-RenĂ© de Chateaubriand, MĂ©moires d’outre-tombe, 1848-1850 Extrait du corrigĂ© ComprĂ©hension1. La scĂšne se dĂ©roule dans un manoir et plus prĂ©cisĂ©ment dans la cuisine dans les recoins de la cuisine » puis dans la chambre Ă  coucher arrivĂ© Ă  la chambre Ă  coucher ». Il fait nuit Pendant ce temps la nuit s’était faite ».2. Le baron est seul avec un domestique, un chat et un chien. Il y avait une famille nombreuse et il ne reste plus que le baron. De la livrĂ©e de domestiques, il n’en reste plus qu’un seul, et de la trentaine de chiens, il n’en reste plus qu’un. La restriction ne que » rĂ©pĂ©tĂ©e trois fois souligne que le manoir s’est complĂštement dĂ©peuplĂ© de ses habitants. Le lexique de la solitude solitude, isolĂ©, dĂ©sert et l’emploi de l’imparfait accentuent cette La chambre semble encore plus hantĂ©e le soir. Le chasseur est comparĂ© Ă  un assassin. Il ressemblait Ă  un assassin ». Sa bouche est comparĂ©e Ă  celle d’un vampire, on eĂ»t dit ». Les comparaisons sont suggĂ©rĂ©es par les apparences du personnage de la tapisserie. L’autre procĂ©dĂ© d’écriture est l’emploi des verbes ou des expressions Ă©voquant une transformation bien pis, devenait, ressortait plus Le fantastique est explicitĂ© par l’expression chambre Ă  revenants », on s’attend donc Ă  voir surgir des fantĂŽmes. Le manoir est toujours plongĂ© dans la pĂ©nombre, il n’est Ă©clairĂ© que par le feu de cheminĂ©e ou par une petite lampe et les portraits sont assombris par la fumĂ©e enfumĂ©s » ou de nature foncĂ©e verdure sombre. Il n’y a aucun bruit Ă  part celui du vent. Il fait nuit. Les murs semblent vivants, les personnages des portraits et des fresques s’animent par leurs regards ou leur bouche. Les yeux sont noirs et fixes » et ne semblent pas affables. Le vent devient lui-mĂȘme un personnage sinistre par la personnification suivante il pousse des soupirs d’orgue Ă  travers les couloirs ». Le chat porte le nom du diable qui est l’incarnation du mal. Le sujet de Français du DNB 2019 Extrait du sujet A. Texte littĂ©raire Dans son roman Le Premier Homme, Albert Camus raconte son enfance en AlgĂ©rie dans les annĂ©es 1920. Il s’est reprĂ©sentĂ© dans le personnage de Jacques et Ă©voque ici les jeux qu’il partage avec ses les jours, Ă  la saison, un marchand de frites activait son fourneau. La plupart du temps, le petit groupe n’avait mĂȘme pas l’argent d’un cornet. Si par hasard l’un d’entre eux avait la piĂšce nĂ©cessaire, il achetait son cornet, avançait gravement vers la plage, suivi du cortĂšge respectueux des camarades et, devant la mer, Ă  l’ombre d’une vieille barque dĂ©mantibulĂ©e, plantant ses pieds dans le sable, il se laissait tomber sur les fesses, portant 5 d’une main son cornet bien vertical et le couvrant de l’autre pour ne perdre aucun des gros flocons croustillants. L’usage Ă©tait alors qu’il offrĂźt une frite Ă  chacun des camarades, qui savourait religieusement l’unique friandise chaude et parfumĂ©e d’huile forte qu’il leur laissait. Puis ils regardaient le favorisĂ© qui, gravement, savourait une Ă  une le restant des frites. Au fond du paquet, restaient toujours des dĂ©bris de frites. On suppliait le repu1 de bien vouloir les 10 partager. Et la plupart du temps, sauf s’il s’agissait de Jean, il dĂ©pliait le papier gras, Ă©talait les miettes de frites et autorisait chacun Ă  se servir, tour Ă  tour, d’une miette
 Le festin terminĂ©, plaisir et frustration aussitĂŽt oubliĂ©s, c’était la course vers l’extrĂ©mitĂ© ouest de la plage, sous le dur soleil, jusqu’à une maçonnerie Ă  demi dĂ©truite qui avait dĂ» servir de fondation Ă  un cabanon disparu et derriĂšre laquelle on pouvait se dĂ©shabiller. En quelques secondes, ils 15 Ă©taient nus, l’instant d’aprĂšs dans l’eau, nageant vigoureusement et maladroitement, s’exclamant, bavant et recrachant, se dĂ©fiant Ă  des plongeons ou Ă  qui resterait le plus longtemps sous l’eau. La mer Ă©tait douce, tiĂšde, le soleil lĂ©ger maintenant sur les tĂȘtes mouillĂ©es, et la gloire de la lumiĂšre emplissait ces jeunes corps d’une joie qui les faisait crier sans arrĂȘt. Ils rĂ©gnaient sur la vie et sur la mer, et ce que le monde peut donner de plus 20 fastueux2, ils le recevaient et en usaient sans mesure, comme des seigneurs assurĂ©s de leurs richesses irremplaçables. Ils en oubliaient mĂȘme l’heure, courant de la plage Ă  la mer, sĂ©chant sur le sable l’eau salĂ©e qui les faisait visqueux, puis lavant dans la mer le sable qui les habillait de gris. Ils couraient, et les martinets3 avec des cris rapides commençaient de voler plus bas au-dessus 25 des fabriques et de la plage. Le ciel, vidĂ© de la touffeur4 du jour, devenait plus pur puis verdissait, la lumiĂšre se dĂ©tendait et, de l’autre cĂŽtĂ© du golfe, la courbe des maisons et de la ville, noyĂ©e jusque-lĂ  dans une sorte de brume, devenait plus distincte. Il faisait encore jour, mais des lampes s’allumaient dĂ©jĂ  en prĂ©vision du rapide crĂ©puscule d’Afrique. Pierre, gĂ©nĂ©ralement, Ă©tait le premier Ă  donner le signal Il est tard », et aussitĂŽt, c’était la 30 dĂ©bandade, l’adieu rapide. Jacques avec Joseph et Jean couraient vers leurs maisons sans se soucier des autres. Ils galopaient hors de souffle. La mĂšre de Joseph avait la main leste5. Quant Ă  la grand-mĂšre de Jacques
 Albert Camus, Le Premier Homme, 1994 Le corrigĂ© de Français du DNB 2019 Extrait du corrigĂ© PREMIERE PARTIE Grammaire et compĂ©tences linguistiques / ComprĂ©hension et compĂ©tences d’interprĂ©tation1. Lignes 7-8 L’usage Ă©tait alors qu’il offrĂźt une frite Ă  chacun de ses camarades, qui savourait religieusement l’unique friandise chaude et parfumĂ©e d’huile forte qu’il leur laissait. »a. Quel est le groupe complĂ©ment d’objet de savourait » ? COD l’unique friandise chaude et parfumĂ©e »b. Réécrivez la phrase en le remplaçant par un pronom qui la savourait »c. Relevez deux expansions du nom friandise » de nature grammaticale diffĂ©rente. unique », chaude » adjectifs ; parfumĂ©e » participe passĂ© ; qu’il leur laissait » subordonnĂ©e relative2. Lignes 12-13 Le festin terminĂ©, plaisir et frustration aussitĂŽt oubliĂ©s, c’était la course vers l’extrĂ©mitĂ© ouest de la plage ». Remplacez les deux groupes soulignĂ©s par deux propositions subordonnĂ©es conjonctives complĂ©ments circonstanciels de temps Quand le festin Ă©tait terminĂ©, alors que plaisir et frustration Ă©taient aussitĂŽt oubliĂ©s »3. Si par hasard l’un d’entre eux avait la piĂšce nĂ©cessaire, il achetait un cornet, avançait gravement vers la plage, suivi du cortĂšge respectueux des camarades et, [
], plantant ses pieds dans le sable, il se laissait tomber ses les fesses, portant d’une main son cornet bien vertical et le couvrant de l’autre. »RĂ©crivez ce passage en remplaçant l’un d’entre eux » par deux d’entre eux ». Faites toutes les modifications nĂ©cessaires. Si par hasard deux d’entre eux avaient la piĂšce nĂ©cessaire, ils achetaient un cornet, avançaient gravement vers la plage, suivis du cortĂšge respectueux des camarades et, [
], plantant leurs pieds dans le sable, ils se laissaient tomber sur les fesses, portant d’une main leur cornet bien vertical et le couvrant de l’autre. Le sujet de Français du DNB 2018 Extrait du sujet La scĂšne se dĂ©roule, aprĂšs la seconde guerre mondiale, dans la ville de BlĂ©mont qui a subi d’importantes destructions. LĂ©opold s’assura que la troisiĂšme Ă©tait au complet. Ils Ă©taient douze Ă©lĂšves, quatre filles et huit garçons qui tournaient le dos au comptoir. Tandis que le professeur gagnait sa place au fond de la salle, le patron alla retirer le bec de cane Ă  la porte d’entrĂ©e afin de s’assurer contre toute intrusion. Revenu Ă  son zinc, il but encore un coup de vin blanc et s’assit sur un tabouret. En face de lui le professeur Didier s’était installĂ© Ă  5 sa table sous une rĂ©clame d’apĂ©ritif accrochĂ©e au mur. Il ouvrit un cahier, jeta un coup d’oeil sur la classe de troisiĂšme et dit – Hautemain, se pencha sur son siĂšge pour voir l’élĂšve Hautemain que lui dissimulait la poutre Ă©tayant le plafond. La voix un peu hĂ©sitante, Hautemain commença Seigneur, que faites-vous, et que dira la GrĂšce ?Faut-il qu’un si grand coeur montre tant de faiblesse ?– Asseyez-vous, dit le professeur lorsque Hautemain eut fini. notait avec indulgence. Estimant que la plupart de ces enfants vivaient et travaillaient dans des conditions pĂ©nibles, il voulait les encourager et souhaitait que l’école, autant que possible, leur offrĂźt les sourires que leur refusait trop souvent une existence son zinc, LĂ©opold suivait la rĂ©citation des Ă©coliers en remuant les lĂšvres et avalait anxieusement sa salive lorsqu’il sentait hĂ©siter ou trĂ©bucher la mĂ©moire du rĂ©citant. Son grand regret, qu’il n’oserait jamais confier Ă  M. Didier, Ă©tait de ne participer Ă  ces exercices qu’en simple tĂ©moin. LĂ©opold eĂ»t aimĂ© rĂ©citer, lui aussi Le corrigĂ© de Français du DNB 2018 Extrait du corrigĂ© 1. OĂč se dĂ©roule la scĂšne ? Qui est LĂ©opold ? Pourquoi la situation prĂ©sentĂ©e peut-elle surprendre ? Justifiez votre rĂ©ponse. 4 pointsLa scĂšne se dĂ©roule dans un cafĂ© LĂ©opold est le patron » ligne 3 et se trouve Ă  son zinc » ligne 4 qui est le comptoir du cafĂ©, dont on remarque la dĂ©coration typique une rĂ©clame d’apĂ©ritif accrochĂ©e au mur » ligne 6. La situation prĂ©sentĂ©e peut surprendre, car le maĂźtre s’est installĂ© lĂ  pour y faire la classe le professeur Didier [
] ouvrit un cahier, jeta un coup d’Ɠil sur la classe de troisiĂšme. » ligne 7. On peut trouver une explication dans le paratexte, qui nous prĂ©cise le contexte de seconde guerre mondiale il est donc probable que l’école ait Ă©tĂ© dĂ©truite par les bombardements puisqu’il y est fait Ă©tat d’importantes destructions », et que les cours doivent prendre place dans le Lignes 9 Ă  20 Comment se manifeste l’intĂ©rĂȘt de LĂ©opold pour le cours du professeur Didier ? DĂ©veloppez votre rĂ©ponse en vous appuyant sur trois Ă©lĂ©ments significatifs. 6 pointsL’intĂ©rĂȘt de LĂ©opold se manifeste d’abord par son attention au bon ordre des choses LĂ©opold s’assura que la troisiĂšme Ă©tait au complet » ligne 1, le patron alla retirer le bec de cane Ă  la porte d’entrĂ©e afin de s’assurer contre toute intrusion » ligne 4 ; les clients pourraient dĂ©ranger le cours le terme intrusion » n’est pas neutre, ce qui est un comble pour un commerçant
 Ensuite, il est attentif comme au spectacle, il s’assit sur un tabouret » ligne 5, puis lorsque l’élĂšve Hautemain prend la parole il se pencha sur son siĂšge pour [le] voir » ligne 9. Le sujet de Français du DNB 2017 Extrait du sujet A. Texte littĂ©raire Giono a dĂ©cidĂ© de vivre Ă  la campagne, au plus prĂšs de la nature. NĂ©anmoins, il va parfois Ă  Paris. Il Ă©voque ici son expĂ©rience de la ville. 1 Quand le soir vient, je monte du cĂŽtĂ© de Belleville. A l’angle de la rue de Belleville 2 et de la rue dĂ©serte, blĂȘme et tordue, dans laquelle se trouve La Bellevilloise, je connais un petit restaurant oĂč je prends mon repas du soir. Je vais Ă  pied. Je me sens tout dĂ©paysĂ© par la duretĂ© du trottoir et le balancement des hanches qu’il faut avoir pour Ă©viter ceux qui vous frĂŽlent. Je marche vite et je dĂ©passe les gens qui vont dans ma direction ; mais quand je les ai dĂ©passĂ©s, je ne sais plus que faire, ni pourquoi je les ai dĂ©passĂ©s, car c’est exactement la mĂȘme foule, la mĂȘme gĂȘne, les mĂȘmes gens toujours Ă  dĂ©passer sans jamais trouver devant moi d’espaces libres. Alors, je romps mon pas et 3 je reste nonchalant dans la foule. Mais ce qui vient d’elle Ă  moi n’est pas sympathique. Je suis en prĂ©sence d’une anonyme crĂ©ation des forces dĂ©sĂ©quilibrĂ©es de l’homme. Cette foule n’est emportĂ©e par rien d’unanime. Elle est un conglomĂ©ratde mille soucis, de peines, de joies, de fatigues, de dĂ©sirs extrĂȘmement personnels. Ce n’est pas un corps organisĂ©, c’est un entassement, il ne peut y avoir aucune amitiĂ© entre elle, collective, et moi. Il ne peut y avoir d’amitiĂ© qu’entre des parties d’elle-mĂȘme et moi, des morceaux de cette foule, des hommes ou des femmes. Mais alors, j’ai avantage Ă  les rencontrer seuls et cette foule est lĂ  seulement pour me gĂȘner. Le premier geste qu’on aurait si on rencontrait un ami serait de le tirer de lĂ  jusqu’à la rive, jusqu’à la terrasse du cafĂ©, l’encoignure de la porte, pour avoir enfin la joie de vĂ©ritablement le rencontrer.[
] De tous ces gens-lĂ  qui m’entourent, m’emportent, me heurtent et me poussent, 4 de cette foule parisienne qui coule, me contenant sur les trottoirs devant. La Samaritaine, combien seraient capables de recommencer les gestes essentiels de la vie s’ils se trouvaient demain Ă  l’aube dans un monde nu ? Qui saurait orienter son foyer en plein air et faire du feu ? Qui saurait reconnaĂźtre et trier parmi les plantes vĂ©nĂ©neuses les nourriciĂšres comme l’épinard sauvage, la carotte sauvage, le navet des montagnes, le chou des pĂąturages ? Qui saurait tisser l’étoffe ? Qui saurait trouver les sucs pour faire le cuir ? Qui saurait Ă©corcher un chevreau ? Qui saurait tanner la peau ? Qui saurait vivre ? Ah ! c’est maintenant que le mot dĂ©signe enfin la chose ! Je vois ce qu’ils savent faire ils savent prendre l’autobus et le mĂ©tro. Ils savent arrĂȘter un taxi, traverser une rue, commander un garçon de cafĂ© ; ils le font lĂ  tout autour de moi avec une aisance qui me dĂ©concerte et m’ Giono,Les Vraies Richesses, 1936 le corrigĂ© de Français du DNB 2017 Extrait du corrigĂ© Questions 20 pointsLes rĂ©ponses aux questions doivent ĂȘtre entiĂšrement le texte littĂ©raire document A1. En vous appuyant sur le premier paragraphe, expliquez la formule du narrateur Je me sens tout dĂ©paysĂ© » lignes 3-4. 2 pointsLe narrateur ne va Ă  Paris que rarement le paratexte nous informe qu’il habite dĂ©sormais Ă  la campagne. La ville, et a fortiori Paris, reprĂ©sente donc le contraire de ce dont il a l’habitude duretĂ© du trottoir » s’oppose aux chemins de campagne, ceux qui vous frĂŽlent » montre le rĂ©trĂ©cissement de l’espace dont il est coutumier. Sorti de ses habitudes, il est hors de son pays », donc a-Quel est ici le sens du mot entassement » ligne 13 ? Trouvez un synonyme de ce nom dans les lignes qui prĂ©cĂšdent. b- Elle est 
 personnels. » Lignes 11-12 quel est le procĂ©dĂ© d’écriture utilisĂ© dans cette phrase ?c-En vous appuyant sur vos deux rĂ©ponses prĂ©cĂ©dentes, expliquez comment le narrateur perçoit la foule. 4 points Entassement » signifie ce qui est mis en tas, accumulation ; il est synonyme de conglomĂ©rat » ligne 11. Ici, cela signifie que la foule n’est pas un ensemble unanime », mais un conglomĂ©rat », une addition de gens oĂč toutes les individualitĂ©s s’ajoutent sans s’unifier ni se fondre dans une vĂ©ritable union. Pour le narrateur, c’est un rassemblement de solitudes qui demeurent individuelles. Il le symbolise par la figure de style de l’accumulation car les sentiments divers s’ajoutent de mĂȘme les uns aux autres sans se confondre. Rejoindre Notre Groupe Telegram URGENT ! Cliquez ici pour vous abonner au groupe VIP afin d’ĂȘtre les premiers Ă  recevoir les informations sur les concours, recrutements, offres, opportunitĂ©s en cours Ne perdez plus votre temps sur internet Ă  chercher des informations sur les concours lancĂ©s, les anciens sujets ou Ă©preuves des concours et des examens officiels d'Afrique et d'ailleurs. Notre Ă©quipe d’experts est dĂ©sormais lĂ  pour vous aider et a dĂ©jĂ  fait le travail pour vous. Dans notre plateforme, vous trouverez les derniers sujets des examens nationaux CAP, BEPC, PROBATOIRE, BAC, BTS, LICENCE, MASTER, DOCTORAT et internationaux ainsi que les anciennes Ă©preuves de concours d’entrĂ©e dans des grandes Ă©coles au Cameroun, en CĂŽte d’ivoire, au Gabon, au Senegal et dans le monde ENS, EAMAU , ENAM, ENIEG, IRIC, IFORD, IDE, MINSANTE, ENSET, ESSEC, IUT, FGI, FASA, FMSB, ESSTIC, EGEM, ENSP, ENSPT, UCAC, ENIET, POLICE, MINE ET PONT , FMSP, IIA, FSMB, EAMAC, CAFOP, INFAS, FASTEF Pour les Ă©tudiants internationaux, tĂ©lĂ©charger toute notre collection des Ă©preuves sur notre site BAC BURKINA FASO, BEPC BURKINA FASO, BAC MALI, DEF MALI, BAC GABON, BEPC GABON, BAC TOGO, BEPC TOGO, BAC BENIN, BEPC BENIN, BAC NIGER, BEPC NIGER, BAC SENEGAL, BFEM SENEGAL. Vous trouverez aussi sur notre plateforme des informations utiles et gratuites sur LES BOURSES D’ETUDES disponibles dans le monde ainsi que les informations sur les GRANDES ECOLES DE FORMATION en Afrique et dans le monde. Les informations gratuites que nous mettons Ă  votre disposition sont vĂ©rifiĂ©es et certifiĂ©es par une Ă©quipe experte diplomĂ©s de Licence, Master, Doctorat et des Enseignants
VIDÉO] - EXAMENS 2019 - MalgrĂ© les incertitudes liĂ©es Ă  la rĂ©tention de certaines copies par des professeurs en grĂšve, les rĂ©sultats du baccalaurĂ©at sont attendus ce vendredi matin. Des rĂ©sultats qui ont momentanĂ©ment fuitĂ© jeudi soir sur le site de l'acadĂ©mie de Lille. Suivez notre direct.

Posted at 2119h in Son oeuvre Quand Camus meurt dans un accident d’automobile, le 4 janvier 1960, il a sur lui une sacoche contenant le manuscrit du roman auquel il se consacre presque entiĂšrement depuis plusieurs mois. Le Premier Homme, pourtant, ne sera publiĂ© qu’en 1994, le temps que la voix de Camus soit redevenue audible aprĂšs les dĂ©chirements de la guerre d’AlgĂ©rie, et qu’un dĂ©chiffrement minutieux du manuscrit ait Ă©tĂ© effectuĂ© par sa fille, Catherine. Camus parle beaucoup de son roman dans sa correspondance et dans ses Carnets, oĂč on peut en suivre la genĂšse Ă  partir de 1953. Il envisageait une grande fresque – un peu dans le genre de Guerre et paix de TolstoĂŻ – oĂč son personnage, Jacques Cormery, aurait traversĂ© les Ă©vĂ©nements majeurs de la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle ; il n’a eu le temps d’en Ă©crire qu’une petite partie, puisque le protagoniste est encore adolescent quand s’interrompt le manuscrit ; pour le reste, nous en sommes rĂ©duits Ă  des conjectures, appuyĂ©es sur les notes et les documents d’un abondant dossier prĂ©paratoire. Tel que nous l’avons, le roman s’organise en deux parties. La premiĂšre, trĂšs retravaillĂ©e, Recherche du pĂšre », insĂšre les souvenirs d’enfance du protagoniste dans les alĂ©as d’une quĂȘte qu’il mĂšne en France et en AlgĂ©rie, en 1953, pour savoir un peu mieux qui Ă©tait son pĂšre, mort sur le front de la Marne en 1914, alors que lui-mĂȘme n’avait que quelques mois. La seconde partie, Le fils ou le premier homme », moins travaillĂ©e, juxtapose un chapitre de souvenirs d’enfance croquĂ©s sur le vif et un chapitre de mĂ©ditation lyrique sur le mystĂ©rieux devenir d’un enfant qui grandit ainsi sans pĂšre. Camus a la certitude qu’il entame lĂ  une nouvelle phase de son Ɠuvre, plus libre sur le plan artistique parce que moins dĂ©pendante d’une dĂ©marche philosophique que les romans prĂ©cĂ©dents – L’Étranger dans le cycle de l’absurde, La Peste dans celui de la rĂ©volte, mĂȘme si on peut rattacher Le Premier Homme Ă  ce troisiĂšme cycle dont il parle parfois comme Ă©tant celui de l’amour. N’écrit-il pas En somme, je vais parler de ceux que j’aimais. Et de cela seulement. Joie profonde. » ? Et, de fait, le roman est nourri de son expĂ©rience personnelle, Jacques Cormery Ă©tant Ă  l’évidence son alter ego. Le Premier Homme a toute la saveur d’une merveilleuse autobiographie sensations, affects, visages, lieux, atmosphĂšres sont rendus dans une immĂ©diatetĂ© extraordinaire ; les jeux Ă©perdus sur la plage ou dans le vent, la prĂ©sence tutĂ©laire d’un vieil instituteur, la sĂ©vĂ©ritĂ© de la grand-mĂšre, la complicitĂ© avec l’oncle chasseur, l’austĂ©ritĂ© de la vie chez les pauvres, la tendresse silencieuse de la mĂšre, les terreurs de l’enfant, ses dĂ©sespoirs et ses joies, tout cela est rendu avec la vibration du vĂ©cu, au point que quantitĂ© de gens se sont retrouvĂ©s dans cet enfant, mĂȘme s’ils n’ont pas Ă©tĂ© pieds-noirs, pauvres, orphelins ou bons Ă©lĂšves. Mais Camus, quoi qu’on en dise, n’a pas voulu Ă©crire son autobiographie. Il parle toujours de son roman », et cette transformation du rĂ©el en fiction lui confĂšre une double dimension, politique et symbolique, que l’écriture autobiographique aurait difficilement pu assumer. À travers la quĂȘte de Jacques Cormery, se dĂ©ploie l’histoire de l’AlgĂ©rie depuis l’arrivĂ©e des EuropĂ©ens de 1953, oĂč la guerre est dĂ©jĂ  dans les rues d’Alger, avec les bombes et les parachutistes, en remontant jusqu’en 1848, Ă  l’arrivĂ©e des premiers colons, migrants de la misĂšre, dont le pĂšre et la mĂšre de Jacques ont prolongĂ© le sort de victimes de l’Histoire, et mĂȘme jusqu’en 1830, aux dĂ©buts militaires d’une colonisation, dont tout annonce, dans les annĂ©es 1950, qu’elle va s’achever dans l’éviction des Blancs d’AlgĂ©rie. En Ă©crivant Le Premier Homme, Camus plaide pour le droit de ceux-ci Ă  rester sur la terre oĂč ils sont nĂ©s, mais dans un tout autre rapport avec la communautĂ© arabe ; deux peuples sur une mĂȘme terre », le roman reprend Ă  sa maniĂšre la position qu’il avait dĂ©fendue dans Chroniques algĂ©riennes 1958. En choisissant ce titre, Camus souligne Ă©galement la dimension symbolique du roman. Certes, le premier homme », c’est l’orphelin qui doit grandir sans pĂšre et se forger ses propres repĂšres ; c’est aussi l’exilĂ© qui doit inventer une nouvelle vie ; et c’est tout homme qui doit apprendre Ă  vivre, se mettre au monde tout au long de sa vie, en sachant qu’il restera toujours obscur Ă  soi-mĂȘme ». Le Premier Homme, enfin, tĂ©moigne de la maĂźtrise d’un Ă©crivain qui sait dĂ©sormais manier tous les registres et tous les styles ; ce devait ĂȘtre – c’est – la grande Ɠuvre de la maturitĂ© de Camus. AgnĂšs Spiquel ÉlĂ©ments bibliographiques Le Premier Homme , Ă©tudes rĂ©unies par Christian Morzewski, Roman 20/50, n° 27, juin 1999. Le Premier Homme en perspective , textes rĂ©unis et prĂ©sentĂ©s par Raymond Gay-Crosier, La Revue des Lettres modernes, SĂ©rie Albert Camus n° 20, Lettres modernes Minard, Paris-Caen, 2004. Jean Sarocchi, Le Dernier Camus ou Le Premier Homme , Nizet, 1995. Maurice Weyembergh, Albert Camus ou la MĂ©moire des origines, Bruxelles, De Boeck, coll. Point philosophique », 1997. SociĂ©tĂ© des Études Camusiennes societe

Brevetdes collĂšges France 2022 - Sujets et corrigĂ©s Français – Brevet des collĂšges: Vous voulez savoir si vous avez rĂ©ussi votre Ă©preuve de français du. Latest; Trending; Brevet des collĂšges France 2022 – Sujets et corrigĂ©s Français – Brevet des collĂšges. mai 30, 2021. Togo / rĂ©sultats BAC II 2022 . juillet 10, 2022. RĂ©sultats du BEPC 2022 en GuinĂ©e Conakry PDF – liste

Le brevet des collÚges a débuté ce lundi avec l'épreuve de français ce matin et de maths cet aprÚs-midi avant, ce mardi, l'histoire-géographie les sciences et la langue vivante. C'est parti pour le brevet 848 878 élÚves de troisiÚme dont 34 916 dans l'académie de Toulouse passent les épreuves du brevet des collÚges ce lundi et ce mardi. Initialement prévues jeudi et vendredi dernier, elles avaient été reportées en raison de la canicule qui s'abattait sur la France. Le ministre de l'Education Nationale Jean-Michel Blanquer a souhaité, dans un tweet ce matin, bonne chance aux candidats qui vont passer le brevet "dans des conditions climatiques désormais normales" et leur rappelle que "c'est une étape importante". Les sujets de français Les élÚves ont dû travailler sur un texte littéraire issu du roman "Le premier homme" d'Albert Camus, une image de Robert Doisneau, une dictée et une rédaction sujet d'imagination et sujet de réflexion. La dictée proposée cette année était exigeante avec des phrases longues, des accords ou quelques mots de vocabulaire pas trÚs courants. Les corrigés de français Voici le corrigé du sujet de français proposé par le site Studyrama. Il s'agit d'une proposition de correction. Les sujets de mathématiques L'épreuve comprend six exercices qui portent sur la division, de la géométrie, l'étude de l'écoulement du sable dans un sablier ou des programmes de calcul. Les corrigés de mathématiques Voici le corrigé du sujet de maths proposé par le site Studyrama. Il s'agit d'une proposition de correction. Le brevet se poursuit ce mardi avec les épreuves d'histoire-géographie, enseignement moral et civique de 9 heures à 11 heures, sciences de 13h30 à 14h30 et langue vivante étrangÚre de 15 heures à 16h30. L'annonce des résultats est prévue à partir du jeudi 11 juillet à 15 heures. Ils seront disponibles sur
AlbertCamus : Le Premier Homme ⬅ Imagined cover for unpublished book, for The Greatest Books You'll Never Read , published 2015 by Cassell (US) and Aurum Press (UK) Au sortir du domaine, l'homme prit la direction du carrefour d'oĂč il avait aperçu pour la premiĂšre fois les lumiĂšres du village. Elles brillaient maintenant d'un Ă©clat plus vif, la pluie s'Ă©tait arrĂȘtĂ©e de tomber, et la route qui, Ă  droite, menait vers elles Ă©tait tracĂ©e droit Ă  travers des champs de vigne dont les fils de fer brillaient par endroits. A mi-chemin environ, le cheval ralentit de lui-mĂȘme et prit le pas. On approchait d'une sorte de cabane rectangulaire dont une partie, formant une piĂšce, Ă©tait maçonnĂ©e et l'autre, la plus grande, construite en planches, avec un grand auvent rabattu sur une sorte de comptoir saillant. Une porte s'encastrait dans la partie maçonnĂ©e sur laquelle on pouvait lire "Cantine agricole Mme Jacques". De la lumiĂšre filtrait sous la porte. L'homme arrĂȘta son cheval tout prĂšs de la porte et, sans descendre, frappa. CAMUS, Le Premier Homme. lepremier homme, albert camus brevetlettre pour informer votre employeur de votre cumul d'emplois. Just another site. le premier homme, albert > > > > Texte de Albert Camus Le sujet 1998 - Brevet SĂ©rie CollĂšge - Français - DictĂ©e LE SUJET Paysage algĂ©rien Il faut beaucoup de temps pour aller Ă  DjĂ©mila. Ce n'est pas une ville oĂč l'on s'arrĂȘte et que l'on dĂ©passe. Elle ne mĂšne nulle part et n'ouvre sur aucun pays. C'est un lieu d'oĂč l'on revient. La ville morte est au terme d'une longue route en lacet qui semble la promettre Ă  chacun de ses tournants et paraĂźt d'autant plus longue... Dans cette splendeur aride, nous avions errĂ© toute la journĂ©e. Peu Ă  peu, le vent Ă  peine senti au dĂ©but de l'aprĂšs-midi semblait grandir avec les heures et remplir tout le paysage. Il soufflait depuis une trouĂ©e entre les montagnes, loin vers l'est, accourait du fond de l'horizon et venait bondir en cascades parmi les pierres au soleil. Sans arrĂȘt, il sifflait avec force Ă  travers les ruines, tournait dans un cirque de pierres et de terre, baignait les amas de blocs grĂȘlĂ©s, entourait chaque colonne de son souffle et venait se rĂ©pandre en cris incessants sur le forum qui s'ouvrait dans le ciel. Je me sentais claquer au vent comme une mĂąture. Albert CAMUS, Noces. Indication marquĂ©e au tableau DjĂ©mila. LE CORRIGÉ Paysage algĂ©rien Il faut beaucoup de temps pour aller Ă  DjĂ©mila. Ce n'est pas une ville oĂč l'on s'arrĂȘte et que l'on dĂ©passe. Elle ne mĂšne nulle part et n'ouvre sur aucun pays. C'est un lieu d'oĂč l'on revient. La ville morte est au terme d'une longue route en lacet qui semble la promettre Ă  chacun de ses tournants et paraĂźt d'autant plus longue... Dans cette splendeur aride, nous avions errĂ© toute la journĂ©e. Peu Ă  peu, le vent Ă  peine senti au dĂ©but de l'aprĂšs-midi semblait grandir avec les heures et remplir tout le paysage. Il soufflait depuis une trouĂ©e entre les montagnes, loin vers l'est, accourait du fond de l'horizon et venait bondir en cascades parmi les pierres au soleil. Sans arrĂȘt, il sifflait avec force Ă  travers les ruines, tournait dans un cirque de pierres et de terre, baignait les amas de blocs grĂȘlĂ©s, entourait chaque colonne de son souffle et venait se rĂ©pandre en cris incessants sur le forum qui s'ouvrait dans le ciel. Je me sentais claquer au vent comme une mĂąture. Albert CAMUS, Noces. Indication marquĂ©e au tableau DjĂ©mila. 2022 Copyright France-examen - Reproduction sur support Ă©lectronique interdite RĂ©sultat Bac 2022 RĂ©sultat BTS 2022 RĂ©sultat Bac Pro 2022 RĂ©sultat Brevet 2022 BAC 2022 Brevet 2022 RĂ©sultat Bac Techno 2022 RĂ©sultat BEP 2022 RĂ©sultat Brevet Professionnel 2022 RĂ©sultat CAP 2022 RĂ©sultat Mention complĂ©mentaire MC 2022 CorrigĂ©s Bac CorrigĂ©s Brevet
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Lepremier homme - Albert Camus (blogoclub) Folio - 380 pages (publiĂ© par sa fille Catherine en 1994) C’est aprĂšs avoir vu et beaucoup apprĂ©ciĂ© un tĂ©lĂ©film consacrĂ© Ă  Camus au moment du 50 Ăšme anniversaire de sa mort, que l’envie m’est venue de lire « Le premier homme », ce roman inachevĂ© dans lequel l’écrivain Ă©voque avec une grande sincĂ©ritĂ© son enfance algĂ©rienne ÂŁ& ' ,- v *Çr- - e.,'- „ '^^A ‱‱>"-' f*f. ' ,*' rin^ . J>, - V ĂźU - jjÇ -V. - if^.ffllsHfc- if ‱‱ $. A *. Wr -. ffrlSn* s'. ’‱ i . y, -F ~ „ 40 ‱'.. ' - K % -'-ma v .. - ’‱ ; vl >HvrĂŻ* *.** >, 5 ^" ! - v - . ; - ** * v ,, -*~. -^v ^. .. f K *$i .?'-‱ .* V/ ’ ^Y.%- v '.‱ ' .‱ V r * **i & *\ * .‱‱** r '‱' *ĂźWJ’K-*. ‱ ^ . lu' \- vtR ^. , r . u ‱ - - 4i. -** “ . I ^ ; €ïñ I [. W> \ ?* '> / „ . i t ,>-‱*‱ > ‱ L '*?, ’*? X' ,, P5S**;* ^-^ 1Ăź 3»a!ÆQaaa5^5^'^^”2^^^- TĂŒ^ßû lĂż';'-''c' A ^.^-AßßM^>.-»*»>.Ăą; "W* &&%&*** 4 '**'"'%*** itĂąSzssĂč wm i^p/. - -\C "'‱' o.^\' V ^' l *nW*Mi JP" ' n^nm " A ^L^A^fV m Ptes^sĂąJ^S^^W □T % A A^A» % ÂŁÂŁ^A^i A '“A a, r ’r A\ “*\ "V , ^\' " >’ > ; ^Uùù*A ‱ 'Srv **A - ÂŁ/’ A A f *A' V - A- ‱ a ^ ' ***N*fV*yA'\*! Â^^»^'^*4^S^SS352S > Knt.. RÉFLEXIONS SENTENCES ET MAXIMES MORALES DU DUC DE LA ROCHEFOUCAULD. fer'.' i M NOTICE SUR LE CARACTÈRE ET LES ÉCRITS DU DUC DE LA ROCHEFOUCAULD. François, duc de La Rochefoucauld, auteur des RĂ©flexions morales, naquit en 1613 . Son Ă©ducation fut nĂ©gligĂ©e; mais la nature supplĂ©a Ă  l’instruction. Il avait, dit madame de Maintenon, une physionomie heureuse, l’air grand, beaucoup d’esprit et peu de savoir. Le moment oĂč il entra dans le monde Ă©tait un temps de crise pour les mƓurs nationales la puissance des grands, abaissĂ©e et contenue par l’administration despotique et vigoureuse du cardinal de Richelieu, cherchait encore Ă  lutter contre l’autoritĂ©; mais Ă  l’esprit de faction on avait substituĂ© l’esprit d’intrigue. L’intrigue n’était pas alors ce qu’elle est aujourd’hui elle tenait Ă  des mƓurs plus fortes, et s’exercait sur des objets plus importants. On l’employait Ă  se rendre nĂ©cessaire ou redoutable; aujourd’hui elle se borne Ă  flatter et Ă  plaire. Elle donnait de l’activitĂ© Ă  l’esprit, au courage, aux talents, aux vertus mĂȘme; elle n’exige aujourd’hui que de la souplesse et de la patience. Son but avait quelque chose de noble et d’imposant, c’était la domination et la puissance; aujourd’hui, petite dans ses vues comme dans ses moyens, la vanitĂ© et la fortune en sont le mobile et le terme. Elle tendait Ă  unir les hommes; aujourd’hui elle les IT NOTICE isole. Plus dangereuse alors, elle embarrassait l’administration et arrĂȘtait les progrĂšs d’un bon gouvernement; aujourd’hui, favorable Ă  l’autoritĂ©, elle ne fait que rapetisser les Ăąmes et avilir les mƓurs. Alors, comme aujourd’hui, les femmes en Ă©taient les principaux instruments; mais l’amour, ou ce qu’on honorait de ce nom, avait une sorte d’éclat qui en impose encore, et s’ennoblissait un peu en se mĂȘlant aux grands intĂ©rĂȘts de l’ambition ; au lieu que la galanterie de nos jours, dĂ©gradĂ©e elle-mĂȘme par les petits intĂ©rĂȘts auxquels elle s’associe, dĂ©grade et l’ambition et les ambitieux. L’esprit de faction se ranima Ă  la mort de Richelieu, La minoritĂ© de Louis XIV parut aux grands un moment favorable pour reprendre quelque influence sur les affaires publiques. M. de La Rochefoucauld fut entraĂźnĂ© par le mouvement gĂ©nĂ©ral; et des intĂ©rĂȘts de galanterie concoururent Ă  l’engager dans la guerre de la Fronde guerre ridicule, parce qu’elle se faisait sans objet, sans plan, et sans chef, et qu’elle n’avait pour mobile que l’inquiĂ©tude de quelques hommes, plus intrigants qu’ambitieux, fatiguĂ©s seulement de l’inaction et de l’obĂ©issance. II Ă©tait alors l’amant de la duchesse de Longueville. On sait qu’ayant Ă©tĂ© blessĂ© au combat de Saint-Antoine d’un coup de mousquet qui lui fit perdre quelque temps la vue, il s’appliqua ces deux vers connus de la tragĂ©die d 'AlcyonĂ©e de Duryer Pour mĂ©riter son cƓur, pour plaire Ă  ses beaux yeux, J’ai fait la guerre aux rois, je l’aurais faite aux dieux. Lorsqu’il se brouilla ensuite avec madame de Longueville, il parodia ainsi ces vers Pour ce cƓur inconstant, qu’enfin je connais mieux, J’ai fait la guerre aux rois, j’en ai perdu les yeux. On voit par la vie du duc de La Rochefoucauld qu’il s’en- SUR LA ROCHEFOUCAULD. T gageait aisĂ©ment dans une intrigue, mais que bientĂŽt il montrait pour en sortir autant d’impatience qu’il en avait mis Ă  y entrer. C’est ee que lui reproche le cardinal de Retz, et ce qu’il attribue Ă  une irrĂ©solution naturelle qu’il ne sait comment expliquer. Il est aisĂ©, ce me semble, de trouver dans le caractĂšre de M. de La Rochefoucauld une cause plus vraisemblable de cette conduite. Avec sa douceur naturelle, sa facilitĂ© de mƓurs, son goĂ»t pour la galanterie, il lui Ă©tait difficile de ne pas entrer dans quelque parti au milieu d'une cour oĂč tout Ă©tait parti, et oĂč l’on ne pouvait rester neutre sans ĂȘtre au moins accusĂ© de faiblesse. Mais avec cette raison supĂ©rieure, cette probitĂ© sĂ©vĂšre, cet esprit juste, conciliant et observateur, que ses contemporains ont reconnus en lui, comment eĂ»t-il pu s’accommoder longtemps de ces intrigues, oĂč le bien public n’était tout au plus qu’un prĂ©- texte; oĂč chaque individu ne portait que ses passions et ses vues particuliĂšres, sans aucun but d’utilitĂ© gĂ©nĂ©rale ; oĂč j les affaires les plus graves se traitaient sans dĂ©cence et sans principes; oĂč les plus grands intĂ©rĂȘts Ă©taient sans cesse sa- crifiĂ©s aux plus petits motifs; qui Ă©taient enfin le scandale de la raison comme du gouvernement? L’esprit de parti tient Ă  la nature des gouvernements libres il peut s’y concilier avec la vertu et le vĂ©ritable patriotisme. Dans une monarchie il ne peut ĂȘtre suscitĂ© que par un sentiment d’indĂ©pendance ou par des vues d’ambition personnelle, Ă©galement incompatibles avec un bon gouvernement; il y corrompt le germe de toutes les vertus, quoiqu’il pujssey mettre en activitĂ© des qualitĂ©s brillantes qui ressemblent Ă  des vertus. C’est ce que M. de La Rochefoucauld ne pouvait manquer de sentir. Ainsi, quoiqu’il eĂ»t Ă©tĂ© une partie de sa vie engagĂ© dans des intrigues de parti, oĂč sa facilitĂ© et VI NOTICE ses liaisons semblaient l’entretenir malgrĂ© lui, on voit que son caractĂšre le ramenait Ă  la vie privĂ©e, oĂč il se fixa enfin, et oĂč il sut jouir des charmes de l’amitiĂ© et des plaisirs de l’esprit. On connaĂźt la tendre amitiĂ© qui l’unit jusqu’à la fin de fia vie Ă  madame de La Fayette. Les lettres de madame de SĂ©vignĂ© nous apprennent que sa maison Ă©tait le rendez- vous de ce qu’il y avait de plus distinguĂ© Ă  la cour et Ă  la ville par le nom, l’esprit, les talents, et la politesse. C’est au milieu de cette sociĂ©tĂ© choisie qu’il composa ses MĂ©moires et ses RĂ©flexions morales. Ses MĂ©moires sont Ă©crits avec une Ă©lĂ©gance noble et un grand air de sincĂ©ritĂ©; mais les Ă©vĂ©nements qui en font le sujet ont beaucoup perdu de l’intĂ©rĂȘt qu’ils avaient alors. On ne peut trop s’étonner que Bayle 1 ait donnĂ© la prĂ©fĂ©rence Ă  ces MĂ©moires sur les Commentaires de CĂ©sar; la postĂ©ritĂ© en a jugĂ© bien autrement. Nous nous en tiendrons Ă  ce mot de M. de Voltaire, dans la notice des Ă©crivains du siĂšcle de Louis XIV a Les MĂ©moires du' duc de La Rochefoucauld sont lus, et l’on sait par cƓur ses Pen- sĂ©es. » C’est en effet le livre des PensĂ©es qui a fait la rĂ©putation de M. de La Rochefoucauld. Nous ne le louerons qu’en citant encore M. de Voltaire quels Ă©loges pourraient avoir plus de grĂące et d’autoritĂ©? a Un des ouvrages, dit ce grand homme % qui contribuĂšrent le plus Ă  former le e goĂ»t de la nation, et Ă  lui donner un esprit de justesse b et de prĂ©cision, fut le recueil des Maximes de François a duc de La Rochefoucauld. Quoiqu’il n’y ait presque a qu’une vĂ©ritĂ© dans ce livre, qui est que l’amour-propre a est le mobile de tout , cependant cette pensĂ©e se prĂ©sente 1 Dictionnaire critique, article CĂ©sar. * SiĂšcle de Louis XIV , chapitre xxxii, des beaux-arts. SUR LA ROCHEFOUCAULD. VII sous tant d’aspects variĂ©s, qu’elle est presque toujours piquante c’est moins un livre que des matĂ©riaux pour orner un livre. On lut avidement ce petit recueil il accoutuma Ă  penser, et Ă  renfermer ses pensĂ©es dans un tour vif, prĂ©cis, et dĂ©licat. C’était un mĂ©rite que personne n’avait eu avant lui en Europe depuis la renais- sance des lettres. » Cet ouvrage parut d’abord anonyme. 11 excita une grande curiositĂ© on le lut avec aviditĂ©, et on l’attaqua avec acharnement. On l’a rĂ©imprimĂ© souvent, et on l’a traduit dans toutes les langues. Il a fait faire beaucoup d’autres livres ; partout enfin, et dans tous les temps, il a trouvĂ© des admirateurs et des censeurs. C’est lĂ , ce me semble, le sceau du plus grand succĂšs pour les productions de l’esprit humain. On a accusĂ© M. de La Rochefoucauld de calomnier la nature humaine le cardinal de Retz lui-mĂȘme lui reproche de ne pas croire assez Ă  la vertu. Cette imputation peut avoir quelque fondement ; mais il nous semble qu’on l’a poussĂ©e trop loin. M. de La Rochefoucauld a peint les hommes comme il les a vus. C’est dans les temps de factions et d’intrigues politiques qu’on a plus d’occasions de connaĂźtre les hommes et plus de motifs pour les observer c’est dans ce jeu continuel de toutes les passions humaines que les caractĂšres se dĂ©veloppent, que les faiblesses Ă©chappent, que l’hypocrisie se trahit, que l’intĂ©rĂȘt personnel se mĂȘle Ă  tout, gouverne et corrompt tout. En regardant l’amour-propre comme le mobile de toutes les actions, M. de La Rochefoucauld ne prĂ©tendait pas Ă©noncer un axiome rigoureux de mĂ©taphysique. Il n’exprimait qu’une vĂ©ritĂ© d’observation, assez gĂ©nĂ©rale pour ĂȘtre prĂ©sentĂ©e sous cette forme absolue et tranchante qui convient Ă  des pensĂ©es dĂ©tachĂ©es, et qu’on emploie tous VIII NOTICE les jours dans la conversation et dans les livres, en gĂ©nĂ©ralisant des observations particuliĂšres. Il n’appartenait qu’à un homme d’une rĂ©putation bien pure et bien reconnue d’oser flĂ©trir ainsi le principe de toutes les actions humaines. Mais il donnait l’exemple de toutes les vertus dont il paraissait contester mĂȘme l’existence. Il semblait rĂ©duire l’amitiĂ© Ă  un Ă©change de bons offices, et jamais il n’y eut d’ami plus tendre, plus fidĂšle, et plus dĂ©sintĂ©ressĂ©. La bravoure personnelle, dit ma- dame de Maintenon, lui paraissait une folie, et Ă  peine s’en cachait-il ; il Ă©tait cependant fort brave. » Il donna des preuves de la plus grande valeur au siĂšge de Bordeaux et au combat de Saint-Antoine. Sa vieillesse fut Ă©prouvĂ©e par les douleurs les plus cruelles de l’ñme et du corps. Il montra dans les unes la sensibilitĂ© la plus touchante, et dans les autres une fermetĂ© extraordinaire. Son courage ne l’abandonna jamais que dans la perte des personnes qui lui Ă©taient chĂšres. Un de ses fils fut tuĂ© au passage du Bhin, et l’autre y fut blessĂ©. J’ai vu, dit madame de SĂ©vignĂ©, son cƓur Ă  dĂ©couvert dans cette cruelle aventure ; il est au premier rang de tout ce que je connais de courage, de mĂ©rite, de tendresse, et de raison je compte pour rien son esprit et ses agrc- ments. » La goutte le tourmenta pendant les derniĂšres annĂ©es de sa vie, et le fit pĂ©rir dans des douleurs intolĂ©rables. Madame de SĂ©vignĂ©, qu’on ne peut se lasser de relire et de citer, peint d’une maniĂšre touchante les derniers moments de cet homme cĂ©lĂšbre. Son Ă©tat, dit-elle, est une chose digne d’admiration. Il est fort bien disposĂ© pour sa conscience voilĂ  qui est fait; mais du reste, c’est la maladie et la mort de son voisin dont il est question ; il n’en est pas effleurĂ©.... Ce n’est pas inutilement qu’il SUR LA ROCHEFOUCAUD. IX a fait des rĂ©flexions toute sa vie; il s’est approchĂ© de telle sorte de ces derniers moments, qu’ils n’ont rien de nouveau ni d’étrange pour lui. » Il mourut en 1680, laissant une famille dĂ©solĂ©e et des amis inconsolables. Il avait reçu de ses ancĂȘtres un nom illustre; il l’a transmis avec un nouvel Ă©clat Ă  des descendants dignes d’en ac croĂźtre l’honneur. Il y a des qualitĂ©s hĂ©rĂ©ditaires dans certaines familles. Le goĂ»t des lettres semble s’ĂȘtre perpĂ©tuĂ© dans la maison de La Rochefoucauld avec toutes les vertus des mƓurs anciennes, unies Ă  celles des temps plus Ă©clairĂ©s. Charles-Quiut, Ă  son voyage en France, fut reçu, en 1539, dans le chĂąteau de Verteuil, par l’aĂŻeule du duc de La Rochefoucauld. En quittant ce chĂąteau l’empereur dĂ©clara, suivant les paroles d’un historien contemporain, n’avoir jamais entrĂ© en maison qui mieux sentĂźt sa grande vertu, honnĂȘtetĂ©, et seigneurie, que celle-lĂ . » Un successeur de Charles-Quint aurait pu faire la mĂȘme observation chez les descendants de l’auteur des Maximes. Le dernier des descendants du duc de La Rochefoucauld qui ait portĂ© le titre de duc l’a honorĂ© par ses vertus, et y a ajoutĂ© une triste illustration, par sa fin Ă  jamais dĂ©plorable. DĂ©putĂ© de l’ordre de la noblesse aux Ă©tats gĂ©nĂ©raux, en 1789, il s’y montra ce qu’il avait Ă©tĂ© Ă  la cour du monarque, l’ami sincĂšre de la libertĂ© et le zĂ©lĂ© dĂ©fenseur des droits du peuple ; il y donna sans efforts l’exempie de tous les sacrifices de fortune et de distinction que lui parut exiger l’intĂ©rĂȘt public; mais il eut bientĂŽt Ă  gĂ©mir de l’inutilitĂ© de ses sacrifices, envoyant l’intrigue et l’esprit de faction dĂ©shonorer la plus belle des causes et tourner Ă  la dĂ©sorganisation de la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre une rĂ©volution dont le but n’avait Ă©tĂ© d’abord que l'amĂ©lioration de l’état social. * NOTICE AprĂšs la dissolution de l’AssemblĂ©e constituante, il fnt nommĂ© Ă  la prĂ©sidence du dĂ©partement de Paris. La considĂ©ration personnelle dont il Ă©tait environnĂ© et son inĂ©- branlable fermetĂ© dans tout ce qui Ă©tait bon et juste ne pouvaient manquer de le rendre trĂšs-odieux aux vils bri- ' gands qui commençaient Ă  s’emparer de la domination. ' C’est une vertu trop incommode, » disait l’un d’eux avec une fĂ©roce naĂŻvetĂ©. Sa mort fut rĂ©solue. Il Ă©tait allĂ© Ă  Forges, joindre sa mĂšre et sa femme, deux personnes que l’union des plus rares vertus met au-dessus de tout Ă©loge; il revenait avec elles par Gisors c’est lĂ  [u’aprĂšs avoir Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© par une troupe de sicaires envoyĂ©s de Paris, il fut massacrĂ© avec une cruautĂ© sans exemple, publiquement, en plein jour, presque sous les yeux de sa mĂšre, de sa femme, et d’un ami, sans qu’au- i cune puissance humaine pĂ»t venir Ă  son secours. Cet ami qui eut le malheur d’ĂȘtre tĂ©moin de cet horrible meurtre a rendu Ă  M. de La Rochefoucauld un hommage qui mĂ©rite d’ĂȘtre recueilli ici. Une perte qui intĂ©resse les sciences et les lettres, et qui surtout a dĂ» porter une sombre affliction dans le cƓur de tous ceux qui cultivent les vertus morales, ra nime toute ma sensibilitĂ©. Comment arracher de mon souvenir un assassinat commis sous mes yeux, et presque dans mes bras, sous les yeux et presque dans les bras de sa mĂšreetdesafemme?... Je m’acquitterai envers sa mĂ©moire de ce tribut d’estime et de vĂ©nĂ©ration que rĂ©clament ses j vertus; je dirai que sa conduite fut toujours d’accord avec les principes qu’il avait puisĂ©s dans une saine philosophie ; car il n’eut pas une pensĂ©e qui ne fĂ»t avouĂ©e par la raison et la justice ; il n’eut pas un dĂ©sir qui ne fĂ»t dirigĂ© vers l’utilitĂ© publique ; il n’eut pas une intention qui ne fĂ»t pure, qui ne fĂ»t exempte de toute tache d’intĂ©rĂȘt per- SUR LA ROCHEFOUCAULD. xi sonnel ; il ne se permit pas une action, il ne hasarda pas une dĂ©marche, qui n’eĂ»t pour objet le plus grand avantage de son pays. Je pourrais me dispenser de le nommer il n’est personne qui se mĂ©prenne sur cet homme qui porta sans orgueil un nom illustre, qui re- nonça sans regret et sans ostentation aux distinctions les plus flatteuses, et qui força l’envie Ă  lui pardonner une grande fortune, parce qu’il en jouissait avec simpli- citĂ© et bienfaisance il n’est personne qui ne reconnaisse M. de La Rochefoucauld lorsque je parle de celui dont la vie privĂ©e fut une leçon de morale, comme sa vie politique fut une leçon de patriotisme Ă©clairĂ©.... Son amitiĂ© m’honorait depuis vingt ans ; depuis vingt ans je m’enorgueillissais de mes liaisons avec lui. Ses derniĂšres paroles me furent adressĂ©es il recommandait Ă  mes soins sa mĂšre et sa femme, prĂ©sentes Ă  cet affreux spectacle, l’esprit croit toujours, pĂ rson habiletĂ© et par ses raisonnements, faire faire u au cƓur ce qu’il veut ; mais il se trompe, il en est la dupe; c’est toujours le cƓur qui fait agir l’esprit; l’on sert tous ses mouvements, malgrĂ© que * l’on en ait, et l’on les suit, mĂȘme sans croire les suivre. > AimĂ© Maktln. 32 MAXIMES exil Les dĂ©fauts de l’esprit augmentent en vieillissant, comme ceux du visage. cxm ll y a de bons mariages; mais il n’y en a point de dĂ©licieux. exiv On ne se peut consoler d’ĂȘtre trompĂ© par ses ennemis et trahi par ses amis, et l’on est souvent satisfait de l’ĂȘtre par soi-mĂȘme. cxv Il est aussi facile de se tromper soi-mĂȘme sans s’en apercevoir, qu’il est difficile de tromper les autres sans qu’ils s’en aperçoivent. cxvi Rien n’est moins sincĂšre que la maniĂšre de demander et de donner des conseils. Celui qui en demande paraĂźt avoir une dĂ©fĂ©rence respectueuse pour les sentiments de son ami, bien qu’il ne pense qu’à lui faire approuver les siens, et Ă  le rendre garant de sa conduite; et celui qui conseille paye la confiance qu’on lui tĂ©moigne d’un zĂšle ardent et dĂ©sintĂ©ressĂ©, quoiqu’il ne cherche le plus souvent, dans les conseils qu’il donne, que son propre intĂ©rĂȘt ou sa gloire. cxvuLa plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre de tomber dans les piĂšges qu’on nous tend ; et l’on n’est jamais si aisĂ©ment trompĂ© que quand on songe Ă  tromperies autres. cxvm L’intention de ne jamais tromper nous expose Ă  ĂȘtre souvent trompĂ©s. exix Ăźious sommes si accoutumĂ©s Ă  nous dĂ©guiser aux autres, qu’enfin nous nous dĂ©guisons Ă  nous-mĂȘme'. exx L’on fait plus souvent des trahisons par faiblesse que par un dessein formĂ© de trahir. * f'ar. La coutume gue nous avons de nous dĂ©guiser aux autres » pour acquĂ©rir leur estime, fait qu’enfin nous nous dĂ©guisons Ă  nous-mĂȘme. 1665, n° 123, DE LA ROCHEFOUCAULD. 33 cxxi On l'ait souvent du bieu pour pouvoir impunĂ©ment faire du mal. cxxii Si nous rĂ©sistons Ă  nos passions, c’est plus par leur faiblesse que par notre force. cxxiii On n’aurait guĂšre de plaisir si on ne se flattait jamais. cxxiv Les plus habiles affectent toute leur vie de blĂąmer les finesses, pour s’en servir en quelque grande occasion et pour quelque grand intĂ©rĂȘt. cxxv L’usage ordinaire de la finesse est la marque d’un petit esprit, et il arrive presque toujours que celui qui s’en sert pour se couvrir en un endroit se dĂ©couvre en un autre. cxxvi Les finesses et les trahisons ne viennent que du manque d’habiletĂ© *. cxxvn Le vrai moyen d’ĂȘtre trompĂ©, c’est de se croire plus fin que les autres. cxxviii La trop grande subtilitĂ© est une fausse dĂ©licatesse et la vĂ©ritable dĂ©licatesse est une solide subtilitĂ©. cxxix 11 suffit quelquefois d’ĂȘtre grossier pour n’ĂȘtre pas trompĂ© par un habile homme. cxxx La faiblesse est le seul dĂ©faut que l’on ne saurait corriger. cxxxi Le moindre dĂ©faut des femmes qui se sont abandonnĂ©es Ă  faire l’amour, c’est de faire l’amour. * Var. Si on Ă©tait toujours assez habile , on ne ferait jamais de finesses ni de trahisons. 1665, n° 128. 34 MAXIMES . Il est plus aisĂ© d’ĂȘtre sage pour les autres qiue de l’ĂȘtre pour soi-mĂȘme. cxxxm Les seules bonnes copies sont celles qui font voir le ridicule des mĂ©chants originaux *. cxxxiv On n’est jamais si ridicule parles qualitĂ©s que l’on a que par celles que i’on affecte d’avoir. cxxxv On est quelquefois aussi diffĂ©rent de soi-mĂȘme que des autres. cxxxvi Il y a des gens qui n’auraient jamais Ă©tĂ© amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour. cxxxvn On parle peu quand la vanitĂ© ne fait pas parler {**. cxxxvm On aime mieux dire du mal de soi-mĂȘme que de n’en point parler cxxxix Une des choses qui fait que l’on trouve Ă  peu de gensquiparaissentraisonnables et agrĂ©ables dans la conversation, c’est qu’il n’y a presque personne qui ne pense plutĂŽt Ă  ce qu’il veut dire qu'Ă  rĂ©pondre prĂ©cisĂ©ment Ă  ce qu’on lui dit. Les plus habiles et les plus complaisants se contentent de montrer seulement une mine attentive, au mĂȘme temps que l’on voit dans leurs yeux et dans leur esprit un Ă©garement pour ce qu’on leur dit, et une prĂ©cipitation pour retourner Ă  ce qu’ils veulent dire ; au lieu de considĂ©rer que c’est un mauvais moyen de plaire aux autres ou de les persuader, que de chercher si fort Ă  se plaire Ă  soi-mĂȘme, et que bien Ă©couter et bien rĂ©pondre est une des plus grandes perfections qu’on puisse avoir dans la conversation. * Far, Dans l’édition ae 1666 , qui est celle oĂč cette rĂ©flexion a paru pour la premiĂšre fois, on lit des excellents originaux, au lieu de des mĂ©chants originaux- "* Var. Quand la vanitĂ© ne fait point parler, on n’a pas envie de dire grand’- chose. 1665, n DE LA ROCHEFOUCAULD. 3!> Ccxl Un homme d’esprit serait souvent bien embarrassĂ© sans la compagnie des sots. cxli Nous nous vantons souvent de ne nous point ennuyer, etnous sommes si glorieux, que nous ne voulons pas nous trouver de mauvaise compagnie *. cxlii Comme c’est le caractĂšre des grands esprits de faire entendre en peu de paroles beaucoup de choses, les petits esprits, au contraire, ont le don de beaucoup parler et de ne rien dire. cxliii C’est plutĂŽt par l’estime de nos propressentiments que nous exagĂ©rons les bonnes qualitĂ©s des autres, que par l’estime de leur mĂ©rite ; et nous voulons nous attirer des louanges lorsqu’il semble que nous leur en donnons. cxliv On n’aime point Ă  louer, et on ne loue jamais personne sans intĂ©rĂȘt. La louange est une flatterie habile, cachĂ©e et dĂ©licate, qui satisfait diffĂ©remment celui qui la donne et celui qui la reçoit l’un la prend comme une rĂ©compense de son mĂ©rite ; l’autre la donne pour faire remarquer son Ă©quitĂ© et son discernement. cxlv Nous choisissons souvent des louanges empoisonnĂ©es , qui font voir par contre-coup en ceux que nous louons des dĂ©fauts que nous n’osons dĂ©couvrir d’une autre sorte. cxlvi On ne loue d’ordinaire que pour ĂȘtre louĂ©. cxlvii Peu de gens sont assez sages pour prĂ©fĂ©rer le blĂąme qui leur est utile Ă  la louange qui les trahit. cxlviii Il y a des reproches qui louent, et des louanges qui mĂ©disent. * e"ar. On se vante souvent mal Ă  propos de ne se point ennuyer ; et l’homme est si glorieux, qu’il ne veut pas se trouver de mauvaise compagnie. 1665, n° 143. 3G MAXIMES cxlix Le refus des louanges est un dĂ©sir d’ĂȘtre louĂ© deux I fois *‱ cl Le dĂ©sir de mĂ©riter les louanges qu’on nous donne j fortifie notre vertu ; et celles que l’on donne Ă  l’esprit, Ă  la valeur l et Ă  la beautĂ©, contribuent Ă  les augmenter **. j cli Il est plus difficile de s’empĂȘcher d’ĂȘtre gouvernĂ© que 1 de gouverner les autres *. clii Si nous ne nous flattions pas nous-mĂȘme, la flatterie des autres ne nous pourrait nuire. clui La nature fait le mĂ©rite, et la fortune la met en Ɠuvre. ; i cliv La fortune nous corrige de plusieurs dĂ©fauts que la ! raison ne saurait corriger. i clv Il y a des gens dĂ©goĂ»tants avec du mĂ©rite, et d’autres qui plaisent avec des dĂ©fauts ***. clvi Il y a des gens dont tout le mĂ©rite consiste Ă  dire et Ă  faire des sottises utilement, et qui gĂąteraient tout s’ils changeaient de conduite. * Far. La modestie qui semble refuser les louanges n’est en effet qu’un dĂ©sir d’en avoir de plus dĂ©licates. 1665, n° 147. *+ Far, L’approbation que l’on donne Ă  l’esprit, Ă  la beautĂ© et Ă  la valeur, Jes augmente, les perfectionne, et leur fait faire de plus grands effets qu’ils n’auraient Ă©tĂ© capables de faire d’eux-mĂȘmes, 1665, n 156. 1 ThĂ©mistode, montrant son fils, disait que c’était le plus puissant homme de la GrĂšce pour ce que les AthĂ©niens commandent au demourant de la GrĂšce, je commande aux AthĂ©niens, sa mĂšre Ă  moi, et lui Ă  sa mĂšre » *. AimĂ© Martin . *** F’ar. Comme il y a de bonnes viandes qui affadissent le cƓur, il t a un mĂ©rite fade, et des personnes qui dĂ©goĂ»tent avec des qualitĂ©s bonnes et estimables. 1665, n° 162. Plutarque, Âpophthegme», DE LA ROCHEFOUCAULD. 37 clvii La gloire des grands hommes se doit toujours mesurer aux moyens dont ils se sont servis pour l’acquĂ©rir. clviii La flatterie est une fausse monnaie qui n'a de cours que par notre vanitĂ©. clix Ce n’est pas assez d’avoir de grandes qualitĂ©s, il en ut avoir l’économie. clx Quelque Ă©clatante que soit une action, elle ne doit pas passer pour grande lorsqu’elle n’est pas l’effet d’un grand dessein. clxi 11 doit y avoir une certaine proportion entre les actions et les desseins, si on en veut tirer tous les effets qu’elles peuvent produire. clxii L’art de savoir bien mettre en oeuvre de mĂ©diocres qualitĂ©s dĂ©robe l’estime, et donne souvent plus de rĂ©putation que le vĂ©ritable mĂ©rite. clxiii Il y a une infinitĂ© de conduites qui paraissent ridicules , et dont les raisons cachĂ©es sont trĂšs-sages et trĂšs- solides. clxiv Il est plus facile de paraĂźtre digne des emplois qu’on n’a pas que de ceux que l’on exerce clxv Notre mĂ©rite nous attire l’estime des honnĂȘtes gens, et notre Ă©toile celle du public. 1 Dans les premiĂšres Ă©ditions l'auteur disait Il va des gens qui parais- sent mĂ©riter certains emplois, dont ils font voir eux-mĂȘmes qu'ils sont indignes. » D'aprĂšs une remarque de Segrais, cette maxime fut faite Ă  l'occasion de madame de Montausier, Ă  qui la cour fit oublier tous ses anciens amis. La tournure de la pensĂ©e, telle que l'auteur i'a refaite, parait empruntĂ©e de Tacite, qui disait, en parlant d’un empereur romain ‱ 11 eĂ»t paru digne de l'empire s’il n'avait jamais rĂ©gnĂ©. ‱ AimĂ© Martin. MAXIMES, SENTENCES ETC. > 38 MAXIMES clxvi Le monde rĂ©compense plus souvent les apparences du mĂ©rite que le mĂ©rite mĂȘme. clxvti L’avarice est plus opposĂ©e Ă  l’économie que la libĂ©ralitĂ©. clxviii L’espĂ©rance, toute trompeuse qu’elle est, sert au moins Ă  nous mener Ă  la fin de la vie par un chemin agrĂ©able. clxix Pendant que la paresse et la timiditĂ© nous retiennent dans notre devoir, notre vertu en a souvent tout l’honneur *. ctxx Il est difficile de juger si un procĂ©dĂ© net, sincĂšre et honnĂȘte, est un effet de probitĂ© ou d’habiletĂ©. clxxi Les vertus se perdent dans l’intĂ©rĂȘt, comme les fleuves se perdent dans la mer. clxxii Si on examine bien les divers effets de l’ennui, on trouvera qu’il fait manquer Ă  plus de devoirs que l’intĂ©rĂȘt. clxxiii Il y a diverses sortes de curiositĂ©s l’une d’intĂ©rĂȘt, qui nous porte Ă  dĂ©sirer d’apprendre ce qui nous peut ĂȘtre utile ; et l’autre d’orgueil, qui vient du dĂ©sir de savoir ce que les autres ignorent **. clxxiv 11 vaut mieux employer notre esprit Ă  supporter les infortunes qui nous arrivent, qu’à prĂ©voir celles qui nous peuvent arriver. clxxv La constance en amour est une inconstance perpĂ©- * Var. Pendant que la paresse et la timiditĂ© ont seules le mĂ©rite de nous tenir dans notre devoir, notre vertu en a tout l’honneur. 1665, n 177. *** Par. La curiositĂ© n’est pas, comme l’on croit, un simple amour de la nouveautĂ©; il y en a une d’intĂ©rĂȘt, qui fait que nous voulons savoir les choses pour nous en prĂ©valoir; il yen aune autre d’orgueil, qui nous donne envie d’ĂȘtre au-dessus de ceux qui ignorent les choses, et de n’ĂȘtre pas au-dessous de ceux qui les savent. 1665 n° 1S2. N. DE LA ROCHEFOUCAULD 39 luelle, qui fait que notre cƓur s’attache successivement Ă  toutes les qualitĂ©s de la personne que nous aimons , donnant tantĂŽt la prĂ©fĂ©rence Ă  l’une, tantĂŽt Ă  l’autre ; de sorte que cette constance n’est qu’une inconstance arrĂȘtĂ©e et renfermĂ©e dans un mĂȘme sujet. clxxvi 11 y a deux sortes de constance en amour l’une vient de ce que l’on trouve sans cesse dans la personne que l’on aime de nouveaux sujets d’aimer; et l’autre vient de ce que l’on se fait un honneur d’ĂȘtre constant. clxxvii La persĂ©vĂ©rance n’est digne ni de blĂąme ni de louange, parce qu’elle n’est que la durĂ©e des goĂ»ts et des sentiments , qu’on De s’îte et qu’on ne se donne point. clxxviii Ce qui nous fait aimer les nouvelles connaissances n’est pas tant la lassitude que nous avons des vieilles , ou le plaisir de changer, que le dĂ©goĂ»t de n’ĂȘtre pas assez admirĂ©s de ceux qui nous connaissent trop, et l’espĂ©rance del’ĂȘtre davantage de ceux qui ne nous connaissent pas tant. clxxix Nous nous plaignons quelquefois lĂ©gĂšrement de nos amis, pour justifier par avance notre lĂ©gĂšretĂ©. clxxx Notre repentir n’est pas tant un regret du mal que nous avons fait, qu’une crainte de celui qui nous en peut arriver. clxxxi Il y a une inconstance qui vient delĂ  lĂ©gĂšretĂ© de l’esprit, ou de sa faiblesse, qui lui fait recevoir toutes les opinions d’autrui ; et il y en a une autre, qui est plus excusable, qui vient du dĂ©goĂ»t des choses. clxxxii Les vices entrent dans la composition des vertus, comme les poisons entrent dans la composition des remĂšdes. La prudence les assemble et les tempĂšre, et elle s’en sert utilement contre les maux de la vie. 40 MAXIMES clxxxiii Il faut demeurer d’accord, Ă  l’honneur delĂ  vertu, que les plus grands malheurs des hommes sont ceux oĂč ils tom- I bent par les crimes. 1 clxxxiv Nous avouons nos dĂ©fauts, pour rĂ©parer par notre I sincĂ©ritĂ© le tort qu’ils nous font dans l’esprit des autres *. j clxxxv Il y a des hĂ©ros en mal comme en bien. jj clxxxvi On ne mĂ©prise pas tous ceux qui ont des vices ; 5 mais on mĂ©prise tous ceux qui n’ont aucune vertu **. clxxxvii Le nom de la vertu sert Ă  l’intĂ©rĂȘt aussi utilement > que les vices. ; 1 CLXxxyiii La santĂ© de l’ñme n’est pas plus assurĂ©e que celle J du corps ; et quoique l’on paraisse Ă©loignĂ© des passions, on n’est j pas moins en danger de s’y laisser emporter que de tomber j malade quand on se porte bien. ^ clxxxĂŻx 11 semble que la nature ait prescrit Ă  chaque i homme, dĂšs sa naissance , des bornes pour les vertus et pour les vices. \ cxc Il n’appartient qu’aux grands hommes d’avoir de -> grands dĂ©fauts. j cxci On peut dire que les vices nous attendent dans le ’ cours de la vie, comme des hĂŽtes chez qui il faut successivement j loger ; et je doute que l’expĂ©rience nous les fĂźt Ă©viter, s’il nous j Ă©tait permis de faire deux fois le chemin r . * Far. Nous avouons nos dĂ©fauts, afio qu’en donnant bonne opinion ue justice de notre esprit, nous rĂ©parions le tort qu’ils nous ont fait dans l’esprit des autres 16Gb, n° 193. Nous n’avouons jamais nos dĂ©fauts que par vanitĂ© 1665, n° 200. ** Far. On peut haĂŻr et mĂ©priser les vices, sans haĂŻr et mĂ©priser les vicieux ; mais on a toujours du mĂ©pris pour ceux qui manquent de vertu. 1665, n° 195. 1 Pour bien entendre la pensĂ©e de La Rochefoucauld il faut substituer le DE LA ROCHEFOUCAULD. 4l cxcii Quand les vices nous quittent, nous nous flattons j de la crĂ©ance que c’est nous qui les quittons. 1 I cxcui Il y a des rechutes dans les maladies de l’ñme comme dans celles du corps. Ce que nous prenons pour notre guĂ©rison t’est le plus souvent qu’un relĂąche ou un changement de mal. i cxciv Les dĂ©fauts de l’ñme sont comme les blessures du corps quelque soin qu’on prenne de les guĂ©rir, la cicatrice paraĂźt toujours, et elles sont Ă  tout moment en danger de se rouvrir. cxcv Ce qui nous empĂȘche souvent de nous abandonner Ă  un seul vice est que nous en avons plusieurs. cxcvr Nous oublions aisĂ©ment nos fautes lorsqu’elles ne sont sues que de nous *. cxcvn Il y a des gens de qui l’on peut ne jamais croire du mal sans l’avoir vu ; mais il n’y en a point en qui il nous doive surprendre en le voyant. i cxcviii Nous Ă©levons la gloire des uns pour abaisser celle ' des autres; et quelquefois on louerait moins monsieur le Prince et monsieur de Turenne si on ne les voulait point blĂąmer tous i deux. { ! cxcix Le dĂ©sir de paraĂźtre habile empĂȘche souvent de le ; devenir. ce La vertu n’irait pas si loin si la vanitĂ© ne lui tenait compagnie. mot passion au mot vice. Vauvenargues a dit L’utilitĂ© de la vertu est si manifeste, que les mĂ©chants la pratiquent par intĂ©rĂȘt.,» AimĂ© Martin. * Far, Quand il n’y a que nous qui savons nos crimes ils sont bientĂŽt oubliĂ©s. 1665 , n° 207. MAXIMES tl cci Celui qui croit pouvoir trouver en soi -mĂȘme de qud se passer de tout le monde se trompe fort ; mais celui qui iroit qu’on ne peut se passer de lui se trompe encore davantage. ccii Les faux honnĂȘtes gens sont ceux qui dĂ©guisent loirs dĂ©fauts aux autres et Ă  eux-mĂȘmes ; les vrais honnĂȘtes gens ;onl ceux qui les connaissent parfaitement et les confessent. ccm Le vrai honnĂȘte homme est celui qui ne se piqus de rien. ccrv La sĂ©vĂ©ritĂ© des femmes est un ajustement et un ard qu’elles ajoutent Ă  leur beautĂ© *. ccv L’honnĂȘtetĂ© des femmes est souvent l’amour de eur rĂ©putation et de leur repos. ccvi C’est ĂȘtre vĂ©ritablement honnĂȘte homme que de Xu- loir ĂȘtre toujours exposĂ© Ă  la vue des honnĂȘtes gens. ccvn La folie nous suit dans tous les temps de la vie Si quelqu’un paraĂźt sage, c’est seulement parce que ses folies ont proportionnĂ©es Ă  son Ăąge et Ă  sa fortune. ccvm Il y a des gens niais qui se connaissent et qubm- ploient habilement leur niaiserie. ccix Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il croit. ccx En vieillissant on devient plus fou et plus sage. ccxi Il y a des gens qui ressemblent aux vaudevilles, q’on ne chante qu’un certain temps **. M Var. Dans la premiĂšre Ă©dition la pensĂ©e se terminait ainsi C'et nn aitrait fin et dĂ©licat, et une douceur dĂ©guisĂ©e. * 1665, n° 216. ** yar. 11 y des gens qui ressemblent aux vaudevilles, que tout le ronde hante un certain temps, quelque fades et dĂ©goĂ»tants qu’ils soient. 1665, n°?23j DE LA ROCHEFOUCAULD. 43 ,'ccxn La plupart des gens ne jugent des hommes que par la vogue qu’ils ont ou par leur fortune. ccxiii L’amour de la gloire, la crainte de la honte, le dessein de faire fortune, le dĂ©sir de rendre notre vie commode et agrĂ©able, et l’envie d’abaisser les autres, sont souvent les causes de cette valeur si cĂ©lĂšbre parmi les hommes. ccxiv La valeur est dans les simples soldats un mĂ©tier pĂ©rilleux qu’ils ont pris pour gagner leur vie. ccxv La parfaite valeur et la poltronnerie complĂšte sont deux extrĂ©mitĂ©s oĂč l’on arrive rarement. L’espace qui est entre deux est vaste, et contient toutes les autres espĂšces de courage. Il n’y a pas moins de diffĂ©rence entre elles qu’entre les visages et les humeurs. Il y a des hommes qui s’exposent volontiers au commencement d’une action et qui se relĂąchent et se rebutent aisĂ©ment par sa durĂ©e. Il y en a qui sont contents quand ils ont satisfait Ă  l’honneur du monde, et qui font fort peu de chose au delĂ . On en voit qui ne sont pas toujours Ă©galement maĂźtres de leur peur. D’autres se laissent quelquefois entraĂźner Ă  des terreurs gĂ©nĂ©rales ; d’autres vont Ă  la charge parce qu’ils n’osent demeurer dans leurs postes. Il s’en trouve Ă  qui l’habitude des moindres pĂ©rils affermit le courage et les prĂ©pare Ă  s’exposer Ă  de plus grands. Il y en a qui sont braves Ă  coups d’épĂ©e et qui craignent les coups de mousquet ; d’autressont assurĂ©s aux coups de mousquet et apprĂ©hendent de se battre Ă  coups d’épĂ©e. Tous ces courages de diffĂ©rentes espĂšces conviennent en ce que la nuit augmentant la crainte et cachant les bonnes et les mauvaises actions, elle donne la libertĂ© de se mĂ©nager. Il y a encore un autre mĂ©nagement plus gĂ©nĂ©ral car on ne voit point d’homme qui fasse tout ce qu’il serait capable de faire dans une occasion s’il Ă©tait assurĂ© d’en revenir ; de sorte qu’il est visible que la crainte de la mort ĂŽte quelque chose de la valeur. ccxvi La parfaite valeur est de faire sans tĂ©moins ce qu’or serait capable de faire devant tout le monde. 44 MAXIMES ccxvii L’intrĂ©piditĂ© est une force extraordinaire de l’ñme, qui l’élĂšve au-dessus des troubles, des dĂ©sordres et des Ă©motions que la vue des grands pĂ©rils pourrait exciter en elle ; et c’est par cette force que les hĂ©ros se maintiennent en un Ă©tat paisible , et conservent l’usage libre de leur raison dans les accidents les plus surprenants et les plus terribles. ccxvm L’bypocrisie est un hommage que le vice rend Ă  la vertu. ccxix La plupart des hommes s’exposent assez dans la guerre pour sauver leur honneur; mais peu se veulent toujours exposer autant qu’il est nĂ©cessaire pour faire rĂ©ussir le dessein pour lequel ils s’exposent. ccxx La vanitĂ©, la honte et surtout le tempĂ©rament, font .souvent la valeur des hommes et la vertu des femmes. ccxxi On ne veut point perdre la vie, et on veut acquĂ©rir de la gloire ce qui fait que les braves ont plus d’adresse et d’esprit pour Ă©viter la mort que les gens de chicane n’en ont pour conserver leur bien. ccxxn Il n’v a guĂšre de personnes qui dans le premier penchant de l’ñge ne fassent connaĂźtre par oĂč leur corps et leur esprit doivent dĂ©faillir. ccxxm Il est delĂ  reconnaissance comme de la bonne foi des marchands elle entretient le commerce ; et nous ne payons pas parce qu’il est juste de nous acquitter, mais pour trouver plus facilement des gens qui nous prĂȘtent. ccxxiv Tous ceux qui s’acquittent des devoirs de la reconnaissance ne peuvent pas pour cela se flatter d’ĂȘtre reconnaissants. ccxxv Ce qui fait le mĂ©compte dans la reconnaissance qu’on DE LA ROCHEFOUCAULD. 45 attend des grĂąces que l’on a faites, c’est que l’orgueil de celui qui donne et l’orgueil de celui qui reçoit ne peuvent convenir du bienfait. ccxxvi Le trop grand empressement qu’on a de s’acquitter j d’une obligation est une espĂšce d’ingratitude. ccxxvii Les gens heureux ne se corrigent guĂšre ; ils croieni toujours avoir raison quand la fortune soutient leur mauvaise conduite. ccxxvm L’orgueil ne veut pas devoir, et l’amour-propre ne veut pas payer. tccxxixLe bien que nous avons reçu de quelqu’un veut que nous respections le mal qu’il nous fait *. i ccxxx Rien n’est si contagieux que l’exemple, et nous ne faisons jamais de grands biens ni de grands maux qui n’en produisent de semblables. Nous imitons les bonnes actions par Ă©mulation, et les mauvaises par la malignitĂ© de notre nature , que la honte retenait prisonniĂšre et que l’exemple met en libertĂ©. vccx txi C’est une grande folie de vouloir ĂȘtre sage tout seul ccxxxii Quelque prĂ©texte que nous donnions Ă  nos affections, ce n’est souvent que l'intĂ©rĂȘt et la vanitĂ© qui les causent. ccxxxiii Il y adans les afflictions diverses sortes d’hypocrisie. Dans l une, sous prĂ©texte de pleurer la perte d’une personne qui nous est chĂšre, nous nous pleurons nous-mĂȘme; nous regrettons la bonne opinion qu’elle avait de nous ; nous pleurons la diminution de notre bien, de notre plaisir, de notre considĂ©ration. Ainsi les morts ont l’honneur des larmes qui ne coulent * Var. Le bien qu’on nous a fait veut que nous respections le mal que l’on nous fait aprĂšs. 1665 , n. 243. 46 MAXIMES que pour les vivants. Je dis que c’est une espĂšce d’hypocrisie, Ă  cause que dans ces sortes d’afflictions on se trompe soi-mĂȘme. 11 y a une autre hypocrisie qui n’est pas si innocente, parce qu’elle impose Ă  tout le monde c’est l’affliction de certaines personnes qui aspirentĂ  la gloire d’une belle et immortelle douleur. AprĂšs que le temps, qui consume tout, a fait cesser celle qu’elles avaient en effet, elles ne laissent pas d’opiniĂątrer leurs pleurs , leurs plaintes et leurs soupirs ; elles prennent un personnage lugubre, et travaillent Ă  persuader, par toutes leurs actions, que leur dĂ©plaisir ne finira qu’avec leur vie. Cette triste et fatigante vanitĂ© se trouve d’ordinaire dans les femmes ambitieuses. Comme leur sexe leur ferme tous les chemins qui mĂšnent Ă  la gloire, elles s’efforcent de se rendre cĂ©lĂšbres par la montre d’une inconsolable affliction. Il y a encore une autre espĂšce de larmes qui n’ont que de petites sources, qui coulent et se tarissent facilement. On pleure pour avoir la rĂ©putation d’ĂȘtre tendre, on pleure pour ĂȘtre plaint, on pleure pour ĂȘtre pleurĂ©, enfin on pleure pour Ă©viter la honte de ne pleurer pas. * ccxxxiv C’est plus souvent par orgueil que par dĂ©faut de lumiĂšres qu’on s’oppose avec tant d’opiniĂątretĂ© aux opinions les plus suivies on trouve les premiĂšres places prises dans le bon parti, et on ne veut point des derniĂšres. ccxxxv Nous nous consolons aisĂ©ment des disgrĂąces de nos amis lorsqu’elles servent Ă  signaler notre tendresse pour eux. ccxxxvi 11 semble que l’amour-propre soit la dupe de la bontĂ©, et qu’il s’oublie lui-mĂȘme lorsque nous travaillons pour l’avantage des autres. Cependant c’est prendre le chemin le plus assurĂ© pour arriver Ă  ses fins ; c’est prĂȘter Ă  usure, sous prĂ©texte de donner; c’est enfin s’acquĂ©rir tout le monde par uu moyen subtil et dĂ©licat *. * Vax, Qui considĂ©ra superficiellement tous les effets de la bontĂ© qui noue fait sortir hors de nous-mĂȘme, et qui nous immole continuellement Ă  l’avantage de tout le monde , sera tentĂ© de croire que lorsqu’elle agit l’amour*propre s’oublie et s’abandonne lui-mĂȘme, ou se laisse dĂ©pouiller et appauvrir sans s’en apercevoir. De sorte qu'il semble que l’amour-propre soit la dupe de la bontĂ© t DK LA ROCHEFOUCAULD, 47 » ccxxxvn Nul ne mĂ©rite d’ĂȘtre louĂ© de sa bontĂ© s’il n’a pat la force d’ĂȘtre mĂ©chant. Toute autre bontĂ© n’est le plus souvent qu’une paresse ou une impuissance de la volontĂ© *. ccxxxvnjIl n’est pas si dangereux de faire du mal Ă  la plupart des hommes que de leur faire trop de bien. ccxxxix Rien ne flatte plus notre orgueil que la confiant des grands, parce que nous la regardons comme un effet de notre mĂ©rite, sans considĂ©rer qu’elle ne vient le plus souvent que de vanitĂ© ou d'impuissance de garder le secret. ocxl On peut dire de l’agrĂ©ment sĂ©parĂ© de la beautĂ©, que c’est une symĂ©trie dont on ne sait point les rĂšgles, et un rapport secret des traits ensemble et des traits avec les couleurs et avec l'air de la personne. ccxli j La coquetterie est le fond de l’humeur des femmes; mais toutes ne la mettent pas en pratique, parce que la coquetterie de quelques-unes est retenue par la crainte ou par la raison. ccxlii On incommode souvent les autres quand on croit ne les pouvoir jamais incommoder. ccxliii Il y a peu de choses impossibles d’elles-mĂȘmes ; et l’application pour les faire rĂ©ussir nous manque plus que les moyens. ccxli v La souveraine habiletĂ© consiste Ă  bien connaĂźtre le prix des choses. cependant c’est le plus utile de tous les moyens dont l’amour-propre se sert pour arriver Ă  ses fins; c’est un chemin dĂ©robĂ© par oĂč il revient Ă  lui-mĂȘme plus riche et plus abondant, c’est un dĂ©sintĂ©ressement qu’il met Ă  une furieuse usure , c’est enfin un ressort dĂ©licat avec lequel il rĂ©unit, il dispose et tourne tous les hommes en sa faveur. 1665, n. 250. 1 11 est facile de reconnaĂźtre que la maxime de La Rochefoucauld est encore une critique du caractĂšre d’Anne d’Auiri ,he. Aime 48 MAXIMES ccxlv C’est une grande habiletĂ© que de savoir cacher son habiletĂ©. ccxlvi Ce qui paraĂźt gĂ©nĂ©rositĂ© n’est souvent qu’une ambition dĂ©guisĂ©e, qui mĂ©prise de petits intĂ©rĂȘts pour aller Ă  de plus grands. ccxLVtiLa fidĂ©litĂ© qui paraĂźt en la plupart des hommes n’est qu’une invention de l’amour-propre pour attirer la confiance; c’est un moyen de nous Ă©lever au-dessus des autres, et de nous rendre dĂ©positaires des choses les plus importantes * ccxlviii La magnanimitĂ© mĂ©prise tout pour avoir tout. ccxlixII n’v a pas moins d’éloquence dans le ton de la voix, dans les yeux et dans l’air de la personne, que dans le choix des paroles. cci. La vĂ©ritable Ă©loquence consiste Ă  dire tout ce qu’il faut, et Ă  ne dire que ce qu’il faut. ccli 11 y a des personnes Ă  qui les dĂ©fauts siĂ©ent bien, * f'ar. La fidĂ©litĂ© est une invention rare de l’amour-propre, par laquelle l’homme, s’érigeant en dĂ©positaire des choses prĂ©cieuses, se rend lui-mĂȘme infiniment prĂ©cieux; de tous les trafics de l’amour-propre, c’est celui oĂč il fai 4 ; le moins d’avances et de plus grands profits, c’est un raffinement de sa politique avec lequel il engage les hommes par leurs biens, par leur honneur, par leur libertĂ© et par leur vie, qu'ils sont forcĂ©s de confier en quelques occasions, Ă  Ă©lever l’homme fidĂšle au-dessus de tout le monde. 1665, n° 269. 1 Avec une semblable idĂ©e de la lidĂ©litĂ©, comment La Rochefoucauld a-t-il pu se plaindre de l’ingratitude d’Anne d'Autriche? Cette reine ne pouvait- elle pas lui dire Vous avez Ă©tĂ© fidĂšle Ă  mes intĂ©rĂȘts, mais c’était une inven- tion de votre amour-propre pour attirer ma confiance , que je ne puis vous donner; en un mot, je ne dois aucune reconnaissance Ă  une idĂ©litĂ© dont j’ai Ă©tĂ© le but et non l’objet? Qu’aurait-il pu rĂ©pondre? L’auteur aurait dĂ» dire La fidĂ©litĂ© qui parait en la plupart des courtisans, et non la plupart des hommes. Quand on a eu le malheur de vivre Ă  la cour, on peut avoir acquis le droit de juger les courtisans, mais non celui de calomnier le genre humain. AimĂ© Mabtin. DE LA ROCHEFOUCAULD. 49 , et d’autres qui sont disgraciĂ©es avec leurs bonnes qualitĂ©s [ cclti Il est aussi ordinaire de voir changer les goĂ»ts qu’il f est extraordinaire de voir changer les inclinations. I ccliii L’intĂ©rĂ©t met en Ɠuvre toutes sortes de vertus et de vices. ccliv L’humilitĂ© n’est souvent qu’une feinte soumission dont on se sert pour soumettre les autres. C’est un artifice de l’orgueil, qui s’abaisse pour s’élever; et bien qu’il se transforme en mille maniĂšres, il n’est jamais mieux dĂ©guisĂ© et plus capable de tromper que lorsqu’il se cache sous la figure de l’humilitĂ©. ! cclv Tous les sentiments ont chacun un ton de voix , des } gestes et des mines qui leur sont propres ; et ce rapport, bon ou mauvais, agrĂ©able ou dĂ©sagrĂ©able, est ce qui fait que les per- 1 sonnes plaisent ou dĂ©plaisent. cclvi Dans toutes les professions, chacun affecte une mine et un extĂ©rieur pour paraĂźtre ce qu’il veut qu’on le croie. Ainsi on peut dire que le monde n’est composĂ© que de mines. ^ cclvii La gravitĂ© est un mystĂšre du corps, inventĂ© pour cacher les dĂ©fauts de l’esprit. cclyxii Lebon goĂ»t vient plus du jugement quede l’esprit. ccltx Le plaisir de l’amour est d’aimer, et l’on est plus j heuçeux par la passion que l’on a que par celle que l’on donne. ; cclx La civilitĂ© est un dĂ©sir d’en recevoir et d’ĂȘtre es- timĂ© poli. I 1 RĂ©pĂ©titions des maximes 90, U>3 et 275. Ainsi, dans un des ouvrages les t olus courts de notre langue la mĂȘme pensĂ©e se retrouve quatre fois. ! Aime .Martin. 50 MAXIMES cclxi L’éducation que l’on donne d’ordinaire aux jeunes gens est un second amour-propre qu’on leur inspire. ccLxnIl n’y a point de passion oĂč l’amour de soi-mĂȘme rĂšgne si puissamment que dans l’amour ; et on est toujours plus disposĂ© Ă  sacrifier le repos de ce qu’on aime qu’à perdre le sien 1 Comme si Ton pouvait sacrifier le repos de ce qu’on aime sans perdre le sien ! Remarquez que l’amour de soi n’est ici que l’égoĂŻsme. HelvĂ©tius et les philosophes du dix-huitiĂšme siĂšcle ne l'ont pas autrement entendu. Ils savaient bien qu’avilir l’origine de nos sentiments, c’était avilir l’homme; et comme La Rochefoucauld, leur maĂźtre, ils espĂ©raient nous dĂ©rober la vĂ©ritĂ© Ă  la laveur d’une dĂ©finition incomplĂšte. L’amour de soi existe dans tous les hommes; mais il se partage en deux sentiments divers, qu’il est important de bien distinguer l’un nous dirige vers les choses physiques, l’autre vers les choses morales. C’est le double flambeau de notre double nature. Nous donnons au premier le nom d 'intĂ©rĂȘt physique, parce qu'il est le moteur de toutes les actions qui n’ont d’autre but que le bien-ĂȘtre matĂ©riel ; intĂ©rĂȘt trom* peur, qui nous persuade trop souvent que le mal peut produire le bien. La dĂ©bauche, les friponneries, la lĂąchetĂ©, ce qui amuse les sens, ce qui sauve le corps aux dĂ©pens de la vertu, sont les objets de cette passion. Mais il est un intĂ©rĂȘt d'un ordre supĂ©rieur, qui, loin de nuire Ă  la puretĂ© de nos actions, les rend dignes des regards de Dieu ; nous lui donnons le nom d 'intĂ©rĂȘt moral , parce que, nĂ©gligeant tous lesbiens matĂ©riels, il ne s’attache qu’à ceux de l’aine; et il ne faut pas le considĂ©rer comme l’ennemi du corps, il n'est que l’ennemi des excĂšs. Ainsi i’ainour de soi se divise en deux intĂ©rĂȘts de l’un vient notre faiblesse, de l’autre vient notre force; l’un est un faux calcul de l’esprit, l’autre est une sublime inspiration de l’ame ; et comme nous donnons au premier le nom d’égoĂŻsme, nous donnerons au second le nom de sagesse. Pris dans ce dernier sens, l’amour de soi devient un sentiment que la conscience Ă©claire et qui produit la vertu ; et pour tout rĂ©soudre par un exemple, voyez ce que l’intĂ©rĂȘt physique fit de TibĂšre et de Cromwell, voyez ce que l’intĂ©rĂȘt moral fit de Socrate et de FĂ©nelon. Cette distinction peut jeter un grand jour non-seulement sur le livre de La Rochefoucauld, mais encore sur ceux d’HelvĂ©tius et de ses disciples. Si tout nous semble vil dans l’homme des philosophes, c'est qu'ils ont confondu, a dessein, ces deux sortes d’intĂ©rĂȘt, ou, pour mieux dire, c’est qu’ils ont prĂ©sentĂ© l’intĂ©rĂȘt physique comme le mobile de toutes nos actions, quoiqu’il ne soit que la source de nos vices. Quant Ă  la maxime qui a servi de texte Ă  ces rĂ©flexions, elle reçoit naturellement l’application de nos principes. Celui qui est plus disposĂ© Ă  sacrifier le repos de ce qu'il aime qu'Ă  perdre le sien n’aime pas mĂȘme sa maĂźtresse comme il devrait aimer son prochain; DE LA ROCHEFOUCAULD. 51 cclxih Ce qu’on nomme libĂ©ralitĂ© n’est le plus souvent que la vanitĂ© de donner, que nous aimons mieux que ce que nous donnons et si l’on veut appeler cela de l’amour, il ne faut pas au moins en chercher la source dans l’intĂ©rĂȘt moral. En terminant, nous remarquerons que la maxime de La Rochefoucauld a Ă©tĂ© mise envers par Corneille, dans la troisiĂšme scĂšne du premier acte de liĂ©rĂ©nice, et, sans examiner si de pareilles idĂ©es sont bien Ă  leur place dans une tragĂ©die, nous mettrons sous les yeux du lecteur ce passage vraiment singulier DOMITIEN. Je trouve peu de jour Ă  croire qu’elle m'aime, Quand elle ne regarde et n’aime que soi-mĂšme. ALBIN. Seigneur, s’il m'est permis de parler librement, Dans toute la nature aime-t-on autrement? L’amour propre est la source en nous de tous les autre» ; C’en est le sentiment qui forme tous les nĂŽtres Lui seul allume , Ă©teint ou change nos dĂ©sirs, Les objets de nos vƓux le sont de nos plaisirs. VouS'mĂȘme qui brĂ»lez d’une ardeur si fidĂšle. Aimez-vous Domitie, ou vos plaisirs en elle? Et quand vous aspirez Ăč des liens si doux , Est-ce pour l'amour d'elle ou pour l’amour de vous? De sa possession l’aimable et chĂšre idĂ©e Tient vos sens enchantĂ©s et votre Ăąme obsĂ©dĂ©e; Mais si vous connaissiez quelques desseins meilleurs, Vous porteriez bientĂŽt toute cette Ăąme ailleurs. Sa conquĂȘte est pour vous le comble des dĂ©lices ; Vous ne vous figurez ailleurs que dos supplices ; C’est par lĂ  qu'elle seule a droit de vous charmer, Et vous n’aimez que vous quand vous croyez l’aimer. AimĂ© Martin. L’action de celui qui donne Ă©tant celle d’un Ă©goĂŻste, les sentiments de celui qui reçoit seront ceux d’un ingrat, Quepenseriez-vousd’un malheureux dont une main gĂ©nĂ©reuse viendrait soulager la misĂšre, et qui remercierait son bienfaiteur en lui disant ; Foire libĂ©ralitĂ© n’est que de la vanitĂ© , que vous aimez mieux que ce que vous me donnez ? Est-ce donc lĂ  ce que votre philosophie peut nous apprendre? Certes, on ne saurait trop le rĂ©pĂ©ter, une maxime i[ui pourrait dĂ©truire le repos du genre humain ne peut ĂȘtre qu’une maxime fausse. Ici vous tuez la reconnaissance dans l’ame du malheureux; plus loin, vous tuerez la pitiĂ© dans l’ñine du bienfaiteur. Vous ĂŽtez Ă  la crĂ©ature la plus faible les deux seuls refuges de sa misĂšre, la pitiĂ© et la bienfaisance. Je ne dis rien de la religion, vous n’en parlez pas ; et pour remplacer ces biens estimables, je ne vois dans votre livre que le mĂ©pris de nous-mĂȘmes, la crainte de la mort, la haine des hommes et l’oubli de Dieu ! 'AimĂ© Martin. 52 MAXIMES cclxiv La pitiĂ© est souvent un sentiment de nos propres maux dans les maux d’autrui. C’est une habile prĂ©voyance des malheurs oĂč nous pouvons tomber. Nous donnonsdu secours aux autres, pourles engagera nousen donner en de semblables occasions; et ces services que nous leur rendons sont, Ă  proprement parler, des biens que nous nous faisons Ă  nous-mĂȘme par avance 1 . cclxv La petitesse de l’esprit fait l’opiniĂątretĂ©, et nous ne croyons pas aisĂ©ment ce qui est au delĂ  de ce que nous voyons. cclxvi C’est se tromper que de croire qu’il n’y ait que les violentes passions , comme l’ambition et l'amour, qui puissent triompher des autres La paresse, toute languissante qu’elle est, ne laisse pas d’en ĂȘtre souvent la maĂźtresse ; elle usurpe sur tous les desseins et sur toutes les actions de la vie ; elle y dĂ©truit et y consume insensiblement les passions et les vertus. ccnxvii La promptitude Ă  croire le mal sans l’avoir assez examinĂ© est un effet de l’orgueil et delĂ  paresse. On veut trouver des coupables , et on ne veut pas se donner la peine d’examiner les crimes. cclxviii Nous rĂ©cusons des juges pourles plus petits intĂ©rĂȘts, et nous voulons bien que notre rĂ©putation et notre gloir dĂ©pendent du jugement des hommes, qui nous sont tous contraires , ou par leur jalousie ou par leur prĂ©occupation, ou par leur peu de lumiĂšres ; et ce n’est que pour les faire prononcer en notre faveur que nous exposons en tant de maniĂšres notre repos et notre vie. cclxix Il n’v a guĂšre d’homme assez habile pour connaĂźtre tout le mal qu’il fait. 1 Dans le portrait que La Rochefoucauld a tracĂ© de lui-mĂȘme est un passage sur la pitiĂ© qui prouve combien il Ă©tait loin de l'envisager comme J. J. Rousseau, uni a dit La pitiĂ© est un sentiment naturel, qui tend Ă  modĂ©rer dans chacun l'activitĂ© de l’amour de soi » AimĂ© Mahtin. y ‱ Distours sur l'origine de l'inĂ©galitĂ©. DE LA ROCHEFOUCAULD. 53 L’honneur acquis est caution de celui qu’on doit acquĂ©rir. cclxxi La jeunesse est une ivresse continuelle; c’est la liĂšvre de la raison *. cclxxii Rien ne devrait plus humilier les hommes qui ont mĂ©ritĂ© de grandes louanges, que le soin qu’ils prennent encore de se faire valoir par de petites choses. cclxxiii Il y a des gens qu’on approuve dans le monde, qui n’ont pour tout mĂ©rite que les vices qui servent au commerce de la vie. cclxxi v La grĂące de la nouveautĂ© est Ă  l’amour ce que la fleur est sur les fruits elle y donne un lustre qui s’efface aisĂ©ment, et qui ne revient jamais. I cclxxv Le bon naturel, qui se vante d’ĂȘtre si sensible, est j souvent Ă©touffĂ© par le moindre intĂ©rĂȘt. t cclxxvi L’absence diminue les mĂ©diocres passions, et augmente les grandes, comme le vent Ă©teint les bougies et allume le feu. ccLXXvnLesfemmescroientsouventaimer, encore qu’elles n’aiment pas. L’occupation d’une intrigue, l'Ă©motion d’esprit que donne la galanterie, la pente naturelle au plaisir d’ĂȘtre aimĂ©es, et la peine de refuser, leur persuadent qu’elles ont de la passion lorsqu’elles n’ont que de la coquetterie. cclxxv i T i Ce qui fait que l’on est souvent mĂ©content de ceux qui nĂ©gocient, est qu’ils abandonnent presque toujours l’intĂ©rĂȘt de leurs amis pour l’intĂ©rĂȘt du succĂšs de la nĂ©gociation, * P'ur. La jeunesse est une ivresse continuelle c’est la fiĂšvre de la santĂ© c’est la folie de la raison. 1665, n. 295. 54 MAXIMES qui devient le leur par l’honneur d’avoir rĂ©ussi Ă  ce qu’ils avaient entrepris. cclxxix Quand nous exagĂ©rons la tendresse que nos amis ont pour nous, c’est souvent moins par reconnaissance que par le dĂ©sir de faire juger de notre mĂ©rite. cclxxx L’approbation que l’on donne Ă  ceux qui entrent dans le monde vient souvent de l’envie secrĂšte que l’on porte Ă  ceux qui y sont Ă©tablis. cclxxxi L’orgueil, qui nous inspire tant d’envie, nous sert souvent aussi Ă  la modĂ©rer. cclxxxii Il y a des faussetĂ©s dĂ©guisĂ©es qui reprĂ©sentent si bien la vĂ©ritĂ©, que ce serait mal juger que de ne s’y pas laisser tromper. cclxxxiii Il n’y a pas quelquefois moins d’habiletĂ© Ă  savoii profiter d’un bon conseil qu’à se bien conseiller soi-mĂȘme. cclxxxi v Il y ades mĂ©chants qui seraient moins dangereux s'ils n’avaient aucune bontĂ©. cclxxx v La magnanimitĂ© est assez dĂ©finie par son nom; nĂ©anmoins on pourrait dire que c’est le bon sens de l’orgueil et la voie la plus noble pour recevoir des louanges . cclxxxvi Il est impossible d’aimer une seconde fois ce qu’on a vĂ©ritablement cessĂ© d’aimer. cclxxxvii Ce n’est pas tant la fertilitĂ© de l’esprit qui nous 1 Cett fi pensĂ©e est encore une preuve que l’auteur n*a vouiu juger que la ĂŻour et les hommes de cour ; car la magnanimitĂ© est une vertu de prince, comme la dĂ©mence c’est pour eux seuls que ces mots existent. Dans le nonde vulgaire ces vertus prennent le nom de bontĂ© et de gĂ©nĂ©rositĂ©. Aixm Maktin. DE LA ROCHEFOUCAULD. 5 r , fait trouver plusieurs expĂ©dients sur une mĂȘme affaire, que c’est le dĂ©faut de lumiĂšres qui nous fait arrĂȘter Ă  tout ce qui se prĂ©sente Ă  notre imagination , et qui nous empĂȘche de discerner d’abord ce qui est le meilleur. cclxxxviii Il y a des affaires et des maladies que les remĂšdes aigrissent en certains temps ; et la grande habiletĂ© consiste Ă  connaĂźtre quand il est dangereux d’en user. ccLxxxixLa simplicitĂ© affectĂ©e est une imposture dĂ©licate ccxcrilly a plus de dĂ©fauts dans l’humeur que dans l’esprit. ccxci Le mĂ©rite des hommes a sa saison aussi bien que les fruits. ecxcii On peut dire de l’humeur des hommes comme de la plupart des bĂątiments, qu’elle a diverses faces les unes agrĂ©ables et les autres dĂ©sagrĂ©ables. ccxciii La modĂ©ration ne peut avoir le mĂ©rite de combat tre l’ambition et de la soumettre elles ne se trouvent jamais ensemble. La modĂ©ration est la langueur et la paresse de l’ñme, comme l’ambition en est l’activitĂ© et l’ardeur *. ccxciv Nous aimons toujours ceux qui nous admirent, et nous n’aimons pas toujours ceux que nous admirons. jccxcv 11 s’en faut bien que nous ne connaissions toutes nos volontĂ©s **. * Var. La modĂ©ration dans la plupart des hommes n'a garde de combattre et de soumettre l'ambition , puisqu’elles ne se peuvent trouver ensemble; la modĂ©ration n’étant d’ordinaire qu’une paresse , une langueur, et un manque de courage de maniĂšre qu’on peut justement dire, Ă  leur Ă©gard, que la modĂ©ration est une bassesse de l’ñme, comme l’ambition en est l’élĂ©vation. 1665, n. 17. ** Var. Comment peut-on rĂ©pondre de ce qu’on voudra Ă  l’avenir, puisque l’on ne sait pas prĂ©cisĂ©ment ce tme l’on veut dans le temps prĂ©sent? 1665, n. 74. AXIMES Ofi ccxcvi Il est difficile d’aimer ceux que nous n’estimons point ; mais il ne l’est pas moins d'aimer ceux que nous estimons beaucoup plus que nous. ccxcvn Les humeurs du corps ont un cours ordinaire et rĂ©glĂ©, qui meut et qui tourne imperceptiblement notre volontĂ©. Elles roulent ensemble, et exercent successivement un empire secret en nous de sorte qu’elles ont une part considĂ©rable Ă  toutes nos actions, sans que nous le puissions connaĂźtre. ccxcviii La reconnaissance delĂ  plupart des hommes n’est qu’une secrĂšte envie de recevoir de plus grands bienfaits. ccxcxx Presque tout le monde prend plaisir Ă  s’acquitter des petites obligations beaucoup de gens ont de la reconnaissance pour les mĂ©diocres ; mais il n’y a quasi personne qui n’ait de l’ingratitude pour les grandes. ccc U y a des folies qui se prennent comme les maladies contagieuses. ccci Assez de gens mĂ©prisent le bien , mais peu savent le donner. cccii Ce n’est d'ordinaire que dans de petits intĂ©rĂȘts oĂč nous prenons le hasard de ne pas croire aux apparences. cccin Quelque bien qu’on nous dise de nous , on ne nous apprend rien de nouveau. ccciv Nous pardonnons souvent Ă  ceux qui nous ennuient; mais nous ne pouvons pardonner Ă  ceux que nous ennuyons. cccv L’intĂ©rĂȘt, que l’on accuse de tous nos crimes, mĂ©rite souvent d’ĂȘtre louĂ© de nos bonnes actions. DE LA ROCHEFOUCAULD. 57 cccvr On ne trouve guĂšre d’ingrats tant qu’on est en Ă©tat de faire du bien. Il est aussi honnĂȘte d’ĂȘtre glorieux avec soi-mĂȘme qu’il est ridicule de l’ĂȘtre avec les autres. cccvm On a fait une vertu de la modĂ©ration, pour borner l’ambition des grands hommes, et pour consoler les gens mĂ©diocres de leur peu de fortune et de leur peu de mĂ©rite. cccix 11 y a des gens destinĂ©s Ă  ĂȘtre sots qui ne font pas seulement des sottises par leur choix, mais que la fortune mĂȘme contraint d’en faire. cccx Il arrive quelquefois des accidents dans la vie, d’oĂč il faut ĂȘtre un peu fou pour se bien tirer. cccxt S’il y a des hommes dont le ridicule n’aitjamais paru, c’est qu’on ne l’a jamais bien cherchĂ©. cccxn Ce qui fait que les amants et les maĂźtresses ne s’ennuient point d’ĂȘtre ensemble, c’est qu’ils parlent toujours d’eux- triĂȘmes. cccxiii Pourquoi faut-il que nous ayons assez de mĂ©moire pour retenir jusqu’aux moindres particularitĂ©s de ce qui nous est arrivĂ©, et que nous n’en ayons pas assez pour nous souvenir combien de fois nous les avons contĂ©es Ă  une mĂȘme personne ? cccxĂŻy L’extrĂȘme plaisir que nous prenons Ă  parler de nous-mĂȘme nous doit faire craindre de n’en donner guĂšre Ă  ceux qui nous Ă©coutent. cccxv Ce qui nous empĂȘche d’ordinaire de faire voir le fond de notre cƓur Ă  nos amis n’est pas tant la dĂ©fiance que nous avons d’eux, que celle que nous avons de nous-mĂȘme. 58 MAXIMES cccxvi Les personnes faibles ne peuvent ĂȘtre sincĂšres. cccxvn Ce n’est pas un grand malheur d’obliger des ingrats ; mais c’en est un insupportable d’ĂȘtre obligĂ© Ă  uu malhonnĂȘte homme. cccxviii On trouve des moyens pour guĂ©rir de la folie, mais on n’en trouve point pour redresser un esprit de travers cccxix On ne saurait conserver longtemps les sentiments qu’on doit avoir pour ses amis et pour ses bienfaiteurs, si on se laisse la libertĂ© de parler souvent de leurs dĂ©fauts. cccxx Louer les princes des vertus qu’ils n’ont pas, c'est leur dire impunĂ©ment des injures. cccxxi Mous sommes plus prĂšs d’aimer ceux qui nous haĂŻssent, que ceux qui nous aiment plus que nous ne voulons. cccxxn Il n’y a que ceux qui sont mĂ©prisables qui craignent d’ĂȘtre mĂ©prisĂ©s. cccxxin Notre sagesse n’est pas moins Ă  la merci de la fortune que nos biens. cccxxiv Il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour. cccxxv Nous nous consolons souvent par faiblesse des maux dont la raison n’a pas la force de nous consoler. cccxxyi Le ridicule dĂ©shonore plus que le dĂ©shonneur 1 . cccxxvii Nous n’avouons de petits dĂ©fauts que pour persuader que nous n’en avons pas de grands. ' Le ridicule peut ĂȘtre nuisible, mais il ne dĂ©shonore pas ; c'est le vice ciui dĂ©shonore. AimĂ© Martin. DE LA ROCHEFOUCAULD. 59 ^cccxxvm L’envie est plus irrĂ©conciliable que la haine. cccxxix On croit quelquefois haĂŻr la flatterie; mais on ne nait que la maniĂšre de flatter. cccxxx On pardonne tant que l’on aime. cccxxxi 11 est plus difficile d’ĂȘtre fidĂšle Ă  sa maĂźtresse quand on est heureux que quand on en est maltraitĂ©. cccxxxn Les femmes ne connaissent pas toute leur coquetterie cccxxxiii Les femmes n’ont point de sĂ©vĂ©ritĂ© complĂšte sans aversion. cccxxxiv Les femmes peuvent moins surmonter leur coquetterie que leur passion '. cccxxxv Dans l’amour la tromperie va presque toujours plus loin que la mĂ©fiance. cccxxxvi U y a une certaine sorte d’amour dont l’excĂšs empĂȘche la jalousie. cccxxxvii Il est de certaines bonnes qualitĂ©s comme des sens ceux qui en sont entiĂšrement privĂ©s ne les peuvent apercevoir ni les comprendre. cccxxxviii Lorsque notre haine est trop vive elle nous met au-dessous de ceux que nous haĂŻssons. cccxxxix Nous ne ressentons nos biens et nos maux qu’à proportion de notre amour-propre 1 2 . 1 Cette pensĂ©e est modifiĂ©e et mĂȘme rĂ©futĂ©e par les maximes 549 et 376. 2 Je voudrais que La Rochefoucauld pĂ»t me dire comme l’amour-propre lui vint en aide lorsqu’en 1672 il apprit en un mĂȘme jour qu’un de ses fiis 60 MAXIMES cccxl L’esprit delĂ  plupart des femmes sert plus Ă  fortifier leur folie que leur raison. cccxli Les passions de la jeunesse ne sont guĂšre plus opposĂ©es au salut que la tiĂ©deur des vieilles gens. cccxiai L’accent du pays oĂč l’on est nĂ© demeure dans Pexprit et dans le cƓur comme dans le langage. cccxuii Pour ĂȘtre un grand homme il faut savoir profiter de toute sa fortune. cccxliv La plupart des hommes ont, comme les plantes, des propriĂ©tĂ©s cachĂ©es que le hasard fait dĂ©couvrir. cccxlv Les occasions nous font connaĂźtre aux autres, et encore plus Ă  nous-mĂȘme. cccxlyi 11 ne peut y avoir de rĂšgle dans l’esprit ni dans le cƓur des femmes si le tempĂ©rament n’en est d’accord. cccxlyii Nous ne trouvons guĂšre de gens de bon sens que ceux qui sont de notre avis. cccxlvui Quand on aime on doute souvent de ce que l’on croit le plus '. Ă©tait mort au passage du Rhin, un autre blessĂ©, et que la cour pleurait la perte du jeune duc de Longueville, qu’il chĂ©rissait comme ses propres enfants. Madame de SĂ©vignĂ©, tĂ©moin de ce dĂ©sastre, Ă©crit Ă  sa fille J’ai vu son cƓur a dĂ©couvert dans cette cruelle aventure il est au premier rang de ce que j’ai jamais vu de courage, de mĂ©rite, de tendresse et de raison; je compte pour rien son esprit et son agrĂ©ment. » Et, en elTet, que peuvent l'esprit et l’agrĂ©ment oĂč il ne faut que du courage et de la rĂ©signation? Combien madame de SĂ©vignĂ©, dans ces quatre lignes, nous fait regretter que La Rochefoucauld ait si souvent fait usage de cet esprit, de cet agrĂ©ment qu’elle compte pour rien, et qu’il ait presque toujours craint d’exprimer les sentiments de ce cƓur gĂ©nĂ©reux dont elle admirait la rĂ©signation ! AimĂ© Martin. Vous vous en rapportez plus Ă  vos yeux qu’à moi, disait une femme Ă  son amant ; vous ne m’aimrz donc plus. AimĂ© Martin. DE LiA ROCHEFOUCAULD. 61 cccxlix Le plus grand miracle de l’amour, c’est de guĂ©rir de la coquetterie. cccl Ce qui nous donne tant d’aigreur contre ceux qui nous font des finesses, c’est qu’ils croient ĂȘtre plus habiles que nous. cccu On a bien de la peine Ă  rompre quand on ne s’aime plus. t ccclii On s’ennuie presque toujours avec les gens avec qui il n’est pas permis de s’ennuyer. cccliii Un honnĂȘte homme peut ĂȘtre amoureux comme un fou, mais non pas comme un sot. cccliv Il y a de certains dĂ©fauts qui, bien mis en oeuvre, brillent plus que la vertu mĂȘme. ccclv On perd quelquefois des personnes qu’on regrette plus qu’on n’en est affligĂ© , et d’autres dont on est affligĂ© et qu’on ne regrette guĂšre. ccclvi Nous ne louons d’ordinaire de bon cƓur que ceux qui nous admirent. ccclvii Les petits esprits sont trop blessĂ©s des petites choses ; les grands esprits les voient toutes, et n’en sont point blessĂ©s. ccclviii L’humilitĂ© est la vĂ©ritable preuve des vertus chrĂ©tiennes sans elle nous conservons tous nos dĂ©fauts, et ils sont seulement couverts par l’orgueil qui les cache aux autres, et souvent Ă  nous-mĂȘme. ccclix Les infidĂ©litĂ©s devraient Ă©teindre l’amour, et il ne faudrait point ĂȘtre jaloux quand on a sujet de l’ĂȘtre. 11 n’y a que 4 62 MAXIMES les personnes qui Ă©vitent de donner de la jalousie qui soient dignes qu’on en ait pour elles. ccclx On se dĂ©crie beaucoup plus auprĂšs de nous par les moindres infidĂ©litĂ©s qu’on nous fait que par les plus grandes qu’on fait aux autres { ccclxi La jalousie naĂźt toujours avec l’amour; mais elle ne meurt pas toujours avec lui. ccclxi i La plupart des femmes ne pleurent pas tant la mort de leurs amants pour les avoir aimĂ©s que pour paraĂźtre plus dignes d’ĂȘtre aimĂ©es. ccclxiii Les violences qu’on nous fait nous font souvent moins de peine que celles que nous nous faisons Ă  nous- mĂȘme. ccclxiv On sait assez qu’il ne faut guĂšre parler de sa femme ; mais on ne sait pas assez qu'on devrait encore moins parler de soi. ccclxv Il y a de bonnes qualitĂ©s qui dĂ©gĂ©nĂšrent en dĂ©fauts , quand elles sont naturelles , et d’autres qui ne sont jamais parfaites , quand elles sont acquises. Il faut, par exemple, que la raison nous fasse mĂ©nager de notre bien et de notre confiance ; 1 Ainsi La Rochefoucauld trouvait tout naturel que, pour favoriser son ambition et son amour, la belle madame de Longueville eĂ»t oubliĂ© ce qu’elle devait Ă  son mari, Ă  sa souveraine, Ă  sa patrie, et Ă  elle-mĂȘme ; et il ne put lui pardonner l'inclination qu’il crut reconnaĂźtre en elle pour le duc de Nemours. Devenu l’ennemi de celle qu’il avait aimĂ©e, il passa si rapidement de la reconnaissance Ă  l’ingratitude, que plus tard tout le monde pĂ»t le reconnaĂźtre dans cette autre maxime de son livre ' Plutarque, Jpophthegmet des LacĂ©dĂ©moniens, § 69. 72 MAXIMES Ă  faire naĂźtre des occasions qu’à profiter de celles qui se prĂ©sentent. ccccliv Il n’y a guĂšre d’occasion oĂč l’on fit un mĂ©chant marchĂ© de renoncer au bien qu’on dit de nous Ă  condition de n’en dire point de mal. cccclv Quelque disposition qu’ait le monde Ă  mai juger, il fait encore plus souvent grĂące au faux mĂ©rite qu’il ne fait injustice au vĂ©ritable. cccclvi On est quelquefois un sot avec de l’esprit ; mais on ne l’est jamais avec du jugement. cccclvii Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes, que d’essayer de paraĂźtre ce que nous ne sommes pas. cccclvui Nos ennemis approchent plus de la vĂ©ritĂ© dans les jugements qu’ils font de nous, que nous n’en approchons nous-mĂȘmes. cccclix Il y a plusieurs remĂšdes qui guĂ©rissent de l’amour mais il n’y en a point d’infaillible. cccclx Il s’en faut bien que nous connaissions tout ce que nos passions nous font faire. cccclxi La vieillesse est un tyran qui dĂ©fend, sous peine de la vie, tous les plaisirs de la jeunesse. Le mĂȘme orgueil qui nous fait blĂąmer iss dĂ©fauts dont nous nous croyons exempts nous porte Ă  mĂ©priser les nonnes qualitĂ©s que nous n’avons pas. cccclxiii Il y a souvent plus d’orgueil que de bontĂ© Ă  plaindre les malheurs de nos ennemis ; c’est pour leur faire sentir que DE LA ROCHEFOUCAULD. 73 nous sommes au-dessus d’eux, que nous leur donnons des marques de compassion. cccclxiv Il y a un excĂšs de biens et de maux qui passe, notre sensibilitĂ©. cccclxv Il s’en faut bien que l’innocence trouve autant de protection que le crime. cccclxyi De toutes les passions violentes, celle qui sied le moins mal aux femmes, c’est l’amour. cccclxvii La vanitĂ© nous fait faire plus de choses contre notre goĂ»t que la raison. cccclxviii 11 y a des mĂ©chantes qualitĂ©s qui font de grands talents. cccclxix On ne souhaite jamais ardemment ce qu’on ne souhaite que par raison. { cccclxx Toutes nos qualitĂ©s sont incertaines et douteuses, en bien comme en mal ; et elles sont presque toutes Ă  la merci des occasions. cccclxxi Dans les premiĂšres passions les femmes aiment l’amant, et dans les autres elles aiment l’amour. cccclxxii L’orgueil a ses bizarreries commeles autres passions on a honte d’avouer que l’on ait de la jalousie, et on se fait honneur d’en avoir eu et d’ĂȘtre capable d’en avoir. cccclxxiii Quelque rare que soit le vĂ©ritable amour, il l’est encore moins que la vĂ©ritable amitiĂ©. cccclxxiv Il y a peu de femmes dont le mĂ©rite dure plus que la beautĂ©. ETC. 74 MAXIMES cccclxxv L’envie d’ĂȘtre plaint ou d’ĂȘtre admirĂ© fait souven la plus grande partie de notre confiance. cccclxxvi Notre envie dure toujours plus longtemps que le ĂŒonheur de ceux que nous envions. cccclxxvii La mĂȘme fermetĂ© qui sert Ă  rĂ©sister Ă  l’amour sert aussi Ă  le rendre violent et durable ; etles personnes faibles, qui sont tou jours agitĂ©es des passions, n’en sont presque jamais vĂ©ritablement remplies. cccclxxviii L’imagination ne saurait inventer tant de diverses contrariĂ©tĂ©s qu’il y en a naturellement dans le cƓur de chaque personne. cccclxxix Il n’y a que les personnes qui ont de la fermetĂ© qui puissent avoir une vĂ©ritable douceur ; celles qui paraissent douces n’ont ordinairement que de la faiblesse, qui se convertit aisĂ©ment en aigreur cccclxxx La timiditĂ© est un dĂ©faut dont il est dangereux de reprendre les personnes qu’on en veut corriger. cccclxxxi Rien n’est plus rare que la vĂ©ritable bontĂ© ; ceux mĂȘme qui croient en avoir n’ont d’ordinaire que de la complaisance ou de la faiblesse. cccclxxxh L’esprit s’attache par paresse et par constance Ă  ce qui lui est facile ou agrĂ©able. Cette habitude met toujours des bornes Ă  nos connaissances ; et jamais personne ne s’est donnĂ© la peine d’étendre et de conduire son esprit aussi loin qu’il pourrait aller. cccclxxxiii On est d’ordinaire plus mĂ©disant par vanitĂ© que par malice. cccclxxxi v Quand on a le cƓur encore agitĂ© par les restes DE LA ROCHEFOUCAULD. 75 d’une passion, on est plus prĂšs d’en prendre une nouvelle que quand on est entiĂšrement guĂ©ri. cccclxxxv Ceux qui ont eu de grandes passions se trouvent toute leur vie heureux et malheureux d’en ĂȘtre guĂ©ris. cccclxxxvi Il y a encore plus de gens sans intĂ©rĂȘtque sans envie. cccclxxxvii Nous avons plus de paresse dans l’esprit que dans le corps. ccccLxxxvmLe calme ou l’agitation de notre humeur ne dĂ©pend pas tant de ce qui nous arrive de plus considĂ©rable dans la vie, que d’un arrangement commode ou dĂ©sagrĂ©able de petites choses qui arrivent tous les jours. cccclxxxix Quelque mĂ©chants que soient les hommes, ils n’oseraient paraĂźtre ennemis de la vertu ; et lorsqu’ils la veulent persĂ©cuter, ils feignent de croire qu’elle est fausse ou ils lui supposent des crimes. ccccxc On passe souvent de l’amour Ă  l’ambition; mais on ne revient guĂšre de l’ambition Ă  l’amour. ccccxci L’extrĂȘme avarice se mĂ©prend presque toujours; il n’y a point de passion qui s’éloigne plus souvent de son but, ni sur qui le prĂ©sent ait tant de pouvoir, au prĂ©judice de l’avenir. ccccxcii L’avarice produit souvent des effets contraires il y a un nombre infini de gens qui sacrifient tout leur bien Ă  des espĂ©rances douteuses et Ă©loignĂ©es ; d’autres mĂ©prisent de grands avantages Ă  venir pour de petits intĂ©rĂȘts prĂ©sents'. 1 L'auteur confond ici l'aviditĂ©, la cupiditĂ© et l'avarice, passions qui ont peut-ĂȘtre une source commune, mais dont les effets sont bien diffĂ©rents 16 MAXIMES ccccxcm Il semble que les hommes ne se trouvent pas assez de dĂ©fauts ils en augmentent encore le nombre par de certaines qualitĂ©s singuliĂšres, dont ils affectent de se parer, et ils les cultivent avec tant de soin, qu’elles devienneut Ă  la fin des dĂ©fauts naturels qu’il ne dĂ©pend plus d’eux de corriger. ccccxcivCe quifaitvoirqueleshommes connaissent mieux leurs fautes qu’on ne pense, c’est qu’ils n’ont jamais tort quand on les entend parler de leur conduite le mĂȘme amour-propre qui les aveugle d’ordinaire les Ă©claire alors, et leur donne des vues si justes, qu’il leur fait supprimer ou dĂ©guiser les moindres choses qui peuvent ĂȘtre condamnĂ©es. ccccxcv Il faut que les jeunes gens qui entrent dans le monde soient honteux ou Ă©tourdis un air capable et composĂ© se tourne d’ordinaire en impertinence. ccccxcvi Les querelles ne dureraient pas longtemps si le tort n’était que d’un cĂŽtĂ©. ccccxcvn 11 ne sert de rien d’ĂȘtre jeune sans ĂȘtre belle, ni d’ĂȘtre belle sans ĂȘtre jeune. ccccxcviii Il y a des personnes si lĂ©gĂšres et si frivoles, qu’elles sont aussi Ă©loignĂ©es d’avoir de vĂ©ritables dĂ©fauts que des qualitĂ©s solides. ccccxcix On ne compte d’ordinaire la premiĂšre galanterie des femmes que lorsqu’elles en ont une seconde. L'homme avide est presque toujours pressĂ© de possĂ©der, et souvent il sacrifie de grands avantages Ă  venir Ă  de petits intĂ©rĂȘts prĂ©sents le cupide, au contraire, mĂ©prise les avantages prĂ©sents pour de grandes espĂ©rances dans l'avenir tous deux veulent possĂ©der et jouir. Mais l’avare possĂšde et ne jouit que du plaisir de possĂ©der, il ne hasarde rien, il ne donne rien, il n’espĂšre rien ; toute sa vie est concentrĂ©e dans son coffre-fort; hors de lĂ , il n'a plus de besoin t AimĂ© Martin. , DE LA ROCHEFOUCAULD 17 d Il v a des gens si remplis d’eux-mĂȘmes, que lorsqu'ils sont amoureux ils trouvent moyen d’ĂȘtre occupĂ©s de leur passion sans l’ĂȘtre de la personne qu’ils aiment. ni L’amour, tout agrĂ©able qu’il est, plaĂźt encore plus parles maniĂšres dont il se montre que par lui-mĂȘme. du Peu d’esprit avec de la droiture ennuie moins, Ă  la longue, que beaucoup d’esprit avec du travers. diii La jalousie est le plus grand de tous les maux , et celui qui fait le moins de pitiĂ© aux personnes qui le causent. div AprĂšs avoir parlĂ© de la faussetĂ© de tant de vertus apparentes, il est raisonnable de dire quelque chose de la faussetĂ© du mĂ©pris de la mort. J’entends parler de ce mĂ©pris de la mort que les paĂŻens se vantent de tirer de leurs propres forces, sans l’espĂ©rance d’une meilleure vie. Il y a diffĂ©rence entre souffrir la mort constamment et la mĂ©priser. Le premier est assez ordinaire ; mais je crois que l’autre u’est jamais sincĂšre. On a Ă©crit nĂ©anmoins tout ce qui peut le plus persuader que la mort n’est point un mal ; et les hommes les plus faibles, aussi bien que les hĂ©ros, ont donnĂ© mille exemples cĂ©lĂšbres pour Ă©tablir cette opinion. Cependant je doute que personne de bon sens l’ait jamais cru ; et la peine que l’on prend pour le persuader aux autres et Ă  soi-mĂȘme fait assez voir que cette entreprise n’est pas aisĂ©e. On peut avoir divers sujets de dĂ©goĂ»t dans la vie ; mais on n’a jamais raison de mĂ©priser la mort. Ceux mĂȘme qui se la donnent volontairement ne la comptent pas pour si peu de chose, et ils s’en Ă©tonnent et la rejettent comme les autres lorsqu’elle vient Ă  eux par une autre voie que celle qu’ils ont choisie. L’inĂ©galitĂ© que l’on remarque dans le courage d’un nombre infini de vaillants hommes vient de ce que la mort se dĂ©couvre diffĂ©remment Ă  leur imagination , et y paraĂźt plus prĂ©sente en un temps qu’en un autre. Ainsi il arrrive qu’aprĂšs avoir mĂ©prisĂ© ce qu’ils ne connaissent pas ils craignent enfin ce qu’ils connaissent. Il faut Ă©viter de l’envisager avec toutes ses 78 MAXIMES circonstances, si on ne veut pas croire qu’elle soit le plus grand de tous les maux. Les plus habiles et les plus braves sont ceux qui prennent de plus honnĂȘtes prĂ©textes pour s’empĂȘcher de la considĂ©rer ; mais tout homme qui la sait voir telle qu’elle est trouve que c’est une chose Ă©pouvantable. La nĂ©cessitĂ© de mourir faisait toute la constance des philosophes. Ils croyaient qu’il fallait aller de bonne grĂące oĂč l’on ne saurait s’empĂȘcher d’aller ; et, ne pouvant Ă©terniser leur vie, il n’y avait rien qu’ils ne fissent pour Ă©terniser leur rĂ©putation et sauver du naufrage ce qui en peut ĂȘtre garanti. Contentons-nous, pour faire bonne mine, de ne nous pas dire Ă  nous-mĂȘmes tout ce que nous en pensons, et espĂ©rons plus de notre tempĂ©rament que de ces faibles raisonnements qui nous font croire que nous pouvons approcher de la mort avec indiffĂ©rence. La gloire de mourir avec fermetĂ©, l'espĂ©rance d’ĂȘtre regrettĂ©, le dĂ©sir de laisser une belle rĂ©putation , l’assurance d’ĂȘtre affranchi des misĂšres de la vie, et de ne dĂ©pendre plus des caprices de la fortune, sont des remĂšdes qu’on ne doit pas rejeter. Mais on ne doit pas croire aussi qu’ils soient infaillibles. Ils font pour nous assurer ce qu’une simple haie fait souvent Ă  la guerre pour assurer ceux qui doivent approcher d’un lieu d’oĂč l’on tire quand on en est Ă©loignĂ©, on s’imagine qu’elle peut mettre Ă  couvert; mais quand on en est proche, on trouve que c’est un faible secours. C’est nous flatter de croire que la mort nous paraisse de prĂšs ce que nous en avons jugĂ© de loin, et que nos sentiments , qui ne sont que faiblesse, soient d’une trempe assez forte pour ne point souffrir d’atteinte par la plus rude de toutes les Ă©preuves. C’est aussi mal connaĂźtre les effets de l’amour-propre, que de penser qu’il puisse nous aider Ă  compter pour rien ce qui le doit nĂ©cessairement dĂ©truire; et la raison , dans laquelle on croit trouver tant de ressources, est trop faible en cette rencontre pour nous persuader ce que nous voulons. C’est elle, au contraire, qui nous trahit le plus souvent, et qui, au lieu de nous inspirer le mĂ©pris de la mort, sert Ă  nous dĂ©couvrir ce qu’elle a d’affreux et de terrible. Tout ce qu’elle peut faire pour nous est de nous conseiller d’en dĂ©tourner les yeux pour les arrĂȘter sur d’autres objets. Caton et Brutus en choisirent d’illustres. Un laquais se contenta. DE LA ROCHEFOUCAULD. 79 il y a quelque temps, de danser sur l’échafaud oĂč il allait ĂȘtre rouĂ©. Ainsi, bien que les motifs soient diffĂ©rents, ils produisent les mĂȘmes effets de sorte qu’il est vrai que, quelque disproportion qu’il y ait entre les grands hommes et les gens du commun, on a vu mille fois les uns et les autres recevoir la mort d’un mĂȘme visage; mais c’a toujours Ă©tĂ© avec cette diffĂ©rence , que dans le mĂ©pris que les grands hommes font paraĂźtre pour la mort c’est l’amour de la gloire qui leur en ĂŽte la vue, et dans les gens du commun ce n’est qu’un effet de leur peu de lumiĂšres, qui les empĂȘche de connaĂźtre la grandeur de leur mal, et leur laisse la libertĂ© de penser Ă  autre chose. PREMIER SUPPLÉMENT \ i L’amour-propre est l’amour de soi-mĂȘme et de toutes choses pour soi ; il rend les hommes idolĂątres d’eux-mĂȘmes, el les rendrait les tyrans des autres si la fortune leur en donnait les moyens il ne se repose jamais hors de soi, et ne s’arrĂȘte dans les sujets Ă©trangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre. Rien n’est si impĂ©tueux que ses dĂ©sirs, rien de si cachĂ© que ses desseins, rien de si habile que ses conduites ses souplesses ne se peuvent reprĂ©senter, ses transformations passent celles des mĂ©tamorphoses et ses raffinements ceux de la chimie. On ne peut sonder la profondeur ni percer les tĂ©nĂšbres de ses abĂźmes. LĂ  il est Ă  couvert des yeux les plus pĂ©nĂ©trants ; il y fait mille insensibles tours et retours. LĂ  il est souvent invisible Ă  lui-mĂȘme il y conçoit, il y nourrit et il y elĂšve, sans le savoir, un grand nombre d’affections et de haines ; il en forme de si monstrueuses, que lorsqu’il les a mises au jour, il les mĂ©connaĂźt, ou il ne peut se rĂ©soudre Ă  les avouer. De cette nuit qui le couvre naissent les ridicules persuasions qu’il a de lui-mĂȘme; de lĂ  viennent ses erreurs, ses ignorances, ses grossiĂšretĂ©s et ses niaiseries sur son sujet ; de lĂ  vient qu’il croit que ses sentiments sont morts lorsqu’ils ne sont qu’endormis ; qu’il s’imagine n’avoir plus envie de courir dĂšs qu’il se repose, et qu’il pense avoir perdu tous les goĂ»ts qu’il a rassasiĂ©s. Mais cette obscuritĂ© Ă©paisse qui le cache Ă  lui-mĂȘme n’empĂȘche pas qu’il ne voie parfaitement ce qui est hors de lui ; en quoi il est semblable Ă  nos yeux, qui dĂ©couvrent tout et sont aveugles seulement pour eux-mĂȘmes. En effet, dans ses plus grands intĂ©rĂȘts et dans ses plus importantes affaires, oĂč la violence de ses sou- 1 Ces pensĂ©es, extraites des premiĂšres Ă©ditions, avaient Ă©tĂ© supprimĂ©es par l'auteur dans les Ă©ditions postĂ©rieures. MAXIMES DE LA ROCHEFOUCAULD. 81 haits appelle toute son attention, il voit, il sent, il entend, il imagine, il soupçonne, il pĂ©nĂštre, il devine tout ; de sorte qu’on est tentĂ© de croire que chacune de ses passions a une espĂšce de magie qui lui est propre. Rien n’est si intime et si fort que ses attachements, qu’il essaye de rompre inutilement Ă  la vue des malheurs extrĂȘmes qui le menacent. Cependant il fait quelquefois en peu de temps, et sans aucun effort, ce qu’il n’a pu faire avec tous ceux dont il est capable dans le cours de plusieurs annĂ©es d’oĂč l’on pourrait conclure assez vraisemblablement que c’est par lui-mĂȘme que ses dĂ©sirs sont allumĂ©s, plutĂŽt que par la beautĂ© et par le mĂ©rite de ses objets; que son goĂ»t est le prix qui les relĂšve et le fard qui les embellit; que c’est aprĂšs lui- mĂȘme qu’il court, et qu’il suit son grĂ© lorsqu’il suit les choses qui sont Ă  son grĂ©. Il est tous les contraires il est impĂ©rieux et obĂ©issant, sincĂšre et dissimulĂ©, misĂ©ricordieux et cruel, timide et audacieux. Il a de diffĂ©rentes inclinations, selon la diversitĂ© des tempĂ©raments, qui le tournent et le dĂ©vouent tantĂŽt Ă  la gloire, tantĂŽt aux richesses, et tantĂŽt aux plaisirs. Il en change selon le changement de nos Ăąges, de nos fortunes et de nos expĂ©riences ; mais il lui est indiffĂ©rent d’en avoir plusieurs ou de n’en avoir qu’une, parce qu'il se partage en plusieurs, et se ramasse en une quand il le faut, et comme il lui plaĂźt. 11 est inconstant, et, outre les changements qui viennent des causes Ă©trangĂšres, il y en a une infinitĂ© qui naissent de lui et de son propre fonds. 11 est inconstant d'inconstance, de lĂ©gĂšretĂ©, d’autour, de nouveautĂ©, de lassitude et de dĂ©goĂ»t. Il est capricieux, et on le voit quelquefois travailler avec le dernier empressement et avec des travaux incroyables Ă  obtenir des choses qui ne lui sont point avantageuses, et qui mĂȘme lui sont nuisibles, mais qu’il poursuit parce qu’il les veut. Il est bizarre, et met souvent toute son application dans les emplois les plus frivoles ; il trouve tout son plaisir dans les plus fades, et conserve toute sa fiertĂ© dans les plus mĂ©prisables. Il est dans tous les Ă©tats de la vie et dans toutes les conditions il vit partout, et il vit de tout ; il vit de rien, il s’accommode des choses et de leur privation ; il passe mĂȘme dans le parti des gens qui lui font la guerre ; il entre dans leurs desseins, et, ce qui est admirable, il se hait lui- 82 MAXIMES mĂȘme avec eux; il conjure sa perte, il travaille lui-mĂȘme Ă  sa ruine; enfin il ne se soucie que d’ĂȘtre, et pourvu qu’il soit, il veut bien ĂȘtre son ennemi. Il ne faut donc pas s’étonner s’il se joint quelquefois Ă  la plus rude austĂ©ritĂ©, et s’il entre si hardiment eu sociĂ©tĂ© avec elle pour se dĂ©truire, parce que dans le mĂȘme temps qu'il se ruine en un endroit il se rĂ©tablit en un autre. Quand on pense qu’il quitte son plaisir, il ne fait que le suspendre ou le changer ; et lors mĂȘme qu’il est vaincu et qu’on croit en ĂȘtre dĂ©fait , on le retrouve qui triomphe dans sa propre dĂ©faite. VoilĂ  la peinture de l’amour-propre, donttoutela vie n’est qu’une grande et longue agitation. La mer en est une image sensible ; et l’amour-propre trouve dans le flux et le reflux de ses vagues continuelles une fidĂšle expression de la succession turbulente de ses pensĂ©es et de ses Ă©ternels mouvements. Édition de 1665, n° 1. n Toutes les passions ne sont autre chose que les divers degrĂ©s de la chaleur et de la froideur du sang. 1G65, n» 13. m La modĂ©ration dans la bonne fortune n’est que l’apprĂ©hension de la honte qui suit l’em portement, ou la peur de perdre ce que l’on a. 1665, n° 18. iv La modĂ©ration est comme la sobriĂ©tĂ©; on voudrait bien manger davantage, maison craint de se faire mal. 1665, n° 21. v Tout le monde trouve Ă  redire en autrui ce qu’on trouve Ă  redire en lui. 1665, n°33. VI L’orgueil, comme lassĂ© de ses artifices et de ses diffĂ©rentes mĂ©tamorphoses, aprĂšs avoir jouĂ© tout seul les personnages de la comĂ©die humaine, se montre avec un visage naturel, et se dĂ©couvre par la fiertĂ© ; de sorte qu’à proprement parler la fiertĂ© est l’éclat et la dĂ©claration de l’orgueil. 1665, n° 37. vu C’est une espĂšce de bonheur de connaĂźtre jusques a quel point on doit ĂȘtre malheureux. 1665,n ĂŒ 53. DE LA ROCHEFOUCAULD. 83 viii Quand onne trouve pas son repos en soi-mĂȘme, il est inutile de le chercher ailleurs. 1665,n°55. ix Il faudrait pouvoir rĂ©pondre de sa fortune, pour pouvoir rĂ©pondre de ce que l’on fera. 1665,n°70. x L’amour est Ă  l’ñme de celui qui aime ce que l’ñme est au corps qu’elle anime. 1665, n° 77. xi Comme on n’est jamais en libertĂ© d’aimer, ou de cesser d’aimer, l’amant ne peut se plaindre avec justice de l’inconstance de sa maĂźtresse, ni elle de la lĂ©gĂšretĂ© de son amant. 1665, n° 81. xu La justice dans les juges qui sont modĂ©rĂ©s n’est que l’amour de leur Ă©lĂ©vation. 1665,n°89. xixi Quand nous sommes las d’aimer, nous sommes bien aises que l’on devienne infidĂšle pour nous dĂ©gager de notre GdĂ©* litĂ© -. 1665,n°85. xrv Le premier mouvement de joie que nous avons du bonheur de nos amis ne vient ni de la bontĂ© de notre naturel, ni de l’amitiĂ© que nous avons pour eux; c’est un effet de l’amour- propre , qui nous flatte de l’espĂ©rance d’ĂȘtre heureux Ă  notre tour, ouderetirerquelque utilitĂ© de leur bonne fortune. 1665, n° 97. xv Dans l’adversitĂ© de nos meilleurs amis nous trouvons toujours quelque chose qui ne nous dĂ©plaĂźt pas. 1665, n°99. xvi Comment prĂ©tendons-nous qu’un autre garde notre secret, si nous n’avons pas pu le garder nous-mĂȘme? 1665, n° 100. 1 On lit dans les Ă©ditions de Brotier et de M. de Forlia pour nous dĂ©gager de notre infidĂ©litĂ©. Cependant les Ă©ditions de 1666, 1671 et 1673, dans lesquelles on retrouve encore cette pensĂ©e, sont conformes Ă  celle de 1663. 84 MAXIMES xvii Comme si ce n’était pas assez Ă  l’araour-propre d’avoir la vertu de se transformer lui-mĂȘme, il a encore celle de transformer les objets, ce qu’il fait d’une maniĂšre fort Ă©tonnante ; car non-seulement il les dĂ©guise si bien qu’il y est lui- mĂȘme trompĂ©, mais il change aussi l’état et la nature des choses. En effet, lorsqu’une personne nous est contraire, et qu’elle tourne sa haine et sa persĂ©cution contre nous, c’est avec toute la sĂ©vĂ©ritĂ© de la justice que l’amour-propre juge de ses actions il donne Ă  ses dĂ©fauts une Ă©tendue qui les rend Ă©normes, et il met ses bonnes qualitĂ©s dans un jour si dĂ©savantageux, qu’elles deviennent plus dĂ©goĂ»tantes que ses dĂ©fauts. Cependant dĂšs que cette mĂȘme personne nous devient favorable, ou que quelqu’un de nos intĂ©rĂȘts la rĂ©concilie avec nous, notre seule satisfaction rend aussitĂŽt Ă  son mĂ©rite le lustre que notre aversion venait de lui ĂŽter. Les mauvaises qualitĂ©s s’effacent, et les bonnes paraissent avec plus d’avantage qu’auparavant ; nous rappelons mĂȘme toute notre indulgence pour la forcer Ă  justifier la guerre qu’elle nous a faite. Quoique toutes les passions montrent cette vĂ©ritĂ©, l’amour la fait voir plus clairement que les autres ; car nous voyons un amoureux, agitĂ© de la rage oĂč l’a mis l’oubli ou l’infidĂ©litĂ© de ce qu’il aime, mĂ©diter pour sa vengeance tout ce que cette passion inspire de plus violent. NĂ©anmoins, aussitĂŽt que sa vue a calmĂ© la fureur de ses mouvements, son ravissement rend cette beautĂ© innocente ; il n’accuse plus que lui-mĂȘme, il condamne ses condamnations; et par cette vertu miraculeuse de l’amour-propre il ĂŽte la noirceur aux mauvaises actions de sa maĂźtresse, et en sĂ©pare le crime pour s’en charger lui- mĂȘme. xvm Il n’v en a point qui pressent tant les autres que les paresseux lorsqu’ils ont satisfait Ă  leur paresse, afin de paraĂźtre diligents. 1666, n° 91. xix L’aveuglement des hommes est le plus dangereux effet de leur orgueil il sert Ă  le nourrir et Ă  l’augmenter, et nous ĂŽte la connaissance des remĂšdes qui pourraient soulager nos misĂšres et nous guĂ©rir de nos dĂ©fauts. 1665, n° 102. DE LA ROCHEFOUCAULD. 85 xx On n’a plus de raison quand on n’espĂšre plus d’en trouver aux autres. 1665, n° 103. xxi Les philosophes, et SĂ©nĂšque sur tous, n’ont point ĂŽtĂ© les crimes par leurs prĂ©ceptes ils n’ont fait que les employer au bĂątiment de l’orgueil. 1665, n° 105. xxii C’est une preuve de peu d’amitiĂ© de ne s’apercevoir pasdu refroidissement de celle de nos amis. 1666, n°97. xxiii Les plus sages le sont dans les choses indiffĂ©rentes, mais ils ne le sont presque jamais dans leurs plus sĂ©rieuses affaires. 1665,n° 132. xxiv La plus subtile folie se fait de la plus subtile sagesse. 1665, n° 134. xxv La sobriĂ©tĂ© est l’amour de la santĂ© ou l’impuissance de manger beaucoup. 1665,n° 135. xxvi On n’oublie jamais mieux les choses que quand on s’est lassĂ© d’en parler. 1665, n° 144. xxvii La louange qu’on nous donne sert au moins Ă  nous fixer dans la pratique des vertus. 1665, n° 155. xxviii L’amour-propre empĂȘche bien que celui qui nous flatte ne soit jamais celui qui nous flatte le plus. 1665, n° 157. xxix On ne blĂąme le vice et on ne loue la vertu que par intĂ©rĂȘt. 1665,n° 151. xxx On ne fait point de distinction dans les espĂšces de colĂšre, bien qu’il y en ait une lĂ©gĂšre et quasi innocente, qui vient de l’ardeur de la complexion, et une autre trĂšs-criminelle, qui est a proprement parler la fureur de l’orgueil. 1665, n° 159. 86 MAXIMES xxxi Les grandes Ăąmes ne sont pas celles qui ont moins de passions et plus de vertus que les Ăąmes communes, mais celles seulement qui ont de plus grands desseins. 1665, n° 161. xxxn Les rois font des hommes comme des piĂšces de monnaie ; ils les font valoir ce qu’ils veulent, et l’on est forcĂ© de les recevoir selon leur cours, et non Das selon leur vĂ©ritable prix. 1665,n°165. xxxm La fĂ©rocitĂ© naturelle fait moins de cruels que l’amour-propre. 1665, n° 174. xxxiv On peut dire de toutes nos vertus ce qu’un poete italien a dit de l’honnĂȘtetĂ© des femmes, que ce n’est souvent autre chose qu’un art de paraĂźtre honnĂȘte. 1665, n° 176. xxxv Il y a des crimes qui deviennent innocents et mĂȘme glorieux par leur Ă©clat, leur nombre et leur excĂšs de lĂ  vient que les voleries publiques sont des habiletĂ©s, et que prendre des provinces injustement s’appelle faire des conquĂȘtes. 1665 n° 192. xxxvi On ne trouve point dans l’homme le bien ni le mal dans l’excĂšs. 1665, n° 201. xxxvn Ceux qui sont incapables de commettre de grands crimes n’en soupçonnent pas facilement les autres. 1665, n° 508. xxxvm La pompe des enterrements regarde plus la vanitĂ© des vivants que l’honneur des morts. 1665, n u 213. xxxix Quelque incertitude et quelque variĂ©tĂ© qui paraisse dans le monde, on y remarque nĂ©anmoins un certain enchaĂźnement secret, et un ordre rĂ©glĂ© de tout temps par la Providence, qui fait que chaque chose marche en son rang, et suit le cours de sa destinĂ©e. 1665, n° 225. DE LA ROCHEFOUCAULD. 87 XL L’intrĂ©piditĂ© doit soutenir lecƓurdansles conjurations, au lieu que la seule valeur lui fournit toute la fermetĂ© qui lui est nĂ©cessaire dans les pĂ©rils de la guerre. 1665, n°231. xli Ceux qui voudraient dĂ©finir la victoire par sa naissance seraient tentĂ©s, comme les poĂštes, de l’appeler la fille du ciel, puisqu’on ne trouve point son origine sur la terre. En effet, elle est reproduite par une infinitĂ© d’actions, qui au lieu de l’avoir pour but, regardent seulement les intĂ©rĂȘts particuliers de ceux qui les font ; puisque tous ceux qui composent une armĂ©e, allant Ă  leur propre gloire et Ă  leur Ă©lĂ©vation, procurent un bien si grand et si gĂ©nĂ©ral. 1665, n° 232. xlii On ne peut rĂ©pondre de son courage quand on n’a jamais Ă©tĂ© dans le pĂ©ril. 1665 , n°236. xliii Ou donne plus souvent des bornes Ă  sa reconnaissance qu’à ses dĂ©sirs et Ă  ses espĂ©rances. 1665, n° 241. xnv L’imitation est toujours malheureuse, et tout ce qui est contrefait dĂ©plaĂźt avec les mĂȘmes choses qui charment lorsqu’elles sont naturelles. 1665, n° 245. xl y Nous ne regrettons pas la perte de nos amis selon leur mĂ©rite, maisselon nosbesoins, et selon l’opinion que nous croyons leur avoir donnĂ©e de ce que nous valons. 1665, n° 248. xlvi Il est bien malaisĂ© de distinguer la bontĂ© gĂ©nĂ©rale et rĂ©panduesur tout le monde, de la grande habiletĂ©. 1665, n° 252. xlvii Pour pouvoir ĂȘtre toujours bon, il faut que les autres croient qu’ils ne peuvent jamais nous ĂȘtre impunĂ©ment mĂ©chants. 1665, n° 254. xlvĂŻii La confiance de plaire est souvent un moyen de dĂ©plaire infailliblement. 1665, n°256. xlix La confiance que l’on a en soi fait naĂźtre la plus grande partie de celle que l’on a aux autres. 1665. n°258. MAXIMES S»8 i. Il y a une rĂ©volution gĂ©nĂ©rale qui change le goĂ»t des esprits aussi bien que les fortunes du monde. 1665 , n° 259. ; lĂŻ La vĂ©ritĂ© est le fondement et la raison de la perfection et de la beautĂ© ; une chose, de quelque nature qu’elle soit, ne saurait ĂȘtre belle et parfaite si elle n’est vĂ©ritablement tout ce qu’elle doit ĂȘtre et si elle n’a tout ce qu’elle doit avoir. 1665, n° 260. li bis li y a de belles choses qui ont plus d’éclat quand elles demeurent imparfaites que quand elles sont trop achevĂ©es. 1665, n°262. lii La magnanimitĂ© est un noble effort de l’orgueil par lequel il rend l’homme maĂźtre de lui-mĂȘme, pour le rendre maĂźtre de toutes choses. 1665, n° 271. lui Le luxe et la trop grande politesse dans les États sont le prĂ©sage assurĂ© de leur dĂ©cadence, parce que tous les particuliers s’attachant Ă  leurs intĂ©rĂȘts propres, ils se dĂ©tournent du bien public. 1665,n°282. liy De toutes les passions celle qui est la plus inconnue Ă  nous-mĂȘmes, c’est la paresse; elle est la plus ardente et la la plus maligne de toutes, quoique sa violence soit insensible , et que les dommages qu’elle cause soient trĂšs-cachĂ©s si nous considĂ©rons attentivement son pouvoir, nous verrons qu’elle se rend en toutes rencontres maĂźtresse de nos sentiments, de nos intĂ©rĂȘts et de nos plaisirs c’est la rĂ©more qui a la force d’arrĂȘter les plus grands vaisseaux. c’est une bonace plus dangereuse aux plus importantes affaires que les Ă©cueils et que les plus grandes tempĂȘtes. Le repos de la paresse est un charme secret de l’ñme qui suspend soudainement les plus ardentes poursuites et les plus opiniĂątres rĂ©solutions. Pour donner enfin la vĂ©ritable idĂ©e de cette passion, il faut dire que la paresse est comme une bĂ©atitude de l’ñme, qui la console de toutes ses pertes, et qui lui tient lieu de tous les biens. 1665, n°290. DE LA ROCHEFOUCAULD SĂż lv On aime bien Ă  deviner les autres, mais l’on n’aime pas Ă  ĂȘtre devinĂ©. 1665, n°296. lvi C’est une ennuyeuse maladie que de conserver sa santĂ© par un trop grand rĂ©gime. 1665, n° 298. lvii Il est plus facile de prendre de l’amour quand on n’en a pas que de s’en dĂ©faire quand on en a. 1665 , n° 300. LvmLa plupart des femmes se rendent plutĂŽt par faiblesse que par passion. De lĂ  vient que pour l’ordinaire les hommes entreprenants rĂ©ussissent mieux que les autres, quoiqu’ils ne soient pas plus aimables. 1665, n°301. lix N’aimer guĂšre en amour est un moyen assurĂ© pour ĂȘtre aimĂ©. 1665, n°302. lx La sincĂ©ritĂ© que se demandent les amants et les maĂźtresses pour savoir l’un et l’autre quand ils cesseront de s’aimer est bien moins pour vouloir ĂȘtre avertis quand on ne les aimera plus, que pour ĂȘtre mieux assurĂ©s qu’on les aime, lorsque l’on ne dit point le contraire. 1665, n° LxiLa plus juste comparaison qu’on puisse faire de l’amour, c’est celle de la fiĂšvre ; nous n’avons non plus de pouvoir sur l’un que sur l’autre, soit pour sa violence ou pour sa durĂ©e. 1665, n° 305. lxii La plus grande habiletĂ© des moins habiles est de savoir se soumettre Ă  la bonne conduite d’autrui. 1665, n° 309.} lxiii On craint toujours de voir ce qu’ou aime quand on vientde faire des coquetteries ailleurs. 1675 , n" 372. lxiv On doit se consoler de ses fautes quand on a la force de les avouer. 1675 , n° 375. SECOND SUPPLÉMENT. PENSÉES TIRÉES DES LETTRES MANUSCRITES QUI SE TROUVENT A LA BIBLIOTHEQUE DU ROI i L’intĂ©rĂȘt est l’ñme de l’amour-propre de sorte que comme le corps privĂ© de son Ăąme est sans vue, sans ouĂŻe, sans connaissance, sans sentiment et sans mouvement, de mĂȘme l’amour- propre sĂ©parĂ©, s’il le faut dire ainsi, de son intĂ©rĂȘt, ne voit, n’entend, ne sent et ne se remue plus de lĂ  vient qu’un mĂȘme homme qui court la terre et les mers pour son intĂ©rĂȘt devient soudainement paralytique pour l’intĂ©rĂȘt des autres ; de lĂ  vient le soudain assoupissement et cette mort que nous causons Ă  tous ceux Ă  qui nous contons nos affaires de lĂ  vient leur prompte rĂ©surrection lorsque dans notre narration nous y mĂȘlons quelque chose qui les regarde de sorte que nous voyons, dans nos conversations et dans nos traitĂ©s, que dans un mĂȘme moment un homme perd connaissance et revient Ă  soi, selon que son propre intĂ©rĂȘt s’approche de lui ou qu’il s’en retire. {Lettre Ă  madame de. SablĂ©, manusc., folio 211. u Ce qui fait tant crier contre les maximes qui dĂ©couvrent le cƓur de l’homme est que l’on craint d’y ĂȘtre dĂ©couvert. Maxime 103. {Manusc., folio 310. ni L’espĂ©rance et la crainte sont insĂ©parables. Maxime 168. Lettre Ă  madame de SablĂ©, manusc., folio 222. 1 M. AimĂ© Martin a indiquĂ© les numĂ©ros des maximes auxquelles Les PensĂ©es de ce SupplĂ©ment peuvent servir de variantes. PENSEES DE LA ROCHEFOUCAULD. 91 rv Il est assez ordinaire de hasarder sa vie pour empĂȘcher d’ĂȘtre dĂ©shonorĂ© ; mais quand cela est fait, on en est assez content pour ne se mettre pas d’ordinaire fort en peine du succĂšs de l’entreprise que l’on veut faire rĂ©ussir ; et il est certain que ceux qui s’exposent et font autant qu’il est nĂ©cessaire pour prendre une place que l’on attaque, ou pour conquĂ©rir une province, ont plus de mĂ©rite, sont meilleurs officiers, et ont de plus grandes et de plus utiles vues que ceux qui s’exposent seulement pour mettre leur honneur Ă  couvert ; il est fort commun de trouver des gens de la derniĂšre espĂšce, et fort rare d’en trouver de l’autre. Maxime 219 .{LettreĂ M. Esprit, manusc.,folio 173. v Le goĂ»t change, mais l’inclination ne change point. Maxime 252. Lettre Ă  madame de SablĂ©, manusc.., folio 223. vi Le pouvoir que des personnes que nous aimons ont sur nous est presque toujours plus grand que celui que nous avons nous-mĂȘme. Maxime 259. Lettre a madame de SablĂ©, manusc., folio 211. vu Ce qui fait croire si facilement que les autres ont des dĂ©fauts, c’est la facilitĂ© que l’on a de croire ce que l’on souhaite. Maxime 397 .^{Lettre Ă  madame de SablĂ©, manusc., folio 223. viu Je sais bien que le bon sens et le bon esprit ennuient Ă  tous les Ăąges, mais les goĂ»ts n’y mĂšnent pas toujours, et ce qui serait bien en un temps ne serait pas bien en un autre. Ce qui mĂ©fait croire que peu de gens savent ĂȘtre vieux. Maxime423. Lettre Ă  madame de SablĂ©, manusc., folio 202. ix Dieu a permis', pour punir l’homme du pĂ©chĂ© originel, qu’il se fĂźt un bien de son amour-propre pour en ĂȘtre tourmentĂ© dans toutes les actions de sa vie. Maxime 494. {Manusc., folio 310. x Ilme semble que voilĂ  jusqu’oĂč la philosophie d’un laquais 92 MAXIMES mĂ©ritait d’aller; je crois que toute gaietĂ© en cet Ă©tat-lĂ  est bien suspecte'. Maxime 504. {LettreĂ  madame de SablĂ©, manusc., folio 161. TROISIÈME SUPPLÉMENT. i 1 Force gens veulent ĂȘtre dĂ©vots ; mais personne ne veut ĂȘtre humble. n Le travail du corps dĂ©livre des peines de l’esprit, et c’est ce qui rend les pauvres heureux. m Les vĂ©ritables mortifications sont celles qui ne sont point connues ; la vanitĂ© rend les autres faciles. iv L’humilitĂ© est l’autel sur lequel Dieu veutqu’on lui offre des sacrifices. v Il faut peu de choses pour rendre le sage heureux; rien ne peut rendre un fol content ; c’est pourquoi presque tous les hommes sont misĂ©rables. vi Nous nous tourmentons moins pour devenir heureux que pour faire croire que nous le sommes. vu 11 est bien plus aisĂ© d’éteindre un premier dĂ©sir que de satisfaire tous ceux qui le suivent. 1 La Rochefoucauld cite dans la 504 e maxime le trait d’un laquais qui dansa sur l’échafaud oĂč il allait ĂȘtre rouĂ©. ? Les cinquante maximes suivantes sont tirĂ©es delĂ  sixiĂšme Ă©dition des PensĂ©es de La Rochefoucauld, publiĂ©e chez Claude Barbin, en 1693, plus de douze ans aprĂšs la mort de l'auteur, arrivĂ©e le 17 mai 1680. DE LA ROCHEFOUCAULD. 93 xxxix Il n’est jamais plus difficile de bien parler que quand on a honte de se taire. xl Les fautessont toujours pardonnables quand onalaforce de les avouer. xli Le plus grand dĂ©faut de la pĂ©nĂ©tration n’est pas de ne pas aller au but, c’est de le passer. xlii On donne des conseils, mais on ne donne point la sagesse d’en profiter. xliii Quand notre mĂ©rite baisse, notre goĂ»t diminue aussi. xliv La fortune fait paraĂźtre nos vertus et nos vices, comme la lumiĂšre fait paraĂźtre les objets. xlv Nos actions sont comme des bouts-rimĂ©s, que chacun tourne comme il lui plaĂźt. xlvi Il n’est rien de plus naturel ni de plus trompeur que de croire qu’on est aimĂ©. 96 MAXIMES DE LA ROCHEFOUCAULD. xlvii Nous aimons mieux voir ceux Ă  qui nous faisons du bien que ceux qui nous en font. xlviii Il est plus difficile de dissimuler les sentiments que l’on a que de feindre ceux que l’on n’a pas. xiiix Les amitiĂ©s renouĂ©es demandent plus de soins que celles qui n’ont jamais Ă©tĂ© rompues. l Un homme Ă  qui personne ne plaĂźt est bien puis malheureux que celui qui ne plaĂźt Ă  personne. REFLEXIONS DIVERSES DU DUC DE LA. ROCHEFOUCAULD I. De la Confiance. Bien que la sincĂ©ritĂ© et la confiance aient du rapport, elles sont nĂ©anmoins diffĂ©rentes en plusieurs choses. La sincĂ©ritĂ© est une ouverture de cƓur qui nous montre tels que nous sommes ; c’est un amour de la vĂ©ritĂ©, une rĂ©pugnance Ă  se dĂ©guiser, un dĂ©sir de se dĂ©dommager de ses dĂ©fauts, et de les diminuer mĂȘme par le mĂ©rite de les avouer. La confiance ne nous laisse pas tant de libertĂ© ses rĂšgles sont plus Ă©troites ; elle demande plus de prudence et de retenue, et nous ne sommes pas toujours libres d’en disposer. Il ne s’agit pas de nousuniquement,etnos intĂ©rĂȘts sont mĂȘlĂ©s d’ordinaire avec les intĂ©rĂȘts des autres elle a besoin d’une grande justesse pour ne pas livrer nos amis en nous livrant nous-mĂȘme et pour ne pas faire des prĂ©sents de leur bien, dans la vue d’augmenter le prix de ce que nous donnons. La confiance plaĂźt toujours Ă  celui qui la reçoit c’est un tribut que nous payons Ă  son mĂ©rite, c’est un dĂ©pĂŽt que l’on commet Ă  sa foi ; ce sont des gages qui lui donnent un droit sur nous, et une sorte de dĂ©pendance oĂč nous nous assujettissons volontairement. 1 Les rĂ©flexions suivantes sont tirĂ©es dun Recueil de piĂšces d’histoire et de littĂ©rature, Paris, 1731, tome I, page 32. Gabriel Brotier est le premier qui les ait insĂ©rĂ©es Ă  la suite des Maximes , dans l'Ă©dition qu’il a donnĂ©e de cet ouvrage. 08 REFLEXIONS DIVERSES Je ne prĂ©tends pas dĂ©truire, par ce que je dis, la confiance si nĂ©cessaire entre les hommes, puisqu’elle est le lien de la sociĂ©tĂ© et de l’amitiĂ©. Je prĂ©tends seulement y mettre des bornes, et la rendre honnĂȘte et fidĂšle. Je veux qu’elle soit toujours vraie et toujours prudente, et qu’elle n’ait ni faiblesse ni intĂ©rĂȘt. Je sais Lien qu’il est malaisĂ© de donner de justes limites Ă  la maniĂšre de recevoir toute sorte de confiance de nos amis, et de leur faire part delĂ  nĂŽtre. On se confie le plus souvent par vanitĂ©, par envie de parler, par le dĂ©sir de s’attirer la confiance des autres, et pour faire un Ă©change de secrets. Il y a des personnes qui peuvent avoir raison de se fier en nous, vers qui nous n’aurions pas raison d’avoir la mĂȘme conduite ; et on s’acquitte avec ceux-ci en leur gardant le secret et en les payant de lĂ©gĂšres confidences. II y en a d’autres dont la fidĂ©litĂ© nous est connue, qui ne mĂ©nagent rien avec nous, et Ă  qui on peut se confier par choix et par estime. On doit ne leur rien cacher de ce qui ne regarde que nous; se montrer Ă  eux toujours vrai dans nos bonnes qualitĂ©s et dans nos dĂ©fauts mĂȘme, sans exagĂ©rer les unes et sans diminuer les autres; se faire une loi de ne leur faire jamais des demi-confidences elles embarrassent toujours ceux qui les font, et ne contentent jamais ceux qui les reçoivent. On leur donne des lumiĂšres confuses de ce qu’on veut cacher, on augmente leur curiositĂ© on les met en droit de vouloir en savoir davantage, et ils se croient en libertĂ© de disposer de ce qu’ils ont pĂ©nĂ©trĂ©. Il est plus sĂ»r et plus honnĂȘte de ne leur rien dire, que de se taire quand on commencĂ© Ă  parler. Il y a d’autres rĂšgles Ă  suivre pour les choses qui nous ont Ă©tĂ© confiĂ©es plus elles sont importantes, et plus la prudence et la fidĂ©litĂ© y sont nĂ©cessaires. Tout le monde convient que le secret doit ĂȘtre inviolable mais on ne convient pas toujours de la nature et de l’importance du secret. Nous ne consultons le plus souvent que nous- mĂȘme sur ce que nous devons dire et sur ce que nous devons DE LA ROCHEFOUCAULD. 09 taire. 11 y a peu de secrets de tous les temps, et le scrupule de les rĂ©vĂ©ler ne dure pas toujours. On a des liaisons Ă©troites avec des amis dont on connaĂźt la lidĂ©litĂ© ; ils nous ont toujours parlĂ© sans rĂ©serve, et nous avons toujours gardĂ© les mĂȘmes mesures avec eux. Us savent nos habitudes et nos commerces, et ils nous voient de trop prĂšs pour ne pas s’apercevoir du moindre changement. Ils peuvent savoir par ailleurs ce que nous sommes engagĂ© de ne dire jamais Ă  personne. Il n’a pas Ă©tĂ© en notre pouvoir de les faire entrer dans ce qu’on nous a confiĂ©; ils ont peut-ĂȘtre mĂȘme quelque intĂ©rĂȘt de le savoir ; on est assurĂ© d’eux comme de soi, et on se voit rĂ©duit Ă  la cruelle nĂ©cessitĂ© de perdre leur amitiĂ©, qui nous est prĂ©cieuse, ou de manquer Ă  la foi du secret. Cet Ă©tat est sans doute la plus rude Ă©preuve de la fidĂ©litĂ©, mais il ne doit pas Ă©branler un honnĂȘte homme c’est alors qu’il lui est permis de se prĂ©fĂ©rer aux autres. Son premier devoir est de conserver indispensablement ce dĂ©pĂŽt en son entier. Il doit non-seulement mĂ©nager ses paroles et ses tons, il doit encore mĂ©nager ses conjectures, et 11 e laisser rien voir, dans ses discours ni dans son air, qui puisse tourner l’esprit des autres vers ce qu’il ne veut pas dire. On a souvent besoin de force et de prudence pour les opposer a la tyrannie de la plupart de nos amis, qui se font un droit sur notre conliance, et qui veulent tout savoir de nous on ne doit jamais leur laisser Ă©tablir ce droit sans exception. Il y a des rencontres et des circonstances qui ne sont pas de leur juridiction s’ils s’en plaignent, on doit souffrir leurs plaintes, et s'en justifier avec douceur; mais s’ils demeurent injustes, on doit sacrifier leur amitiĂ© Ă  son devoir ; et choisir entre deux maux inĂ©vitables, dont l’un se peut rĂ©parer, et l’autre est sans remĂšde. II. De la DiffĂ©rence des esprits. Bien que toutes les qualitĂ©s de l’esprit se puissent rencontrer dans un grand gĂ©nie, il y en a nĂ©anmoins qui lui sont propres 100 RÉFLEXIONS DIVERSES et particuliĂšres; ses lumiĂšres n’ont point de bornes, il agit toujours Ă©galement et avec la mĂȘme activitĂ© ; il discerne les objets Ă©loignĂ©s comme s’ils Ă©taient prĂ©sents; il comprend, il imagine les plus grandes choses; il voit et connaĂźt les plus petites; ses pensĂ©es sont relevĂ©es, Ă©tendues, justes et intelligibles rien n’échappe Ă  sa pĂ©nĂ©tration , et elle lui fait souvent dĂ©couvrir la vĂ©ritĂ© au travers des obscuritĂ©s qui la cachent aux autres. Un bel esprit'pense toujours noblement; il produit avec facilitĂ© des choses claires, agrĂ©ables et naturelles ; il les fait voir dans leur plus beau jour, et il les pare de tous les ornements qui leur conviennent ; il entre dansle goĂ»tdesautres, et retranche de ses pensĂ©es ce qui est inutile, ou ce qui peut dĂ©plaire. Un esprit adroit, facile, insinuant, sait Ă©viter et surmonter les difficultĂ©s. Il se plie aisĂ©ment Ă  ce qu’il veut, il sait connaĂźtre l’esprit et l’humeur de ceux avec qui il traite ; et en mĂ©nageant leurs intĂ©rĂȘts il avance et il Ă©tablit les siens. Un bon esprit voit toutes choses comme elles doivent ĂȘtre vues ; il leur donne le prix qu’elles mĂ©ritent, il les fait tourner du cĂŽtĂ© qui lui est le plus avantageux, et il s’attache avec fermetĂ© Ă  ses pensĂ©es, parce qu’il en connaĂźt toute la force et toute la raison. 11 y a de la diffĂ©rence entre un esprit utile et un esprit d’affaires; on peut entendre les affaires, sans s’appliquer Ă  son intĂ©rĂȘt particulier. Il y a des gens habiles dans tout ce qui ne les regarde pas, et trĂšs-malhabiles dans tout ce qui les regarde et il y en a d’autres au contraire qui ont une habiletĂ© bornĂ©e Ă  ce qui les touche, et qui savent trouver leur avantage en toutes choses. On peut avoir tout ensemble un air sĂ©rieux dans l’esprit, et dire souvent des choses agrĂ©ables et enjouĂ©es. Cette sorte d’esprit convient Ă  toutes personnes et Ă  tous les Ăąges de la vie. Les jeunes gens ont d’ordinaire l’esprit enjouĂ© et moqueur, sans l’avoir sĂ©rieux ; et c’est ce qui les rend souvent incommodes. Rien n’est plus aisĂ© Ă  soutenir que le dessein d’ĂȘtre toujours DE LA ROCHEFOUCAULD. 101 plaisant; et les applaudissements qu’on reçoit quelquefois eu divertissant les autres ne valent pas que l’on s’expose Ă  la honte de les ennuyer souvent quand ils sont de mĂ©chante humeur. La moquerie est une des plus agrĂ©ables et des plus dangereuses qualitĂ©s de l’esprit. Elle plaĂźt toujours quand elle est dĂ©licate ; mais on craint aussi toujours ceux qui s’en servent trop souvent. La moquerie peut nĂ©anmoins ĂȘlre permise quand elle n’est mĂȘlĂ©e d’aucune malignitĂ©, et quand on y fait entrer les personnes mĂȘmes dont on parle. Il est malaisĂ© d'avoir un esprit de raillerie sans affecter d’ĂȘtre plaisant, ou sans aimera se moquer; il faut une grande justesse pour railler longtemps sans tomber dans l’une ou l’autre de ces extrĂ©mitĂ©s. La raillerie est un air de gaietĂ© qui remplit l’imagination, et qui lui fait voir en ridicule les objets qui se prĂ©sentent l’humeur y mĂȘle plus ou moins de douceur ou d’ñpretĂ©. Il y a une maniĂšre de railler, dĂ©licate et flatteuse, qui touche seulement les dĂ©fauts que les personnes dont on parle veulent avouer, qui sait dĂ©guiser les louanges qu’on leur donne sous des apparences de blĂąme, et qui dĂ©couvre ce qu’elles ont d’aimable, en feignant de le vouloir cacher. Un esprit fin et un esprit de finesse sont trĂšs-diffĂ©rents. Le premier plaĂźt toujours il est dĂ©liĂ©, il pense des choses dĂ©licates, et voit les plus imperceptibles; un esprit de finesse ne va jamais droit il cherche des biais et des dĂ©tours pour faire rĂ©ussir ses desseins. Cette conduite est bientĂŽt dĂ©couverte; elle se fait toujours craindre, et ne mĂšne presque jamais aux grandes choses. Il y a quelque diffĂ©rence entre un esprit de feu et un esprit brillant un esprit de feu va plus loin et avec plus de rapiditĂ©. Un esprit brillant a de la vivacitĂ©, de l’agrĂ©ment et de la justesse. La douceur de l’esprit est un air facile et accommodant, et qui plaĂźt toujours quand il n’est point fade. 6 . 102 RÉFLEXIONS DIVERSES Un esprit de dĂ©tail s’applique avec de l’ordre et de la rĂšgle Ă  toutes les particularitĂ©s des sujets qu’on lui prĂ©sente. Cette application le renferme d’ordinaire Ă  de petites choses; elle n est pas nĂ©anmoins toujours incompatible avec de grandes vues ; et quand ces deux qualitĂ©s se trouvent ensemble dans un mĂȘme esprit, elles l’élĂšvent infiniment au-dessus des autres. On a abusĂ© du terme de bel esprit, et bien que tout ce qu’on vient de dire des diffĂ©rentes qualitĂ©s de l’esprit puisse convenir Ă  un bel esprit, nĂ©anmoins, comme ce titre a Ă©tĂ© donnĂ© Ă  un nombre infini de mauvais poĂštes et d’auteurs ennuyeux, on s’en sert plus souvent pour tourner les gens en ridicule que pour les louer. Bien qu’il y ait plusieurs Ă©pithĂštes pour l’esprit qui paraissent une mĂȘme chose, le ton et la maniĂšre de les prononcer y mettent de la diffĂ©rence; mais comme les tons et les maniĂšres ne se peuvent Ă©crire, je n’entrerai point dans un dĂ©tail qu’il serait impossible de bien expliquer. L’usage ordinaire le fait assez entendre; et en disant qu'un homme a de l’esprit, qu’il a beaucoup d’esprit, et qu’il a un bon esprit, il n’y a que les tons et les maniĂšres qui puissent mettre de la diffĂ©rence entre ces expressions, qui paraissent semblables sur le papier, et qui expriment nĂ©anmoins diffĂ©rentes sortes d’esprit. On dit encore qu’un homme n’a qu’une sorte d’esprit, qu’il a de plusieurs sortes d’esprit, et qu’il a toutes sortes d’esprit. On peut ĂȘtre sot avec beaucoup d’esprit, et on peut n’ĂȘtre pas sot avec peu d’esprit. Avoir beaucoup d’esprit est un terme Ă©quivoque. 11 peut comprendre toutes les sortes d’esprit dont on vient de parler ; mais il peut aussi n’en marquer aucune distinctement. On peut quelquefois faire paraĂźtre de l’esprit dans ce qu’on dit, sans en avoir dans sa conduite. On peut avoir de l’esprit, et l’avoir ornĂ©. Un esprit peut ĂȘtre propre Ă  de certaines choses, et ne ’étre pas Ă  d’autres on peut avoir beaucoup d’esprit, et n’ĂȘtre nopre Ă  rien; et avec beaucoup d’esprit on est souvent fort incommode. Il semble nĂ©anmoins que le plus grand mĂ©rite de cette sorte d’esf rit est de plaire quelquefois dans la conversation. DE LA ROCHEFOUCAULD. 103 Bien que les productions d’esprit soient infinies, on peut, ce me semble, les distinguer de cette sorte Il y a des choses si belles, que tout le monde est capable d'en voir et d’en sentir la beautĂ©. Il y en a qui ont de la beautĂ©, et qui ennuient. Il y en a qui sont belles, et que tout le monde sent, bien que tous n’en sachent pas la raison. 11 y en a qui sont si fines et si dĂ©licates, que peu de gens sont capables d’en remarquer toutes les beautĂ©s. II y en a d’autres qui ne sont pas parfaites, mais qui sont dites avec tant d’art, et qui sont soutenues et conduites avec tant de raison et tant de grĂące, qu’elles mĂ©ritent d’ĂȘtre admirĂ©es. III. Des GoĂ»ts. Il y a des personnes qui ont plus d’esprit que de goĂ»t, et d’autres qui ont plus de goĂ»t que d’esprit. 11 y a plus de variĂ©tĂ© et de caprice dans le goĂ»t que dans l’esprit. Ce terme de goĂ»t a diverses significations, et il est aisĂ© de s’v mĂ©prendre. Il y a diffĂ©rence entre le goĂ»t qui nous porte vers les choses, et le goĂ»t qui nous en fait connaĂźtre et discerner les qualitĂ©s en nous attachant aux rĂšgles. On peut aimer la comĂ©die sans avoir le goĂ»t assez in et assez dĂ©licat pour en bien juger; et on peut avoir le goĂ»t assez bon pour bien juger de la comĂ©die sans l’aimer. Il y a des goĂ»ts qui nous approchent imperceptiblement de ce qui se montre Ă  nous, et d’autres nous entraĂźnent par leur force ou par leur durĂ©e. 11 y a des gens qui ont le goĂ»t faux en tout, d’autres ne l’ont faux qu’en certaines choses ; et ils l’ont droit et juste dans tout ce qui est de leur portĂ©e. D’autres ont des goĂ»ts particuliers, qu’ils connaissent mauvais, et ne laissent pas de les suivre. Il y en a qui ont le goĂ»t incertain; le hasard en dĂ©cide ils chan- 104 REFLEXIONS DIVERSES gcnt par lĂ©gĂšretĂ©, et sont touchĂ©s de plaisir ou d'ennui sur la parole de leurs amis. D’autres sont toujours prĂ©venus ; ils sont esclaves de leurs goĂ»ts, et les respectent en toutes choses. Il y en a qui sont sensibles Ă  ce qui est bon et choquĂ©s de ce qui ne l’est pas leurs vues sont nettes et justes, et ils trouvent la raison de leur goĂ»t dans leur esprit et dans leur discernement. 11 y en a qui, par une sorte d'instinct dont ils ignorentla cause, dĂ©cident de ce qui se prĂ©sente Ă  eux, et prennent toujours le bon parti. Ceux-ci font paraĂźtre plus de goĂ»t que d’esprit, parce que leur amour-propre et leur humeur ne prĂ©valent point sur leurs lumiĂšres naturelles. Tout agit de concert en eux, tout y est sur un mĂȘme ton. Cet accord les fait juger sainement des objets, et leur en forme une idĂ©e vĂ©ritable mais, Ă  parler gĂ©nĂ©ralement, il y a peu de gens qui aient le goĂ»t fixe et indĂ©pendant de celui des autres ; ils suivent l’exemple et la coutume, et ils en empruntent presque tout ce qu’ils ont de goĂ»t. Dans toutes ces diffĂ©rences de goĂ»t qu’on vient de marquer, il est trĂšs-rare, et presque impossible, de rencontrer cette sorte de bon goĂ»t qui sait donner le prix Ă  chaque chose, qui en connaĂźt toute la valeur, et qui se porte gĂ©nĂ©ralement sur tout. Nos connaissances sont trop bornĂ©es, et cette juste disposition de qualitĂ©s qui font bien juger ne se maintient d’ordinaire que sur ce qui ne nous regarde pas directement. Quand il s’agit de nous, notre goĂ»t n’a plus cette justesse si nĂ©cessaire la prĂ©occupation le trouble ; tout ce qui a du rapport Ă  nous paraĂźt sous une autre figure. Personne ne voit des mĂȘmes veux ce qui le touche et ce qui ne le touche pas. Notre goĂ»t n’est conduit alors que par la pente de l’amour-propre et de l’humeur, qui nous fournissent des vues nouvelles, et nous assujettissent Ă  un nombre infini de changements et d’incertitudes. Notre goĂ»t n’est plus Ă  nous, nous n’en disposons plus. Il change sans notre consentement; et les mĂȘmes objets nous paraissent par tant de cĂŽtĂ©s diffĂ©rents, que nous mĂ©connaissons enfin ce que nous avons vu et ce que nous avons senti. DE LA ROCHEFOUCAULD. 105 IV. De la SociĂ©tĂ©. Mon dessein n’est pas de parler de l’amitiĂ© en parlant de la sociĂ©tĂ©; bienqu’elles aient quelque rapport, elles sont nĂ©anmoins trĂšs-diffĂ©rentes la premiĂšre a plus d’élĂ©vation et d’humilitĂ©, et le plus grand mĂ©rite de l’autre est de lui ressembler. Je ne parlerai donc prĂ©sentement que du commerce particulier que les honnĂȘtes gens doivent avoir ensemble. Il serait inutile de dire combien la sociĂ©tĂ© est nĂ©cessaire aux hommes tous la dĂ©sirent, et tous la cherchent ; mais peu se servent des moyens de la rendre agrĂ©able et de la faire durer. Chacun veut trouver son plaisir et ses avantages aux dĂ©pens des autres. On se prĂ©fĂšre toujours Ă  ceux avec qui on se propose de vivre,et on leur fait presquetoujours sentir cette prĂ©fĂ©rence ; c’est ce qui trouble et ce qui dĂ©truit la sociĂ©tĂ©. Il faudrait du moins savoir cacher ce dĂ©sir de prĂ©fĂ©rence, puisqu’il est trop naturel en nous pour nous en pouvoir dĂ©faire. 11 faudrait faire son plaisir de celui des autres, mĂ©nager leur amour-propre, et ne le blesser jamais. L’esprit a beaucoup de part Ă  un si grand ouvrage ; mais il ne suflit pas seul pour nous conduire dans les divers chemins qu’il faut tenir. Le rapport qui se rencontre entre les esprits ne maintiendrait pas longtemps la sociĂ©tĂ© si elle n’était rĂ©glĂ©e et soutenue par le bon sens, par l’humeur, et par les Ă©gards qui doivent ĂȘtre entre les personnes qui veulent vivre ensemble. S’il arrive quelquefois que des gens opposĂ©s d’humeur et d’esprit paraissent unis, ils tiennent sans doute par des raisons Ă©trangĂšres, qui ne durent pas longtemps. On peut ĂȘtre aussi en sociĂ©tĂ© avec des personnes sur qui nous avons de la supĂ©rioritĂ© par la naissance, ou par des qualitĂ©s personnelles ; mais ceux qui ont cet avantage n’en doivent pas abuser ils doivent rarement le faire sentir, et ne s’en servir que pour instruire les autres. Ils doivent leur faire apercevoir qu’ils ont besoin d’ĂȘtre 106 RÉFLEXIONS DIVERSES ronduits, et les mener par la raison, en s'accommodant, auUnt qu'il est possible, Ă  leurs sentiments et Ă  leur intĂ©rĂȘts. Pour rendre la sociĂ©tĂ© commode il faut que chacun conserve sa libertĂ©. Il ne faut point se voir, ou se voir sans sujĂ©tion, et pour se divertir ensemble. Il faut pouvoir se sĂ©parer sans que cette sĂ©paration apporte de changement. Ilfaut se pouvoir passer .es uns des autres, si on ne veut pas s’exposer Ă  embarrasser quelquefois; et on doit se souvenir qu’on incommode souvent, quand on croit ne pouvoir jamais incommoder. Il faut contri- ouer autant qu’on le peut au divertissement des personnes avec qui on veut vivre, mais il ne faut pas ĂȘtre toujours chargĂ© du soin d’y contribuer. La complaisance est nĂ©cessaire dans la sociĂ©tĂ©; mais elle doit avoir des bornes elle devient une servitude quand elle est excessive. Il faut du moins qu’elle paraisse libre, et qu’en suivant le sentiment de nos amis ils soient persuadĂ©s que c’est le nĂŽtre aussi que nous suivons. Il faut ĂȘtre facile Ă  excuser nos amis quand leurs dĂ©fauts sont nĂ©s avec eux , et qu’ils sont moindres que leurs bonnes qualitĂ©s. II faut souvent Ă©viter de leur faire voir qu’on les ait remarquĂ©s et qu’on en soit choquĂ©. On doit essayer de faire en sorte qu’ils puissent s’en apercevoir eux-mĂȘmes, pour leur laisser le mĂ©rite de s’en corriger. 11 y a une sorte de politesse qui est nĂ©cessaire dans le commerce des honnĂȘtes gens elle leur fait entendre raillerie, et elle les empĂȘche d’ĂȘtre choquĂ©s, et de choquer les autres par de certaines façons de parler trop sĂšches et trop dures, qui Ă©chappent souvent sans y penser quand on soutient son opinion avec chaleur. Le commerce des honnĂȘtes gens ne peut subsister sans une certaine sorte de confiance; elle doit ĂȘtre commune entre eux; il faut que chacun ait un air de sĂ»retĂ© et de discrĂ©tion qui ne donne jamais lieu de craindre qu’on puisse rien dire par imprudence. DE LA ROCHEFOUCAULD. 107 Il faut de la variĂ©tĂ© dans l’esprit ceux qui n’ont que d’une sorte d’esprit ne peuvent pas plaire longtemps ; on peut prendre des routes diverses, n’avoir pas les mĂȘmes talents, pourvu ru’on aide au plaisir de la sociĂ©tĂ©, et qu’on y observe la mĂȘme justesse que les diffĂ©rentes voix et les divers instruments doivent observer dans la musique. Comme il est malaisĂ© que plusieurs personnes puissent avoir les mĂȘmes intĂ©rĂȘts , il est nĂ©cessaire, au moins pour la douceur de la sociĂ©tĂ©, qu’ils n’en aient pas de contraires. On doit aller au-devant de ce qui peut plaire Ă  ses amis , chercher les moyens de leur ĂȘtre utile, leur Ă©pargner des chagrins, leur faire voir qu’on les partage avec eux, quand on ne peut les dĂ©tourner, les effacer insensiblement sans prĂ©tendre de les arracher tout d’un coup, et mettre Ă  la place des objets agrĂ©ables, ou du moins qui les occupent. On peut leur parler de choses qui les regardent, mais ce n’est qu’autant qu’ils le permettent, et on v doit garder beaucoup de mesure. Il y a delĂ  politesse, et quelquefois mĂȘme de l’humanitĂ©, Ă  ne pas entrer trop avant dans les replis de leur cƓur ; ils ont souvent de la peine Ă  laisser voir tout ce qu’ils en connaissent, et ils en ont encore davantage quand on pĂ©nĂštre ce qu’ils ne connaissent pas bien. Que le commerce que les honnĂȘtes gens ont ensemble leur donne de la familiaritĂ©, et leur fournisse un nombre infini de sujets de se parler sincĂšrement. Personne presque n’a assez de docilitĂ© et de bon sens pour bien recevoir plusieurs avis qui sont nĂ©cessaires pour maintenir la sociĂ©tĂ©. On veut ĂȘtre averti jusqu’à un certain point, mais on ne veut pas l’ĂȘtre en toutes choses , et on craint de savoir toutes sortes de vĂ©ritĂ©s. Comme on doit garder des distances pour voir les objeĂźs, il en faut garder aussi pour la sociĂ©tĂ© ; chacun a son point de vue, d’oĂč il veut ĂȘtre regardĂ©. On a raison le plus souvent de ne vouloir pas ĂȘtre Ă©clairĂ© de trop prĂšs; et il n’y a presque point d’homme qui veuille en toutes choses se laisser voir tel qu’il est. 108 RÉFLEXIONS DIVERSES V. De la Conversation. Ce qui fait que peu de personnes sont agrĂ©ables dans la conversation, c’est que chacun songe plus Ă  ce qu’il a dessein de dire qu’à ce que les autres disent, et que l’on n’écoute guĂšre quand on a bien envie de parler. NĂ©anmoins il est nĂ©cessaire d’écouter ceux qui parlent. Il faut leur donner le temps de se faire entendre, et souffrir mĂȘme qu’ils disent des choses inutiles. Bien loin de les contredire et de les interrompre, on doit, au contraire, entrer dans leur esprit et dans leur goĂ»t, montrer qu’on les entend, louer ce qu’ils disent autant qu’il mĂ©rite d’ĂȘtre louĂ©, et faire voir que c’est plutĂŽt par choix qu’on les loue que par complaisance. Pour plaire aux autres il faut parler de ce qu’ils aiment et de ce qui les touche, Ă©viter les disputes sur les choses indiffĂ©rentes, leur faire rarement des questions, et ne leur laisser jamais croire qu’on prĂ©tend avoir plus de raison qu’eux. On doit dire les choses d’un air plus ou moins sĂ©rieux , et sur des sujets plus ou moins relevĂ©s, selon l’humeur et la capacitĂ© des personnes que l’on entretient, et leur cĂ©der aisĂ©ment l’avantage de dĂ©cider, sans les obliger de rĂ©pondre quand ils n'ont pas envie de parler. AprĂšs avoir satisfait de cette sorte aux devoirs de la politesse, on peut dire ses sentiments en montrant qu’on cherche Ă  les appuyer de l’avis de ceux qui Ă©coutent, sans marquer de prĂ©somption ni d’opiniĂątretĂ©. Évitons surtout de parler souvent de nous-mĂȘme et de nou mais, dit Marmontel, qui en avait connu plusieurs, ceux qui Ă©taient capables d’apprĂ©cier un si rare mĂ©rite, avaient conçu pour lui une si tendre vĂ©nĂ©ration, que je lui ai entendu donner par quelques-uns le nom respectable de pĂšre. » Ce nom respectable n’était peut-ĂȘtre pas donnĂ© bien sĂ©rieusement par de jeunes militaires Ă  un camarade de leur Ăąge ; mais le ton mĂȘme du badinage, en se mĂȘlant Ă  la justice qu’ils se plaisaient Ă  lui rendre, prouverait encore Ă  quel point Vauvenargues avait su se faire pardonner cette supĂ©rioritĂ© de raison qu’il ne pouvait dissimuler, mais que sa modeste douceur ne permettait aux autres ni de craindre ni d’envier. La guerre d’Italie n’avait pas Ă©tĂ© longue ; mais la paix qui la suivit ne fut pas non plus de longue durĂ©e. Une nouvelle guerre 1 vint troubler la France en 1741. Le rĂ©giment du roi fĂźt partie de l’armĂ©e qu’on envoya en Allemagne, et qui pĂ©nĂ©tra jusqu’en BohĂȘme. On se rappelle tout ce que les troupes françaises eurent Ă  souffrir dans cette honorable et pĂ©nible campagne, et surtout dans la fameuse retraite de Prague 2 , qui s’exĂ©cuta au mois de dĂ©cembre 1742. Le froid fut excessif. Vauvenargues, naturellement faible, en souffrit plus que les autres. Il rentra en France au commencement de 1743, avec une santĂ© dĂ©truite ; la fortune, peu considĂ©rable, avait Ă©tĂ© Ă©puisĂ©e par les dĂ©penses de la guerre. Neuf annĂ©es de service ne lui avaient procurĂ© que le grade de capitaine, et ne lui donnaient aucun espoir d’avancement. Il se dĂ©termina Ă  quitter un Ă©tat, honorable sans doute pour tous ceux qui s’y livrent, mais oĂč il est difficile de se faire honorer plus que des milliers d’autres, lorsque la faveur ou les circonstances ne font pas sortir un militaire de la foule pour l’élever Ă  quelque commandement. Vauvenargues avait Ă©tudiĂ© l’histoire et le droit public; l’habitude et le goĂ»t du travail, et aussi ce sentiment de ses forces que la modestie la plus vraie n’éteint pas dans un esprit supĂ©rieur, lui firent croire qu il pourrait se distinguer dans la carriĂšre des nĂ©gociations. Il dĂ©sira 1 La guerre dite de la Succession , aprĂšs la mort de l'empereur Charles VI, arrivĂ©e le 20 octobre 740. BriĂšre. 2 Cette cĂ©lĂšbre retraite s'exĂ©cuta sous la conduite du marĂ©chal de Belle-Me, qui sortit de Prague dans la nuit du 16 au 17 dĂ©cembre 742, et se rendit Ă  Egra le 26. Le marĂ©chal de Saxe avait tenu la mĂȘme conduite l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente. BriĂšre. ]! ‱ V A U V K NARGUES. 153 d’y entrer, et fit part de son dĂ©sir Ă  M. de Biron, son colonel, qui, loin de lui promettre son appui, ne lui laissa entrevoir que la difficultĂ© de rĂ©ussir dans un tel projet. Tout ce qui sort de la route ordinaire des usages effraye ou choque ceux qui, favorisĂ©s par ces usages mĂȘmes, n’ont jamais eu besoin de les braver ; et voilĂ  pourquoi les gens de la cour observent d’ordinaire Ă  l’égard des gens en place une beaucoup plus grande circonspection que ceux qui, placĂ©s dans les rangs infĂ©rieurs , ont beaucoup moins Ă  perdre, et par cela mĂȘme peuvent risquer davantage. Vauvenargues, malheureux par sa santĂ©, par sa fortune, et surtout par son inaction, sentait qu’il ne pouvait sortir de cette situation pĂ©nible que par une rĂ©solution extraordinaire. Les caractĂšres timides en sociĂ©tĂ© sont souvent ceux qui prennent le plus volontiers des partis extrĂȘmes dans les affaires embarrassantes privĂ©s des ressources habituelles que donne l’assurance, ils cherchent Ă  y supplĂ©er par l’élan momentanĂ© du courage; ils aiment mieux risquer une fois une dĂ©marche hasardĂ©e, que d’avoir tous les jours quelque chose Ă  oser. Vauvenargues, Ă©tranger Ă  la cour, inconnu du ministre dont il aurait pu solliciter la faveur, privĂ© du secours du chef qui aurait pu appuyer sa demande, prit le parti de s’adresser directement au roi, pour lui tĂ©moigner le dĂ©sir de le servir dans les nĂ©gociations. Bans sa lettre, il rappelait Ă  sa majestĂ© que les hommes qui avaient eu le plus de succĂšs dans cette carriĂšre Ă©taient ceux-lĂ  mĂȘme que la fortune en avait le plus Ă©loignĂ©s. Qui doit, en effet, ajoutait-il, servir votre ma- jestĂ© avec plus de zĂšle qu’un gentilhomme qui, n’étant pas nĂ© Ă  la cour, n’a rien Ă  espĂ©rer que de son maĂźtre et de ses services? » Vauvenargues avait Ă©crit en mĂȘme temps Ă  M. Amelot, ministre des affaires Ă©trangĂšres. Ses deux lettres, comme on le conçoit aisĂ©menl , restĂšrent sans rĂ©ponse. Louis XV n’était pas dans l’usage d’accorder des places sans la mĂ©diation de son ministre, et le ministre connaissait trop bien les droits de sa place pour favoriser une dĂ©marche oĂč l'on croyait pouvoir se passer de son autoritĂ©. Vauvenargues, ayant donnĂ©, en 1744, la dĂ©mission de son emploi dans le rĂ©giment du roi, Ă©crivit Ă  M. Amelot une lettre que nous croyons devoir transcrire ici. a Monseigneur, Je suis sensiblement touchĂ© que la lettre que j’ai eu l’honneur de vous Ă©crire et celle que j'ai pris la libertĂ© de vous adresser pour le roi n’aient pu attirer votre attention. Il n’est pas surprenant peut- ĂȘtre qu’un ministre si occupĂ© ne trouve pas le temps d’examiner de S. 154 NOTICE SUR LA VIE ET LES OUVRAGES pareilles lettres; mais, monseigneur, me permettrez vous de vous dire que c’est cette impossibilitĂ© morale oĂč se trouve un gentilhomme qui n’a que du zĂšle, de parvenir jusqu’à son maĂźtre, qui fait le dĂ©- " couragement que l’on remarque dans la noblesse des provinces , et qui Ă©teint toute Ă©mulation ? J'ai passĂ©, monseigneur, toute ma jeu nesse loin des distractions du monde, pour tĂącher de me rendre ca- " pable des emplois oĂč j’ai cru que mon caractĂšre m'appelait ; et j’osais penser qu’une volontĂ© si laborieuse me mettrait du moins au niveau > de ceux qui attendent toute leur fortune de leurs intrigues et de leurs . Si notre existence Ă©tait parfaite, nous ne connaĂźtrions que le plaisir. Étant imparfaite, nous devons connaĂźtre le plaisir et la douleur or, c’est de l’expĂ©rience de ces deux contraires que nous tirons l’idĂ©e du bien et du mal. Mais comme le plaisir et la douleur ne viennent pas Ă  tous les hommes par les mĂȘmes choses, ils attachent Ă  divers objets l’idĂ©e du bien et du mal, chacun selon son expĂ©rience, ses passions , ses opinions, etc. Il n’y a cependant que deux organes de nos biens et de nos maux les sens et la rĂ©flexion. Les impressions qui viennent par les sens sont immĂ©diates, et ne peuvent se dĂ©finir; on n’en connaĂźt pas les ressorts elles sont l’effet du rapport qui est entre les choses et nous ; mais ce rapport secret ne nous est pas connu. 1 Nous Ă©prouvons, etc. Je ne sais si on peut dire Ă©prouver un Ă©taU Oin Ă©prouve une impression qui passe. Être imparfaitement n’explique pas ce que c’est qn'ĂȘtre douloureusement, M. —Le plaisir n’est pas naturellennenit attachĂ© Ă  ĂȘtre; car on existe souvent sans plaisir ni douleur. Être imparfaitement donnerait plutĂŽt l’idĂ©e du dĂ©sir que de la S. de L’ESI’RIT HUMAIN. 193 Les passions qui viennent par l’organe de la rĂ©flexion sont moins ignorĂ©es. Elles ont leur principe dans l’amour de l'ĂȘtre ou de la perfection de l’ĂȘtre, ou dans le sentiment de son imperfection et de son dĂ©pĂ©rissement. Nous tirons de l’expĂ©rience de notre ĂȘtre une idĂ©e de grandeur, de plaisir, de puissance, que nous voudrions toujours augmenter nous prenons dans l’imperfection de notre ĂȘtre une idĂ©e de petitesse, de sujĂ©tion, de misĂšre, que nous tĂąchons d’étouffer voilĂ  toutes nos passions. Il v a des hommes en qui le sentiment de l’ĂȘtre est plus fort que celui de leur imperfection; de lĂ  l’enjouement, la douceur, la modĂ©ration des dĂ©sirs. Il y en a d’autres en qui le sentiment de leur imperfection est plus vif que celui de l’ĂȘtre; de lĂ  l’inquiĂ©tude, la mĂ©lancolie, etc. De ces deux sentiments unis, c’est-Ă -dire celui de nos forces et celui de notre misĂšre, naissent les plus grandes passions; parce que le sentiment de nos misĂšres nous pousse Ă  sortir de nous-mĂȘme, et que le sentiment de nos ressources nous y encourage et nous y porte par l’espĂ©rance. Niais ceux qui ne sentent que leur misĂšre sans leur force ne se passionnent jamais autant, car ils n’osent rien espĂ©rer ; ni ceux qui ne sentent que leur force sans leur impuissance, car ils ont trop peu Ă  dĂ©sirer ainsi il faut un mĂ©lange de courage et de faiblesse, de tristesse et de prĂ©somption. Or, cela dĂ©pend de la chaleur du sang et des esprits ; et la rĂ©flexion qui modĂšre les vellĂ©itĂ©s des gens froids encourage l’ardeur des autres, en leur fournissant des ressources qui nourrissent leurs illusions d’oĂč vient que les passions des hommes d’un esprit profond sont plus opiniĂątres et plus invincibles, car ils ne sont pas obligĂ©s de s’en distraire comme le reste des hommes, par Ă©puisement de pensĂ©e ; mais leurs rĂ©flexions, au contraire, sont un entretien Ă©ternel Ă  leurs dĂ©sirs, qui les Ă©chauffe; et cela explique encore pourquoi ceux qsui pensent peu, ou qui ne sauraient penser longtemps de suite siur la mĂȘme chose, n’ont que l’inconstance en partage. 194 vauveiurgues. XXIII. De la GaietĂ©, de la Joie, de la MĂ©lancolie. Le premier degrĂ© du sentiment agrĂ©able de notre existence est la gaietĂ© lajoieest un sentimentplus pĂ©nĂ©trant. Les hommes enjouĂ©s n’étant pas d’ordinaire si ardents que le reste des hommes, ils ne sont peut-ĂȘtre pas capables des plus vives joies ; mais les grandes joies durent peu, et laissent notre Ăąme Ă©puisĂ©e. La gaietĂ©, plus proportionnĂ©e Ă  notre faiblesse que la joie, nous rend confiants et hardis, donne un ĂȘtre et un intĂ©rĂȘt aux choses les moins importantes, fait que nous nous plaisons par instinct en nous-mĂȘme, dans nos possessions, nos en- tours, notre esprit, notre suffisance , malgrĂ© d’assez grandes misĂšres. Cette intime satisfaction nous conduit quelquefois Ă  nous estimer nous-mĂȘme par de trĂšs-frivoles endroits ; il me semble que les personnes enjouĂ©es sont ordinairement un peu plus vaines que les autres. D’autre part, les mĂ©lancoliques sont ardents, timides, inquiets, et ne se sauvent, la plupart, de la vanitĂ©, que par l’ambition et l’orgueil. XXIV. De ĂŻAmour-Propre et de l'amour de nous-mĂȘme. L’amour est une complaisance dans l’objet aimĂ©. Aimer une chose, c’est se complaire dans sa possession, sa grĂące,son accroissement; craindre sa privation, ses dĂ©chĂ©ances , etc. Plusieurs philosophes rapportent gĂ©nĂ©ralement Ă  l’amour- propre toutes sortes d’attachements. Ils prĂ©tendent qu’on s’approprie tout ce que l’on aime, qu’on n’y cherche que son plaisir et sa propre satisfaction, qu’on se met soi-mĂȘme avant tout; jusque-lĂ  qu’ils nient que celui qui donne sa vie pour un autre le prĂ©fĂšre Ă  soi. Ils passent le but en ce point car si l’objet de DE D’ESPRIT HUMAIN. 195 notre amour nous est plus cher sans l’ĂȘtre, que l’ĂȘtre sans l’objet de notre amour, il paraĂźt que c’est notre amour qui est notre passion dominante, et non notre individu propre; puisque tous nous Ă©chappeavec la vie, le bien que nous nous Ă©tions appropriĂ© par notre amour, comme notre ĂȘtre vĂ©ritable. Ils rĂ©pondent que la passion nous fait confondre dans ce sacrifice notre vie et celle de l’objet aimĂ©; que nous croyons n’abandonner qu’une partie de nous-mĂȘme pour conserver l’autre au moins iis ne peuvent nier que celle que nous conservons nous paraĂźt plus considĂ©rable que celle que nous abandonnons. Or, des que nous nous regardons comme la moindre partie dans le tout, c’est une prĂ©fĂ©rence manifeste de l’objet aimĂ©. On peut dire la mĂȘme chose d’un homme qui volontairement et de sang-froid meurt pour la gloire la vie imaginaire qu’il achĂšte au prix de son ĂȘtre rĂ©el est une prĂ©fĂ©rence bien incontestable de la gloire, et qui justifie la distinction que quelques Ă©crivains ont mise avec sagesse entre l’amour-propre et l’amour de nous-mĂȘme. Ceux-ci conviennent bien que l’amour de nous-mĂȘme entre dans toutes nos passions ; mais ils distinguent cet amour de l’autre. Avec l’amour de nous- mĂȘme , disent-ils, on peut chercher hors de soi son bonheur ; on peut s’aimer hors de soi plus que son existence propre ; on n’est point Ă  soi-mĂȘme son unique objet. L’amour-propre ', au contraire subordonne tout Ă  ses commoditĂ©s et Ă  son bien-ĂȘtre ; il est a lui-mĂȘme son seul objet et sa seule fin de sorte qu’au lieu que les passions qui viennent de l’amour de nous-mĂȘme nous donnent aux choses, l’amour-propre veut que les choses se donnent Ă  nous, et se fait le centre de tout. Rien ne caractĂ©rise donc l’amour-propre comme la complaisance qu’on a dans soi-mĂȘme et les choses qu’on s’approprie. L’orgueil est un effet de cette complaisance. Comme on n’estime gĂ©nĂ©ralement les choses qu’autant qu’elles plaisent, et que nous nous plaisons si souvent Ă  nous-mĂȘme devant toutes choses, de lĂ  ces comparaisons toujours injustes qu’on fait de soi-mĂȘme Ă  autrui, et qui fondent tout notre orgueil. Ou plutĂŽt l'Ă©goĂŻsme. S. VAUVEN' I9fi Mais les prĂ©tendus avantages pour lesquels nous nous estimons Ă©tant grandement variĂ©s, nous les dĂ©signons par les noms que nous leur avons rendus propres. L’orgueil qui vient d’une confiance aveugle dans nos forces, nous l’avons nommĂ© prĂ©somption; celui qui s’attache Ă  de petites choses, vanitĂ©; celui qui est courageux, fiertĂ©. Tout ce qu’on ressent de plaisir en s’appropriant quelque chose, richesse, agrĂ©ment, hĂ©ritage, etc., et ce qu’on Ă©prouve de peine par la perte des mĂȘmes biens, ou la crainte de quelque mal, la peur, le dĂ©pit, la colĂšre, tout cela vient de l’amour- propre. L’amour-propre se mĂȘle Ă  presque tous nos sentiments, ou du moins l’amour de nous-mĂȘme; mais pour prĂ©venir l’embarras que feraient naĂźtre les disputes qu’on a sur les termes, j’use d’expressions synonymes, qui me semblent moins Ă©quivoques. Ainsi, je rapporte tous nos sentiments Ă  celui de nos perfections et de notre imperfection ces deux grands principes nous portent de concert Ă  aimer, estimer, conserver, agrandir et dĂ©fendre du mal notre frĂȘle existence. C’est la source de tous nos plaisirs et dĂ©plaisirs, et la cause fĂ©conde des passions qui viennent par l’organe de la rĂ©flexion. TĂąchons d’approfondir les principales; nous suivrons plus aisĂ©ment la trace des petites, qui ne sont que des dĂ©pendances et des branches de celles-ci. XXV. De F Ambition. L’instinct qui nous porte Ă  nous agrandir n’est nulle part si sensible que dans l’ambition ; mais il ne faut pas confondre tous les ambitieux. Les uns attachent la grandeur solide Ă  l’autoritĂ© des emplois, les autres aux grandes richesses, les autres au faste des titres, etc.; plusieurs vont Ă  leur but sans nul choix des moyens, quelques-uns par de grandes choses, et d’autres par les plus petites ainsi telle ambition est vice ; telle, vertu ; telle, vigueur d’esprit; telle , Ă©garement et bassesse, etc. DE L'ESPRIT HUMAIN. 197 Toutes les passions prennent le tour de notre caractĂšre. Nous avons vu ailleurs que l’ñme influait beaucoup sur l’esprit; l’esprit influe aussi sur l’ñme. C’est de l’àme que viennent tous les sentiments ; mais c’est par les organes de l’esprit que passent les objets qui les excitent. Selon les couleurs qu’il leur donne, selon qu’il les pĂ©nĂštre, qu’il les embellit, qu’il les dĂ©guise,l’ñme les rebute ou s’y attache. Quand donc mĂȘme on ignorerait que tous les hommes ne sont pas Ă©gaux par le cƓur, il suffit de savoir qu’ils envisagent les choses selon leurs lumiĂšres, peut-ĂȘtre encore plus inĂ©gales, pour comprendre la diffĂ©rencequidistingueles passions mĂȘmes qu’on dĂ©signe du mĂȘme nom. Si diffĂ©remment partagĂ©s par l’esprit et les sentiments, ils s’attachent au mĂȘme objet sans aller au mĂȘme intĂ©rĂȘt 1 2 '; et cela n’est pas seulement vrai des ambitieux, mais aussi de toute passion. XXVI. De ĂŻAmour du Monde. Que de choses sont comprises dans l’amour du monde! le libertinage , le dĂ©sir de plaire, l’envie de primer, etc. l’amour du sensible et du grand ne sont nulle part si mĂȘlĂ©s J . Le gĂ©nie et l’activitĂ© portent les hommes Ă  la vertu et Ă  la gloire les petits talents, la paresse, le goĂ»t des plaisirs, la gaietĂ© etla vanitĂ© les fixent aux petites choses ; mais en tout c’est lemĂȘmeinstinct, et l’amour du mondereoferme de vives semences de presque toutes les passions. 1 Ils s'attachent au mĂȘme objet sans aller au mĂȘme intĂ©rĂȘt. C’est-Ă -dire sans voir de mĂȘme l’objet oĂč ils s’attachent, et sans y ĂȘtre portĂ©s par le mĂȘme intĂ©rĂȘt. Deux hommes veulent la mĂȘme place, l’un pour l’argent et l’autre pour le crĂ©dit. Deux amants recherchent la mĂȘme femme, l’un pour sa figure et l’autre pour son esprit, etc. S. 2 L'amour du sensible et du grand ne sont nulle part si mĂȘlĂ©s. C’est-Ă -dire, je crois, selon la maniĂšre de voir de Vauvenargucs, les penchants physiques et les sentiments moraux. D’autant que dans la premiĂšre Ă©dition il ajoutait je parle d'un grand, mesurĂ© Ă  l'esprit et au cƓur qu'il touche. Dans tous les cas cela n’est pas clair. S. 198 VAUVEiV ARGUES. XXVII Sur F Amour de la Gloire. La gloire nous donne sur les cƓurs une autoritĂ© naturelle qui nous touche sans doute autant que nulle de nos sensations, et nous Ă©tourdit plus sur nos misĂšres qu’une vaine dissipation elle est donc rĂ©elle en tous sens. Ceux qui parlent de son nĂ©ant inĂ©vitable soutiendraient peut- ĂȘtre avec peine le mĂ©pris ouvert d’un seul homme. Le vide des grandes passions est rempli par le grand nombre des petites les contempteurs de la gloire se piquent de bien danser ou de quelque misĂšre encore plus basse. Ils sont si aveugles qu’ils ne sentent pas que c’est la gloire qu’ils cherchent si curieusement, et si vains qu’ils osent la mettre dans les choses les plus frivoles La gloire, disent-ils, n’est ni vertu ni mĂ©rite ; ils raisonnent bien en cela elle n’est que leur rĂ©compense ; mais elle nous excite donc au travail et Ă  la vertu, et nous rend souvent estimables , afin de nous faire estimer. Tout est trĂšs-abject dans les hommes, la vertu, la gloire, la vie ; mais les plus petits ont des proportions reconnues. Le chĂȘne est un grand arbre prĂšs du cerisier ; ainsi les hommes Ă  l’égard les uns des autres. Quelles sont les vertus et les inclinations de ceux qui mĂ©prisent la gloire?L’ont-ils mĂ©ritĂ©e! XXVIII. De F Amour des Sciences et des Lettres. La passion de la gloire et la passion des sciences se ressemblent dans leur principe; car elles viennent l’une et l’autre du sentimentde notre vide et de notre imperfection. Mais l’une voudrait se former comme un nouvel ĂȘtre hors de nous, et l’autre s’attache Ă  Ă©tendre et Ă  cultiver notre fonds. Ainsi, la passion de la gloire veut nous agrandir au dehors, et celle des sciences au dedans. On ne peut avoir TĂąme grande ou l’esprit un peu pĂ©nĂ©trant DE L’ESPRIT HUMAIN. 199 sans quelque passion pour les lettres. Les arts sont consacrĂ©s Ă  peindre les traits de la belle nature; les sciences, Ă  la vĂ©ritĂ©. Les arts et les sciences embrassent tout ce qu’il y a dans la pensĂ©e de noble et d’utile; de sorte qu’il ne reste Ă  ceux qui les rejettent que ce qui est indigne d’ĂȘtre peint ou enseignĂ© , etc. La plupart des hommes honorent les lettres comme la religion et la vertu 1 ; c’est-Ă -dire comme une chose qu’ils ne peuvent ni connaĂźtre, ni pratiquer, ni aimer. Personne nĂ©anmoins n’ignore que les bonslivres sont l’essence des meilleurs esprits, le prĂ©cis de leurs connaissances et le fruit de leurs longues veilles. L’étude d’une vie entiĂšre s’y peut recueillir dans quelques heures; c’est un grand secours. Deux inconvĂ©nients sont Ă  craindre dans cette passion le mauvais choix et l’excĂšs. Quant au mauvais choix, il est probable que ceux qui s’attachent Ă  des connaissances peu utiles ne seraient pas propres aux autres ; mais l’excĂšs se peut corriger. Si nous Ă©tions sages, nous nous bornerions Ă  un petit nombre de connaissances, afin de les mieux possĂ©der. Nous tĂącherions de nous les rendre familiĂšres et de les rĂ©duire en pratique la plus longue et la plus laborieuse thĂ©orie n’éclaire cu’imparfaitement. Un homme qui n’aurait jamais dansĂ© possĂ©derait inutilement les rĂšgles de la danse ; il en est sans doute de mĂȘme des mĂ©tiers d’esprit 2 . Je dirai bien plus rarement l’étude est utile lorsqu’elle n’est pas accompagnĂ©e du commerce du monde. Il ne faut pas sĂ©parer ces deux choses l’une nous apprend Ă  penser, l’autre Ă  agir ; l’une Ă  parler, l’autre Ă  Ă©crire ; l’une Ă  disposer nos actions, l’autre Ă  les rendre faciles. L’usage du monde nous donne encore de penser naturellement, et l’habitude des sciences, de penser profondĂ©ment. 1 La plupart des hommes honorent les lettres comme-la religion et la vertu. Il faut comme ils honorent. On avait copiĂ© cette pensĂ©e dans l’ EncyclopĂ©die, sans en citer l’auteur. Les journalistes de TrĂ©voux, qui avaient fort ouĂ© l’ouvrage de Vauvenargues lorsqu’il parut, firent un crime de cette maxime aux encyclopĂ©distes. M. 2 II en est sans doute de mĂȘme des mĂ©tiers d’esprit, 11 faudrait, ce me semble, des mĂ©tiers de l’esprit. M. 200 VAUVENARGUES. Par une suite naturelle de ees vĂ©ritĂ©s, ceux qui sont privĂ©s de l’un et l’autre avantage par leur condition fournissent une preuve incontestable de l’indigence naturelle de l’esprit humain. Un vigneron, un couvreur, resserrĂ©s dans un petit cercle d’idĂ©es trĂšs-communes, connaissent Ă  peine les plus grossiers usages de la raison, et n’exercent leur jugement, supposĂ© qu’ils en aient reçu de la nature, que sur des objets trĂšs-palpables. Je sais bien que l’éducation ne peut supplĂ©er le gĂ©nie; je n’ignore pas que les dons de la nature valent mieux que les dons de l’art 1 cependant l’art est nĂ©cessaire pour faire fleurir les talents. Un beau naturel nĂ©gligĂ© ne porte jamais de fruits mĂ»rs. ' Peut-on regarder comme un bien un gĂ©nie Ă  peu prĂšs stĂ©rile? Que servent Ă  un grand seigneur les domaines qu’il laisse en friche? Est-il riche de ces champs incultes? XXIX. De l'Avarice. Ceux qui n’aiment l’argent que pour la dĂ©pense ne sont pas vĂ©ritablement avares. L’avarice est une extrĂȘme dĂ©fiance des Ă©vĂ©nements, qui cherche Ă  s’assurer contre les instabilitĂ©s de la fortune par une excessive prĂ©voyance, et manifeste cet instinct avide qui nous sollicite d’accroĂźtre, d’étayer, d’affermir notre ĂȘtre. Basse et dĂ©plorable manie, qui n’exige ni connaissance, ni vigueur d’esprit, ni jeunesse, et qui prend, par cette raison, dans la dĂ©faillance des sens la place des autres passions. XXX. De la Passion du Jeu. Quoique j'aie dit que l’avarice naĂźt d’une dĂ©fiance ridicule des Ă©vĂ©nements de la fortune, et qu’il semble que l’amour du 1 Je n'ignore pas que les dons de la nature valent mieux que les dons de l'art Je ne sais si l’on peut dire les dons de Varl comme les dons de la nature. La nature donne, dote, doue; Fart ne fait rien de tout cela il vend et ne donne pas, et l’on achĂšte ses biens avec l’étude et le travail. M. DE L'ESPRIT IIUMALN. 201 jeu vieune, au contraire, d’une ridicule confiance aux mĂȘmes Ă©vĂ©nements, je ne laisse pas de croire qu’il y a des joueurs avares et qui ne sont confiants qu’au jeu encore ont-ils, comme on dit, un jeu timide et serrĂ©. Des commencements souvent heureux remplissent l’esprit des joueurs de l’idĂ©e d’un gain trĂšs-rapide qui paraĂźt toujours sous leurs mains cela dĂ©termine. Par combien de motifs d’ailleurs n’est-on pas portĂ© Ă  jouer? par cupiditĂ©, par amour du faste, par goĂ»t des plaisirs, etc. Il suffit donc d’aimer quelqu’une de ces choses pour aimer le jeu ; c’est une ressource pour les acquĂ©rir, hasardeuse Ă  la vĂ©ritĂ©, mais propre Ă  toutes sortes d’hommes, pauvres, riches, faibles , malades, jeunes et vieux, ignorants et savants, sots et habiles, etc. aussi n’y a-t-il point de passion plus commune que celle-ci. XXXI. De la Passion des Exercices. Il y a dans la passion des exercices un plaisir pour les sens et un plaisir pour l’ñme. Les sens sont flattĂ©s d'agir, de galoper un cheval », d’entendre un bruit de chasse dans une forĂȘt; l’ñme jouit de la justesse de ses sens, de la force et de l’adresse de son corps, etc. Aux yeux d’un philosophe qui mĂ©dite dans son cabinet cette gloire est bien puĂ©rile; mais dans l’ébranlement de l’exercice on ne scrute pas tant les choses. En approfondissant les hommes on rencontre des vĂ©ritĂ©s humiliantes, mais incontestables. Vous voyez l’ñme d’un pĂȘcheur, qui se dĂ©tache en quelque sorte de son corps pour suivre un poisson sous les eaux, et le pousser au piĂšge que sa main lui tend. Qui croirait qu’elle s’applaudit de la dĂ©faite du faible animal et triomphe au fond du filet? Toutefois rien n’est si sensible. Un grand, Ă  la chasse, aime mieux tuer un sanglier qu’une hirondelle par quelle raison ? Tous la voient. 1 Les sens sont flattĂ©s d'agir^ de galoper un cheval. NĂ©gligĂ©. Les sens ne galopent pas un cheval. M. 201 VAUVENARGUES. XXXII. De l’Amour paternel. L’amour paternel ne diffĂšre pas de l’amour-propre Un enfant ne subsiste que par ses parents, dĂ©pend d’eux, vient d’eux, leur doit tout ; ils n’ont rien qui leur soit si propre. Aussi un pĂšre ne sĂ©pare point l’idĂ©e d’un fils de la sienne, Ă  moins que le fils n’affaiblisse cette idĂ©e de propriĂ©tĂ© par quelque contradiction ; mais plus un pĂšre s’irrite de cette contradiction , plus il s’afflige, plus il prouve ce que je dis. XXXIII. De l’Amour filial et fraternel. Comme les enfants n’ont nul droit sur la volontĂ© de leur pĂšre, la leur Ă©tant, au contraire, toujours combattue, cela leur fait sentir qu’ils sont des ĂȘtres Ă  part, et ne peut pas leur inspirer de l’amour-propre; parce que la propriĂ©tĂ© ne saurait ĂȘtre du cĂŽtĂ© de la dĂ©pendance cela est visible. C’est par cette raison que la tendresse des enfants n’est pas aussi vive que celle des pĂšres ; mais les lois ont pourvu Ă  cet inconvĂ©nient. Elle sont un garant au pĂšre contre l’ingratitude des enfants, comme la nature est aux enfants un otage assurĂ© contre l’abus des lois. Il Ă©tait juste d’assurer Ă  la vieillesse les secours qu’elle avait prĂȘtĂ©s Ă  la faiblesse de l’enfance. La reconnaissance prĂ©vient dans les enfants bien nĂ©s ce que le devoir leur impose. Il est dans la saine nature d’aimer ceux qui nous aiment et nous protĂšgent, et l’habitude d’une juste dĂ©pendance en fait perdre le sentiment ; mais il suffit d’ĂȘtre homme pour ĂȘtre bon pĂšre; et si l’on n’est homme de bien, il est rare qu’on soit bon fils. Du reste, qu’on mette Ă  la place de ce que je dis la sympathie ou le sang, et qu’on me fasse entendre pourquoi le sang ne parle pas autant dans les enfants que dans les pĂšres ; pourquoi la sympathie pĂ©rit quand la soumission diminue; pourquoi des DE L’ESPRIT HUMAIN. 20 ? frĂšres souvent se haĂŻssent sur des fondements si lĂ©gers, etc. Mais quel est donc le nƓud de l’amitiĂ© des frĂšres ? Une fortune , ud nom commun, mĂȘme naissance et mĂȘme Ă©ducation, quelquefois mĂȘme caractĂšre ; enfin l’habitude de se regarder comme appartenant les uns aux autres, et comme n’ayant qu’un seul ĂȘtre. VoilĂ  ce qui fait que l’on s’aime, voilĂ  l’amour-propre mais trouvez le moyen de sĂ©parer des frĂšres d’intĂ©rĂȘt, i’amitiĂ© lui survit Ă  peine ; l’amour-propre, qui en Ă©tait le fond, se porte vers d’autres objets. XXXIV. De F Amour qu'on a pour les bĂȘtes. 11 peut entrer quelque chose qui flatte les sens dans le goĂ»t qu’on nourrit pour certains animaux, quand ils nous appartiennent. J’ai toujours pensĂ© qu’il s’y mĂȘle de l’amour-propre rien n’est si ridicule Ă  dire, et je suis fĂąchĂ© que cela soit vrai ; mais nous sommes si vides, que s’il offre Ă  nous la moindre ombre de propriĂ©tĂ© nous nous y attachons aussitĂŽt. Nous prĂȘtons Ă  un perroquet des pensĂ©es et des sentiments; nous nous figurons qu’il nous aime, qu’il nous craint, qu’il sent nos faveurs, etc. Ainsi nous aimons l’avantage que nous nous accordons sur lui. Quel empire! Mais c’est lĂ  l’homme. XXXV. De l’AmitiĂ©. C’est l’insuffisance de notre ĂȘtre qui fait naĂźtre l’amitiĂ©, et c’est l’insuffisance de l’amitiĂ© mĂȘme qui la fait pĂ©rir. Est-on seul, on sent sa misĂšre, on sent qu’on a besoin d’appui; on cherche un fauteur de ses goĂ»ts, un compagnon de ses plaisirs et de ses peines ; on veut un homme dont on puisse possĂ©der le cƓur et la pensĂ©e. Alors l’amitiĂ© paraĂźt ĂȘtre ce qu’il y a de plus doux au monde. A-t-on ce qu’on a souhaitĂ©, on change bientĂŽt de pensĂ©e. Lorsqu’on voit de loin quelque bien, il fixe d’abord nos ÏOi VAUVENARGUES. dĂ©sirs ; et lorsqu’on y parvient on en sent le nĂ©ant. Notre Ăąme, dont il arrĂȘtait la vue dans l’éloignement, ne saurait s’y reposer quand elle voit au delĂ  ainsi l’amitiĂ©, qui de loin bornait toutes nos prĂ©tentions, cesse de les borner de prĂšs; elle ne remplit pas le vide qu’elle avait promis de remplir; elle nous laisse des besoins qui nous distraient et nous portent vers d’autres biens. Alors on se nĂ©glige, on devient difficile, on exige bientĂŽt comme un tribut les complaisances qu’on avait d’abord reçues comme un don. C’est le caractĂšre des hommes de s’approprier peu Ă  peu jusqu’aux grĂąces dont ils jouissent ; une longue possession les accoutume naturellement Ă  regarder les choses qu’ils possĂšdent comme Ă  eux ; ainsi l’habitude leur persuade qu’ils ont un droit naturel sur la volontĂ© de leurs amis. Ils voudraient s’en former un titre pour les gouverner ; lorsque ces prĂ©tentions sont rĂ©ciproques, comme on le voit souvent, l’amour-propre s’irrite et crie des deux cĂŽtĂ©s, produit de l’aigreur, des froideurs, et d’amĂšres explications, etc. On se trouve aussi quelquefois mutuellement des dĂ©fauts qu’on s’était cachĂ©s ; ou l’on tombe dans des passions qui dĂ©goĂ»tent de l’amitiĂ©, comme les maladies violentes dĂ©goĂ»tent des plus doux plaisirs. Ainsi les hommes les plus extrĂȘmes ne sont pas les plus capables d’une constante amitiĂ©. On ne la trouve nulle part si vive et si solide que dans les esprits timides et sĂ©rieux, dont l’ñme modĂ©rĂ©e connaĂźt la vertu car elle soulage leur cƓur oppressĂ© sous le mystĂšre et sous le poids du secret, dĂ©tend leur esprit, l’élargit, les rend plus confiants et plus vifs, se mĂȘle Ă  leurs amusements , Ă  leurs affaires et Ă  leurs plaisirs mystĂ©rieux c’est l’ñme de toute leur vie. Les jeunes gens sont aussi trĂšs-sensibles et trĂšs-confiants ; mais la vivacitĂ© de leurs passions les distrait et les rend volages. La sensibilitĂ© et la confiance sont usĂ©es dans les vieillards ; mais le besoin les rapproche, et la raison est leur lien les uns aiment plus tendrement, les autres plus solidement. Le devoir de l’amitiĂ© s’étend plus loin qu’on ne croit nous suivons notre ami dans ses disgrĂąces ; mais dans ses faiblesses nous l’abandonnons c’est ĂȘtre plus faible que lui. DE L'ESPRIT HUMAIN. 205 Quiconque se cache, obligĂ© d’avouer les dĂ©fautsdes siens, fait voir sa bassesse'. Êtes-vous exempt de ces vices, dĂ©clarez-vous donc hautement ; prenez sous votre protection la faiblesse des malheureux ; vous ne risquez rien en cela mais il n’y a que les grandes Ăąmes qui osent se montrer ainsi. Les faibles se dĂ©savouent les uns les autres, se sacrifient lĂąchement aux jugements, souvent injustes, du public ; ils n’ont pas de quoi rĂ©sister, etc. XXXVI. De CAmour. Il entre ordinairement beaucoup de sympathie dans l’amour, c’est-Ă -dire une inclination dont les sens forment le nƓud ; mais, quoiqu’ils en forment le nƓud, ils n’en sont pas toujours l’intĂ©rĂȘt principal; il n’est pas impossible qu’il y ait un amour exempt de grossiĂšretĂ©. Les mĂȘmes passions sont bien diffĂ©rentes dans les hommes. Le mĂȘme objet peut leur plaire par des endroits opposĂ©s. Je suppose que plusieurs hommes s’attachent Ă  la mĂȘme femme les uns l’aiment pour son esprit, les autres pour sa vertu, les autres pour ses dĂ©fauts, etc. ; et il se peut faire encore que tous l’aiment pour des choses qu’elle n’a pas, comme lorsque l’on aime une femme lĂ©gĂšre que l’on croit solide. N’importe, on s’attache Ă  l’idĂ©e qu’on se plaĂźt Ă  s’en figurer ; ce n’est mĂȘme que cette idĂ©e que l’on aime, ce n’est pas la femme lĂ©gĂšre ainsi l’objet des passions n’est pas ce qui les dĂ©grade ou ce qui les ennoblit, mais la maniĂšre dont on envisage cet objet. Or, j’ai dit qu’il Ă©taitpos- sible que l’on cherchĂąt dans l’amour quelque chose de plus que l’intĂ©rĂȘt de nos sens. Voici ce qui me le fait croire. Je vois tous les jours dans le monde qu’un homme environnĂ© de femmes auxquelles il n’a jamais parlĂ©, comme Ă  la messe, au sermon, ne se dĂ©cide pas toujours pour celle qui est la plus jolie, et qui mĂȘme lui paraĂźt telle. Quelle est la raison de cela ? C’est que chaque 1 Quiconque se cache, obligĂ© cFavouer les dĂ©fauts des siens , fait voir sa bassesse. Toute cette pensĂ©e est mal exprimĂ©e et obscure. Quiconque se cache d’avoir des amis dont il est obligĂ© d’avouer les dĂ©fauts fait voir sa bas sesse. Je crois que c’est ainsi qu’il faut l’expliquer. M. VI 206 VAUVENARGUES. beautĂ© exprime un caractĂšre tout particulier ; et celui qui entre le plus dans le nĂŽtre, nous le prĂ©fĂ©rons. C’est donc le caractĂšre qui nous dĂ©termine quelquefois ; c’est donc l’ñme que nous cherchons on ne peut me nier cela. Donc tout ce qui s’offre Ă  nos sens ne nous plaĂźt alors que comme une image de ce qui se cache Ă  leur vue ; donc nous n’aimons alors les qualitĂ©s sensibles que comme les organes de notre plaisir, et avec subordination aux qualitĂ©s insensibles dont elles sont l’expression ; donc il est au moins vrai que l’ñme est ce qui nous touche le plus. Or ce n’est pas aux sens que l’ñme est agrĂ©able , mais Ă  l’esprit ; ainsi l’intĂ©rĂȘt de l’esprit devient l’intĂ©rĂȘt principal, et si celui des sens lui Ă©tait opposĂ©, nous le lui sacrifierions. On n’a donc qu’à nous persuader qu’il lui est vraiment opposĂ©, qu’il est une tache pour l’ñme voilĂ  l’amour pur. Amour cependant vĂ©ritable, qu’on ne saurait confondre avec l’amitiĂ© ; car dans l’amitiĂ© c’est l’esprit qui est l’organe du sentiment ; ici ce sont les sens. Et comme les idĂ©es qui viennent par les sens sont infiniment plus puissantes que les vues de la rĂ©flexion, ce qu’elles inspirent est passion. L’amitiĂ© ne va pas si loin; et, malgrĂ© tout cela, je ne dĂ©cide pas je le laisse Ă  ceux qui ont blanchi sur ces importantes questions. XXXVII. De la Physionomie. La physionomie est l’expression du caractĂšre et celle du tempĂ©rament. Une sotte physionomie est celle qui n’exprime que la complexion, comme un tempĂ©rament robuste, etc. ; mais il ne faut jamais juger sur la physionomie car il y a tant de traits mĂąles sur le visage et dans le maintien des hommes, que cela peut souvent confondre ; sans parler des accidents qui dĂ©figurent les traits naturels, et qui empĂȘchent que l’ñme ne s’y manifeste, comme la petite vĂ©role, la maigreur, etc. On pourrait conjecturer plutĂŽt du caractĂšre des hommes par l’agrĂ©ment qu’ils attachent Ă  de certaines figures qui rĂ©pondent a leurs passions ; mais encore s’y tromperait-on- DE L’ESPRIT HUMAIN. 207 XXXVIII. De la PitiĂ©. La pitiĂ© n'est qu’un sentiment mĂȘlĂ© de tristesse et d’amour 1 2 ; je ne pense pas qu’elle ait besoin d’ĂȘtre excitĂ©e par un retour sur nous-mĂȘme, comme on le croit. Pourquoi la misĂšre ne pourrait-elle sur notre cƓur ce que fait la vue d’une plaie sur nos sens? N’y a-t-il pas des choses qui affectent immĂ©diatement l’esprit? L’impression des nouveautĂ©s ne prĂ©vient-elle pas toujours nos rĂ©flexions? Notre Ăąme est-elle incapable d’un sentiment dĂ©sintĂ©ressĂ© ? XXXIX. De la Haine. La haine est une dĂ©plaisance dans l’objet haĂŻ C’est une tristesse qui nous donne pour la cause qui l’excite une secrĂšte aversion on appelle cette tristesse jalousie lorsqu’elle est un effetdu sentiment de nos dĂ©savantages comparĂ©s aubiendequel- qu’un. Quand il se joint Ă  cette jalousie de la haine, une volontĂ© de vengeance dissimulĂ©e par faiblesse, c’est envie. Il y a peu de passions oĂč il n’entre de l’amour ou de la haine. La colĂšre n’est qu’une aversion subite et violente, enflammĂ©e d’un dĂ©sir aveugle de vengeance ; l’indignation, un sentiment de colĂšre et de mĂ©pris; le mĂ©pris, un sentiment mĂȘlĂ© de haine et 1 La pitiĂ© n'est qu'un sentiment mĂȘlĂ© de tristesse et d’amour. Vauvenar- gues entend ici par amour toute disposition qui nous porte vers un objet, comme il entend par haine toute disposition qui nous en Ă©loigne. Autrement il serait impossible d’expliquer le chapitre suivant, oĂč il dit qu’iĂŻ y a peu de passions oĂč il n'entre de l'amour ou de la haine; que le mĂ©pris est un sentiment mĂȘlĂ© de haine et d'orgueil. S. 2 La haine est une dĂ©plaisance dans l'objet haĂŻ. C’est plutĂŽt l’effet de cette dĂ©plaisance. Il faudrait, ce semble la haine naĂźt du dĂ©plaisir que nous cause, etc. M. Je crois, comme je l’ai dit plus haut, que Vauvenargues prend plutĂŽt ici la haine pour ce sentiment mĂȘme de dĂ©plaisance qui nous Ă©loigne d’un objet. Cette expression n’est pas usitĂ©e en ce sens; cependant je crois bien que c’est celui qu'il lui donne. S. 208 VAUVENARGUES. d’orgueil; l’antipathie, une haine violente et qui ne raisonne pas. Il entre aussi de l’aversion dans le dĂ©goĂ»t ; il n’est pas une simple privation, comme l’indiffĂ©rence ; et la mĂ©lancolie, qui n’est communĂ©ment qu’un dĂ©goĂ»t universel sans espĂ©rance, tient encore beaucoup de la haine. A l’égard des passions qui viennent de l’amour, j’en ai dĂ©jĂ  parlĂ© ailleurs; je me contente donc de rĂ©pĂ©ter ici que tous les sentiments que le dĂ©sir allume sont mĂȘlĂ©s d’amour et de haine. XL. De l'Estime, du Respect, et du MĂ©pris. L’estime est un aveu intĂ©rieur du mĂ©rite de quelque chose ; le respect est le sentiment de la supĂ©rioritĂ© d’autrui. Il n’y a pas d’amour sans estime j’en ai dit la raison. L’amour Ă©tant une complaisance dans l’objet aimĂ©, et les hommes ne pouvant se dĂ©fendre de trouver un prix aux choses qui leur plaisent, peu s’en faut qu’ils ne rĂšglent leur estime sur le degrĂ© d’agrĂ©ment que les objets ont pour eux. Et s’il est vrai que chacun s’estime personnellement plus que tout autre, c’est, ainsi que je l’ai dĂ©jĂ  dit, parce qu’il n’y a rien qui nous plaise ordinairement tant que nous-mĂȘme. Ainsi, non-seulement on s’estime avant tout, mais on estime encore toutes les choses que l’on aime, comme la chasse, la musique, les chevaux, etc. ; et ceux qui mĂ©prisent leurs propres passions ne le font que par rĂ©flexion, et par un effort de raison car l’instinct les porte au contraire. Par une suite naturelle du mĂȘme principe, la haine rabaisse ceux qui en sont l’objet, avec le mĂȘme soin que l’ainour les relĂšve. Il est impossible aux hommes de se persuader que ce qui les blesse n’ait pas quelque grand dĂ©faut ; c’est un jugement confus que l’esprit porte en lui-mĂȘme, comme il en use au contraire en aimant 1 . 1 Cest un jugement confus que Vesprit porte en lui-mĂȘme, comme il DE L’ESPRIT HUMAIN. 209 Et si !a rĂ©flexion contrarie cet instinct, car il y a des qualitĂ©s qu’on est convenu d’estimer, et d’autres de mĂ©priser, alors cette contradiction ne fait qu’irriter la passion ; et plutĂŽt que de cĂ©der aux traits de la vĂ©ritĂ©, elle en dĂ©tourne les yeux. Ainsi elle dĂ©pouille son objet de ses qualitĂ©s naturelles, pour lui en donner de conformes Ă  son intĂ©rĂȘt dominant. Ensuite elle se livre tĂ©mĂ©rairement et sans scrupule Ă  ses prĂ©ventions insensĂ©es. Il n’y a presque point d’homme dont le jugement soit supĂ©rieur Ă  ses passions. Il faut donc bien prendre garde, lorsqu’on veut se faire estimer, Ă  ne pas se faire haĂŻr, mais tĂącher, au contraire, de se prĂ©senter par des endroits agrĂ©ables, parce que les hommes penchent Ă  juger du prix des choses par le plaisir qu’elles leur font. Il y en a Ă  la vĂ©ritĂ© qu’on peut surprendre par une conduite opposĂ©e, en paraissant au dehors plus pĂ©nĂ©trĂ© de soi-mĂȘme qu’on ne l’est au dedans ; cette confiance extĂ©rieure les persuade et les maĂźtrise. Mais il est un moyen plus noble de gagner l’estime des hommes c’est de leur faire souhaiter la nĂŽtre par un vrai mĂ©rite, et ensuite d’ĂȘtre modeste et de s’accommoder Ă  eux. Quand on a vĂ©ritablement les qualitĂ©s qui emportent l’estime du monde, il n’y a plus qu’à les rendre populaires pour leur concilier l’amour ; et lorsque l’amour les adopte, il en fait Ă©lever le prix. Mais pour les petites finesses qu’on emploie en vue de surprendre ou de conserver les suffrages, attendre les autres, se faire valoir, rĂ©veiller par des froideurs Ă©tudiĂ©es ou des amitiĂ©s mĂ©nagĂ©es le goĂ»t inconstant du public, c’est la ressource des hommes superficiels, qui craignent d’ĂȘtre approfondis; il faut leur laisser ces misĂšres dont ils ont besoin avec leur mĂ©rite spĂ©cieux. Mais c’est trop s’arrĂȘter aux choses ; tĂąchons d’abrĂ©ger ces principes par de courtes dĂ©finitions. Le dĂ©sir est une espĂšce de mĂ©saise que, l’amour du bien-ĂȘtre met en nous, et l’inquiĂ©tude un dĂ©sir sans objet. en use au contraire en aimant. Au contraire , pour d’une maniĂšre con‱ traire expression nĂ©gligĂ©e. S. 12 . 210 VAUVENARGUES. L’ennui vient du sentiment de notre vide ; la paresse naĂźt d’impuissance ; la langueur est un tĂ©moignage de notre faiblesse, et la tristesse, de notre misĂšre. L’espĂ©rance est le sentiment d’un bien prochain, et la reconnaissance celui d’un bien fait. Le regret consiste dans le sentiment de quelque perte ; le repentir, dans celui d’une faute ; le remords, dans celui d’un crime et la crainte du chĂątiment \ La timiditĂ© peut ĂȘtre la crainte du blĂąme, la honte en est la conviction. La raillerie naĂźt d’un mĂ©pris content. La surprise est un Ă©branlement soudain Ă  la vue d’une nou - veautĂ©. L’étonnement est une surprise longue et accablante; l’admiration , une surprise pleine de respect. La plupart de ces sentiments ne sont pas trop composĂ©s, et n’affectent pas aussi durablement nos Ăąmes que les grandes passions, l’amour, l’ambition, l’avarice, etc. Le peu que je viens de 1 L’ennui vient du sentiment de notre vide, la paresse naĂźt d'impuissance. Qu’est-ce que notre vide P La paresse suppose, au contraire, le pouvoir d'agir combinĂ© avec l'inaction. M. L’auteur entend ici par notre vide ce qu'il entend ailleurs par l'insuffisance de noire ĂȘtre , c'est-Ă -dire l'impossibilitĂ© oĂč nous sommes de trouver en nous- mĂȘme de quoi suffire Ă  notre bonheur. Par impuissance , il entend, je crois, impuissance de l’ñme, l’impossibilitĂ© oĂč elle est de sortir de sa langueur. S. 2 Le regret consiste dans le sentiment de quelque perle; le repentir, dans celui d'une faute; le remords, dans celui d’un crime et la crainte du chĂątiment. Ce n’est pas, Ă  ce qu’il semble, la diffĂ©rence de la faute et du crime qui constitue celle du repentir et du remords. On peut expier ses crimes par le repentir , et sentir le remords d'une faute. Si le repentir est moins cruel, c’est qu’il suppose le retour, et une rĂ©solution de ne plus retomber, qui console toujours. Le remords peut exister avec la rĂ©solution de se rendre encore coupable. Heureux , si je puis, dit Mathan dans Athalie, A force d’attentats perdre tons mes remords 1 D'est ainsi que les scĂ©lĂ©rats les perdent II n’y a point, pour eux de repentir. Dieu fit du repentir la Yertu des mortels. Heureusement le remords peut naĂźtre sans la crainte du chĂątiment; mais ce n’est guĂšre que pour les premiers crimes. S. DE L’ESPRIT HUMAIN. 211 dire a cette occasion rĂ©pandra une sorte de lumiĂšre sur ceux dont je me rĂ©serve de parler ailleurs. XLI. De l'Amour des objets sensibles. Il serait impertinent de dire que l’amour des choses sensibles, comme l’harmonie, les saveurs, etc., n’est qu’un effet de l’amour-propre, du dĂ©sir de nous agrandir, etc., etc. Cependant tout cela s’y mĂȘle quelquefois. Il y a des musiciens, des peintres , qui n’aiment chacun dans leur art que l’expression des grandeurs, et qui ne cultivent leurs talents que pour la gloire ainsi d’une infinitĂ© d’autres. Les hommes que les sens dominentne sont pas ordinairement si sujets aux passions sĂ©rieuses, l’ambition, l’amour de la gloire, etc. Les objets sensibles les amusent et les amollissent; et s’ils ont les autres passions, ils ne les ont pas aussi vives. On peut dire la mĂȘme chose des hommes enjouĂ©s ; parce que ayant une maniĂšre d’exister assez heureuse, ils n’en cherchent pas une autre avec ardeur. Trop de choses les distraient ou les prĂ©occupent. On pourrait entrer lĂ -dessus, et sur tous les sujets que j’ai traitĂ©s, dans des dĂ©tails intĂ©ressants. Mais mon dessein n’est pas de sortir des principes, quelque sĂ©cheresse qui les accompagne ils sont l’objet unique de tout mon discours ; et je n’ai ni la volontĂ© ni le pouvoir de donner plus d’application Ă  cet ouvrage XLII. Des Passions en gĂ©nĂ©ral. Les passions s’opposent aux passions, et peuvent servir de contre poids ; mais la passion dominante ne peut se conduire > Je n'ai ni la volontĂ© ni le pouvoir de donner plus d'application Ă  cet Hvrage. Donner plus d'application , mauvaise expression, pour dire dĂ©ve- opper davantage des principes par des applications, ce qui prĂ©cĂšde prouve ue c’est lĂ  le sens, S. 212 VAUVENARGUES. que par son propre intĂ©rĂȘt, vrai ou imaginaire, parce qu’elle rĂšgne despotiquement sur la volontĂ©, sans laquelle rien ne se peut. Je regarde humainement les choses, et j’ajoute dans cet esprit Toute nourriture n’est pas propre Ă  tous les corps , tous objets ne sont pas suffisants pour toucher certaines Ăąmes. Ceux qui croient les hommes souverains arbitres de leurs sentiments ne connaissent pas la nature qu’on obtienne qu’un sourd s’amuse des sons enchanteurs de Murer; qu’on demande Ă  une joueuse qui fait une grosse partie, qu’elle ait la complaisance et la sagesse de s’y ennuyer nul art ne le peut. Les sages se trompent encore en offrant la paix aux passions ; les passions lui sont ennemies 1 . Ils vantent la modĂ©ration Ă  ceux qui sont nĂ©s pour l’action et pour une vie agitĂ©e ; qu’importe Ă  un homme malade la dĂ©licatesse d’un festin qui le dĂ©goĂ»te? Nous ne connaissons pas les dĂ©fauts de notre Ăąme; mais quand nous pourrions les connaĂźtre, nous voudrions rarement les vaincre. Nos passions ne sont pas distinctes de nous-mĂȘme ; il y en a qui sont tout le fondement et toute la substance de notre Ăąme. Le plus faible de tous les ĂȘtres voudrait-il pĂ©rir pour se voir remplacĂ© par le plus sage? Qu’on me donne un esprit plus juste, plus aimable, plus pĂ©nĂ©trant, j’accepte avec joie tous ces dons ; mais, si l’on m’îte encore l’ñme qui doit en jouir, ces prĂ©sents ne sont plus pour moi. Cela ne dispeuse personne de combattre ses habitudes, et ne doit inspirer aux hommes ni abattement ni tristesse. Dieu peut tout; la vertu sincĂšre n’abandonne pas ses amants; les vices mĂȘme d’un homme bien nĂ© peuvent se tourner Ă  sa gloire. 1 Les passions lui sont ennemies. C’est un latinisme gens inimica nulli Ün dit ennemi de quelqu'un, et non ennemi Ă  quelqu'un . S. UE L’ESPRIT HUMAIN. 313 LIVRE TROISIÈME. XLIII. Du Bien el du Mal moral. Ce qui n’est bien ou mal qu’à un particulier, et qui peut ĂȘtre le contraire Ă  l’égard du reste des hommes, ne peut ĂȘtre regardĂ© en gĂ©nĂ©ral comme un mal ou comme un bien '. Afin qu’une chose soit regardĂ©e comme un bien par toute la sociĂ©tĂ©, il faut qu’elle tende Ă  l’avantage de toute la sociĂ©tĂ©; et afin qu’on la regarde comme un mal, il faut qu’elle tende Ă  sa ruine voilĂ  le grand caractĂšre du bien et du mal moral. Les hommes, Ă©tant imparfaits, n’ont pu se suffire Ă  eux-mĂȘmes de lĂ  la nĂ©cessitĂ© de former des sociĂ©tĂ©s. Qui dit une sociĂ©tĂ© dit un corps qui subsiste par l’union de divers membres et confond l’intĂ©rĂȘt particulier dans l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ; c’est lĂ  le fondement de toute la morale. Mais parce que le bien commun exige de grands sacrifices, et qu’il ne peut se rĂ©pandre Ă©galement sur tous les hommes, la religion, qui rĂ©pare le vice des choses humaines, assure des indemnitĂ©s dignes d’envie Ă  ceux qui nous semblent lĂ©sĂ©s. Et toutefois ces motifs respectables n’étant pas assez puissants pour donner un frein Ă  la cupiditĂ© des hommes, il a fallu encore qu’ils convinssent de certaines rĂšgles pour le bien public, fondĂ©, Ă  la honte du genre humain, sur la crainte odieuse des supplices ; t c’est l’origine des lois. Nous naissons, nous croissons Ă  l’ombre de ces conventions solennelles; nous leur devons la sĂ»retĂ© de notre vie et la tranquillitĂ© qui l’accompagne. Les lois sont aussi !e seul titre 1 Ce qui n'est bien ou mal qu'Ă  un particulier, et qui peut ĂȘtre le contraire Ă  l'Ă©gard du reste des hommes , ne peut ĂȘtre regardĂ© en gĂ©nĂ©ral comme un mal ou comme un bien . Oui ; mais si toute la sociĂ©tĂ© avait la fiĂšvre ou la goutte, ou Ă©tait manchote ou folle? V. — Qu'Ă  un particulier, au lieu de pour un particulier. S. 214 VAUVENARGUES. de nos possessions dĂšs l’aurore de notre vie nous en recueillons les doux fruits, et nous nous engageons toujours Ă  elles par des liens plus forts. Quiconque prĂ©tend se soustraire Ă  cette autoritĂ© dont il tient tout ne peut trouver injuste qu’elle lui ravisse tout, jusqu’à la vie. OĂč serait la raison qu’un particulier osĂąt en sacrifier tant d’autres Ă  soi seul, et que par sa ruine la sociĂ©tĂ© ne pĂ»t racheter le repos publie. C’est un vain prĂ©texte de dire qu’on ne se doit pas Ă  des lois qui favorisent l’inĂ©galitĂ© des fortunes. Peuvent-elles Ă©galiser les hommes, l’industrie, l’esprit, les talents? Peuvent-elles empĂȘcher les dĂ©positaires de l’autoritĂ© d’en user selon leur faiblesse ? Dans cette impuissance absolue d’empĂȘcher l’inĂ©galitĂ© des conditions, elles fixent les droits de chacune, elles les protĂšgent. On suppose d’ailleurs, avec quelque raison, que le cƓur des hommes se forme sur leur condition. Le laboureur a souvent dans le travail de ses mains la paix et la satiĂ©tĂ© qui fuient l’orgueil des grands 1 2 . Ceux-ci n’ont pas moins de dĂ©sirs que les hommes les plus abjects 1 ; ils ont donc autant de besoins voilĂ  dans l’inĂ©galitĂ© une sorte d’égalitĂ©. Ainsi on suppose aujourd’hui toutes les conditions Ă©gales ou nĂ©cessairement inĂ©gales. Dans l’une et l’autre supposition, l’équitĂ© consiste Ă  maintenir invariablement leurs droits rĂ©ciproques , et c’est lĂ  tout l’objet des lois. Heureux qui les sait respecter comme elles mĂ©ritent de l’ĂȘtre ! Plus heureux qui porte en son cƓur celles d’un heureux naturel ! Il est bien facile de voir que je veux parler des vertus 3 ; leur noblesse et leur excellence sont l’objet de tout ce discours ; mais 1 Le laboureur a souvent dans le travail de ses mains la paix , etc. On pourrait dire tout cela bien mieux. V. — SatiĂ©tĂ© n’est pas lĂ  dans son sens ordinaire, selon lequel il signifie un peu de dĂ©goĂ»t rĂ©sultant de rabondance; au lieu qu’ici il signifie la satisfaction rĂ©sultant de la jouissance du nĂ©cessaire. Cette acception n'est plus d’usage. ftl. — Voyez le Discours sur l’inĂ©galitĂ© des richesses. B. 2 Ceux-ci n’ont pas moins de dĂ©sirs que les hommes les plus abjects. Il faudrait de l’état le plus abject. M. J 11 est bien facile de voir que je veux parler des vertus. Distinguons vertus et qualitĂ©s heureuses bienfaisance seule est vertu; tempĂ©rance, .sagesse; bonnes qualitĂ©s! tant mieux pour toi. V DE L’ESPRIT HUMAIN. 215 j’ai cru qu’il fallait d’abord Ă©tablir une rĂšgle sĂ»re pour les bien distinguer du vice. Je l’ai rencontrĂ©e sans effort dans le bien et le mal moral ; je l’aurais cherchĂ©e vainement dans une moins grande origine. Dire simplement que la vertu est vertu parce qu’elle est bonne en son fonds, et le vice tout au contraire, ce n’est pas les faire connaĂźtre. La force et la beautĂ© sont aussi de grands biens; la vieillesse et la maladie, des maux rĂ©els cependant on n’a jamais dit que ce fĂ»t lĂ  vice ou vertu. Le mot de vertu emporte l’idĂ©e de quelque chose d’estimable Ă  l’égard de toute la terre le vice, au contraire. Or, il n’y a que le bien et que le mal moral qui portent ces grands caractĂšres. La prĂ©fĂ©rence de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral au personnel est la seule dĂ©finition qui soit digne de la vertu, et qui doive en fixer l’idĂ©e. Au contraire, le sacrifice mercenaire du bonheur public Ă  l’intĂ©rĂȘt propre est le sceau Ă©ternel du vice. Ces divers caractĂšres ainsi Ă©tablis et suffisamment discernĂ©s, nous pouvons distinguer encore les vertus naturelles des acquises. J’appelle vertus naturelles les vertus de tempĂ©rament ; les autres sont les fruits pĂ©nibles de la rĂ©flexion. Nous mettons ordinairement ces derniĂšres Ă  plus haut prix, parce qu’elles nous coĂ»tent davantage; nous les estimons plus Ă  nous, parce qu’elles sont les effets de notre fragile raison. Je dis la raison elle-mĂȘme n’est-elle pas un don de la nature, comme l’heureux tempĂ©rament? L’heureux tempĂ©rament exclut-il la raison? n’en est-il pas plutĂŽt la base? et si l’un peut nous Ă©garer, l’autre est-elle plus infaillible? Je me hĂąte, afin d’en venir Ă  une question plus sĂ©rieuse. On demande si la plupart des vices ne concourent pas au bien public, comme les pures vertus. Qui ferait fleurir le commerce sans la vanitĂ©, l’avarice, etc.? En un sens cela est trĂšs-vrai ; mais il faut m’accorder aussi que le bien produit par le vice est toujours mĂȘlĂ© de grands maux. Ce sont les lois qui arrĂȘtent le progrĂšs de ses dĂ©sordres ; et c’est la raison, la vertu, qui le subjuguent, qui le contiennent dans certaines bornes et le rendent utile au monde. A la vĂ©ritĂ©, la vertu ne satisfait pas sans rĂ©serve toutes nos passions ; mais si nous n’avions aucun vice, nous n’aurions pas 216 vaĂŒvenargĂŒes. ces passions Ă  satisfaire; et nous ferions par devoir ce qu’on fait par ambition, par orgueil, par avarice, etc. 11 est donc ridicule de ne pas sentir que c’est le vice qui nous empĂȘche d’ĂȘtre heureux par la vertu. Si elle est si insuffisante Ă  faire le bonheur des hommes, c’est parce que les hommes sont vicieux ; et les vices, s’ils vont au bien, c’est qu’ils sont mĂȘlĂ©s de vertus, de patience, de tempĂ©rance, de courage, etc. Un peuple qui n’aurait en partage que des vices courrait Ă  sa perte infaillible. Quand le vice peut procurer quelque grand avantage au monde, pour surprendre l’admiration il agit comme la vertu, parce qu’elle est le vrai moyen, le moyen naturel du bien; mais celui que le vice opĂšre n’est ni son objet ni son but. Ce n’est pas Ă  un si beau terme que tendent ses dĂ©guisements. Ainsi, le caractĂšre distinctif de la vertu subsiste ; ainsi rien ne peut l’effacer. Que prĂ©tendent donc quelques hommes qui confondent toutes *.es choses, ou qui nient leur rĂ©alitĂ©? Qui peut les empĂȘcher de voir qu’il y a des qualitĂ©s qui tendent naturellement au bien du monde, et d’autres Ă  sa destruction? Ces premiers sentiments, Ă©levĂ©s, courageux, bienfaisants Ă  tout l’univers, et par consĂ©quent estimables Ă  l’égard de toute la terre, voilĂ  ce que l’on nomme vertu. Et ces odieuses passions, tournĂ©es Ă  la ruine des hommes, et par consĂ©quent criminelles envers le genre humain, c’est ce que j’appelle des vices. Qu’entendent-ils, eux, par ces noms? Cette diffĂ©rence Ă©clatante du faible et du fort, du faux et du vrai, du juste et de l’injuste, etc., leur Ă©chappe-t-elle ? Mais le jour n’est pas plus sensible. Pensent-ils que l’irrĂ©ligion dont ils se piquent puisse anĂ©antir la vertu ? Mais tout leur fait voir le contraire. Qu’imaginent-ils donc qui leur trouble l’esprit ? qui leur cache qu’ils ont eux-mĂȘmes, parmi leurs faiblesses, des sentiments de vertu ? Est-il un homme assez insensĂ© pour douter que la santĂ© ne soit prĂ©fĂ©rable aux maladies? Non, il n’y en a point dans le monde. Trouve-t-on quelqu’un qui confonde la sagesse avec la folie? Non, personne assurĂ©ment. On ne voit personne non plus qui ne prĂ©fĂšre la vĂ©ritĂ© Ă  l’erreur, personne qui ne sente bie>- que le courage est diffĂ©rent de la crainte, et nvie de la bontĂ©. On ne voit pas moins clairement que l’humanitĂ© vaut mieux que DE L’ESPRIT HUMAIN. 217 l’inhumanitĂ©, qu’elle est plus aimable, plus utile, et par consĂ©quent plus estimable; et faiblesse de l’esprit humain ! il n’y a point de contradiction dont les hommes ne soient capables dĂšs qu’ils veulent approfondir. N’est-ce pas le comble de l’extravagance qu’on puisse rĂ©duire en question si le courage vaut mieux que la peur ? On convient qu’il nous donne sur les hommes et sur nous-mĂȘme un empire naturel. On ne nie pas non plus que la puissance n’enferme une idĂ©e de grandeur, et qu’elle ne soit utile. On sait encore que la peur est un tĂ©moignage de faiblesse ; et on convient que la faiblesse est trĂšs-nuisible, qu’elle jette les hommes dans la dĂ©pendance, et qu’elle prouve ainsi leur petitesse. Comment peut-il donc se trouver des esprits assez dĂ©rĂ©glĂ©s pour mettre de l’égalitĂ© dans des choses si inĂ©gales? Qu’entend-on par un grand gĂ©nie ? Un esprit qui a de grandes vues, puissant, fĂ©cond, Ă©loquent, etc. Et par une grande fortune ? Un Ă©tat indĂ©pendant, commode, Ă©levĂ©, glorieux. Personne ne disputedonc qu’il n’y ait de grands gĂ©nies et de grandes fortunes. Les caractĂšres de ces avantages sont trop bien marquĂ©s. Ceux d’une Ăąme vertueuse sont-ils moins sensibles ? Qui peut nous les faire confondre? Sur quel fondement ose-t-on Ă©galer le bien et le mal? Est-ce sur ce que l’on suppose que nos vices et nos vertus sont des effets nĂ©cessaires de notre tempĂ©rament? Mais les maladies, la santĂ©, ne sont-elles pas des effets nĂ©cessaires de la mĂȘme cause? Les confond-on cependant, et a-1-on jamais dit que c’étaient des chimĂšres, qu’il n’y avait ni santĂ© ni maladies 1 ? Pense-t-on que tout ce qui est nĂ©cessaire ne soit d’aucun mĂ©rite? Mais c’est une nĂ©cessitĂ© en Dieu d’ĂȘtre tout-puissant, Ă©ternel la puissance et l’éternitĂ© seront-elles Ă©gales au nĂ©ant? Ne seront- elles plus des attributs parfaits. Quoi ! parce que la vie et la mort sont en nous des Ă©tats de nĂ©cessitĂ©, n’est-ce plus qu’une mĂȘme chose, indiffĂ©rente aux humains? Mais peut-ĂȘtre que les vertus, ’ Non pas prĂ©cisĂ©ment. Mais on sait l’histoire du stoĂŻcien Possidonius d*A- pĂąmĂ©e, qui, au milieu d’un violent accĂšs de goutte, prĂ©tendait que la douleur n'est point un mal. A la vĂ©ritĂ©, c’était en soutenant ce dogme des stoĂŻciens Qu'il n'y a rien de bon que ce qui est honnĂȘte . Voyez le second livre des Tuseulanet de CicĂ©ron. F. MAXIMES, SENTENCES, ETC. 13 218 VAUVENARGUES. que j’ai peintes comme un sacrifice de notre intĂ©rĂȘt propre Ă  l’intĂ©rĂȘt public, ne sont qu’un pur effet de l’amour de nous- mĂȘme. Peut-ĂȘtre ne faisons-nous le bien que parce que notre plaisir se trouve dans ce sacrifice ? Étrange objection! Parce que je me plais dans l’usagede ma vertu, en est-elle moins profitable, moins prĂ©cieuse Ă  tout l’univers, ou moins diffĂ©rente du vice, qui est la ruine du genre humain ? Le bien oĂč je me plais change- t-il de nature? cesse-t-il d’ĂȘtre bien? Les oracles de la piĂ©tĂ©, continuent nos adversaires, condamnent cette complaisance. Est-ce Ă  ceux qui nient la vertu Ă  la combattre par la religion, qui l’établit? Qu’ils sachent qu’un Dieu bon et juste ne peut rĂ©prouver le plaisir que lui-mĂȘme attache Ă  bien faire. Nous prohiberait-il ce charme qui accompagne l’amour du bien? Lui-mĂȘme nous ordonne d'aimer la vertu, et sait mieux que nous qu’il est contradictoire d’aimer une chose sans s'y plaire. S’il rejette donc nos vertus, c’est quand nous nous approprions les dons que sa main nous dispense, que nous arrĂȘtons nos pensĂ©es Ă  la possession de ses grĂąces, sans aller jusqu’à leur principe; que nous mĂ©connaissons le bras qui rĂ©pand sur nous ses bienfaits, etc. Une vĂ©ritĂ© s’offre Ă  moi. Ceux qui nient la rĂ©alitĂ© des vertus sont forcĂ©s d’admettre des vices. Oseraient-ils dire que l’homme n’est pas insensĂ© et mĂ©chant? Toutefois, s’il n’y avait que des malades, saurions-nous ce que c’est que la santĂ©? XLIV. De la Grandeur d ame. AprĂšs ce que nous avons dit, je crois qu’il n’est pas nĂ©cessaire de prouver que la grandeur d’ñme est quelque chose d’aussi rĂ©el que la santĂ©, etc. Il est difficile de ne pas sentir dans un homme qui maĂźtrise la fortune, et qui par des moyens puissants arrive Ă  des fins Ă©levĂ©es, qui subjugue les autres hommes parson activitĂ©, par sa patience ou par de profonds conseils ; je dis qu’il est difficile de ne pas sentir dans un gĂ©nie de cet ordre une noble rĂ©alitĂ©. Cependant il n’v a rien de pur et dont nous n’abusions sans peine. DE L’ESPRIT HUMAIN. 219 La grandeur d’ñme est un instinct Ă©levĂ© qui porte les hommes au grand, de quelque nature qu’il soit, mais qui les tourne au bien ou au mal, selon leurs passions, leurs lumiĂšres, leur Ă©ducation, leur fortune, etc. Égale Ă  tout ce qu’il y a sur terre de plus Ă©levĂ©, tantĂŽt elle cherche Ă  soumettre par toutes sortes d’efforts ou d’artifices les choses humaines Ă  elle, et tantĂŽt, dĂ©daignant ces choses, elle s’y soumet elle-mĂȘme sans que sa soumission l’abaisse pleine de sa propre grandeur, elle s’y repose en secret, contente de se possĂ©der. Qu’elle est belle quand la vertu dirige tous ses mouvements ! mais qu’elle est dangereuse alors qu’elle se soustrait Ă  la rĂšgle ! ReprĂ©sentez- vous Catilina au-dessus de tous les prĂ©jugĂ©s de la naissance, mĂ©ditant de changer la face de la terre et d’anĂ©antir le nom romain concevez ce gĂ©nie audacieux menaçant le monde du sein des plaisirs, et formant d’une troupe de voluptueux et de voleurs un corps redoutable aux armĂ©es et Ă  la sagesse de Rome. Qu’un homme de ce caractĂšre aurait portĂ© loin la vertu s’il eĂ»t Ă©tĂ© tournĂ© au bien ! mais les circonstances malheureuses le poussent au crime. Catilina Ă©tait nĂ© avec un amour ardent pour les plaisirs, que la sĂ©vĂ©ritĂ© des lois aigrissait et contraignait; sa dissipation et ses dĂ©bauches l’engagĂšrent peu Ă  peu dans des projets criminels ruinĂ©, dĂ©criĂ©, traversĂ©, il se trouva dans un Ă©tat oĂč il lui Ă©tait moins facile de gouverner la rĂ©publique que de la dĂ©truire; ne pouvant ĂȘtre le hĂ©ros de sa patrie, il en mĂ©ditait la conquĂȘte. Ainsi les hommes sont souvent portĂ©s au crime par de fatales rencontres ou par leur situation; ainsi leur vertu dĂ©pend de leur fortune. Que manquait-il Ă  CĂ©sar? que d’ĂȘtre nĂ© souverain. Il Ă©tait bon, magnanime, gĂ©nĂ©reux, hardi, clĂ©ment ; personne n’était plus capable de gouverner le monde et le rendre heureux s’il eĂ»t eu une fortune Ă©gale Ă  son gĂ©nie, sa vie aurait Ă©tĂ© sans tache ; mais parce qu’il s’était placĂ© lui-mĂȘme sur le trĂŽne par la force, on a cru pouvoir le compter avec justice parmi les tyrans. Cela fait sentir qu’il y a des vices qui n’excluent pas les grandes qualitĂ©s, et par consĂ©quent de grandes qualitĂ©s qui s’éloignent de la vertu. Je reconnais cette vĂ©ritĂ© avec douleur il est 220 VAUVENARGUES. triste que la bontĂ© n’accompagne pas toujours la force, et que l’amour de la justice ne prĂ©vale pas nĂ©cessairement dans tous les hommes et dans tout le cours de leur vie, sur tout autre amour; mais non-seulement les grands hommes se laissent entraĂźner au vice, les vertueux mĂȘmes se dĂ©mentent et sont inconstants dans le bien. Cependant ce qui est sain est sain, ce qui est fort est fort, etc. Les inĂ©galitĂ©s de la vertu, les faiblesses qui l’accompagnent, les vices qui flĂ©trissent les plus belles vies, ces dĂ©fauts insĂ©parables de notre nature, mĂȘlĂ©e si manifestement de grandeur et de petitesse, n’en dĂ©truisent pas les perfections. Ceux qui veulent que les hommes soient tout bons ou tout mĂ©chants, absolument grands ou petits, ne connaissent pas la nature. Tout est mĂ©langĂ© dans les hommes; tout y est limitĂ© ; et le vice mĂȘme y a ses bornes. XLV. Du Courage. Le vrai courage est une des qualitĂ©s qui supposent le plus de grandeur d’ñme. J’en remarque beaucoup de sortes un courage contre la fortune, qui est philosophie; un courage contre la misĂšre, qui est patience ; un courage Ă  la guerre, qui est valeur ; un courage dans les entreprises, qui est hardiesse; un courage fier et tĂ©mĂ©raire, qui est audace; un courage contre l’injustice, qui est fermetĂ©; un courage contre le vice, qui est sĂ©vĂ©ritĂ©; un courage de rĂ©flexion, de tempĂ©rament, etc. 11 n’est pas ordinaire qu’un mĂȘme homme assemble tant de qualitĂ©s. Octave, dans le plan de sa fortune, Ă©levĂ©e sur des prĂ©cipices , bravait des pĂ©rils Ă©minents ; mais la mort, prĂ©sente Ă  la guerre, Ă©branlait son Ăąme. Un nombre innombrable de Romains qui n’avaient jamais craint la mort dans les batailles manquaient de cet autre courage qui soumit la terre Ă  Auguste. On ne trouve pas seulement plusieurs sortes de courages, mais dans le mĂȘme courage bien des inĂ©galitĂ©s. Brutus, qui eut la hardiesse d’attaquer la fortune de CĂ©sar, n’eut pas la force de suivre la sienne il avait formĂ© le dessein de dĂ©truire la tyrannie DE L’ESPRIT HUMAIN. 221 avec les ressources de son seul courage, et il eut la faiblesse de l’abandonner avec toutes les forces du peuple romain, faute de cette Ă©galitĂ© de force et de sentiment qui surmonte les obstacles et la lenteur des succĂšs. Je voudrais pouvoir parcourir ainsi en dĂ©tail toutes les qualitĂ©s humaines ; un travail si long ne peut maintenant m’arrĂȘter. Je terminerai cet Ă©crit par de courtes dĂ©finitions. Observons nĂ©anmoins encore que la petitesse est la source d’un nombre incroyable de vices de l’inconstance, la lĂ©gĂšretĂ©, la vanitĂ©, l’envie, l’avarice, la bassesse, etc.; elle rĂ©trĂ©cit notre esprit autant que la grandeur d’ñme l’élargit ; mais elle est malheureusement insĂ©parable de l'humanitĂ© ; et il n’y a point d’ñme si forte qui en soit tout Ă  fait exempte. Je suis mon dessein. La probitĂ© est un attachement Ă  toutes les vertus civiles *. La droiture est une habitude des sentiers de la vertu. L’équitĂ© peut se dĂ©finir par l’amour de l’égalitĂ© 1 2 ; l’intĂ©gritĂ© paraĂźt une Ă©quitĂ© sans tache, et la justice une Ă©quitĂ© pratique. La noblesse est la prĂ©fĂ©rence de l’honneur Ă  l’intĂ©rĂȘt; la bassesse , la prĂ©fĂ©rence de l’intĂ©rĂȘt Ă  l’honneur. L’intĂ©rĂȘt est la fin de l’amour-propre 3 ; la gĂ©nĂ©rositĂ© en est le sacrifice. La mĂ©chancetĂ© suppose un goĂ»t Ă  faire du mal ; la malignitĂ© , une mĂ©chancetĂ© cachĂ©e ; la noirceur, une mĂ©chancetĂ© profonde. L’insensibilitĂ© Ă  la vue des misĂšres peut s’appeler duretĂ© ; s’il y entre du plaisir, c’est cruautĂ©. La sincĂ©ritĂ© me paraĂźt l’expression de la vĂ©ritĂ©; la franchise, une sincĂ©ritĂ© sans voiles de droit Ă  ceux qui savent les mettre Ă  leur place. i cccxxxii 11 ne faut pas craindre non plus de redire une vĂ©ritĂ© ancienne, lorsqu’on peut la rendre plus sensible par un meil- j leur tour, ou la joindre Ă  une autre vĂ©ritĂ© qui l’éclaircisse, et 1 former un corps de raisons. C’est le propre des inventeurs de saisir le rapport des choses, et de savoir les rassembler; et les j dĂ©couvertes anciennes sont moins Ă  leurs premiers auteurs qu’à ‱ ceux qui les rendent utiles. \ j cccxxxiii On fait un ridicule Ă  un homme du monde du j talent et du goĂ»t d’écrire 2 . Je demande aux gens raisonnables I Que font ceux qui u’écrivent pas ? cccxxxiv On ne peut avoir l’ñme grande ou l’esprit un peu j pĂ©nĂ©trantsans quelque passion pourles lettres. Les arts sontcon- sacrĂ©s Ă  peindre les traits de la belle nature ; les sciences, Ă  la vĂ©- ; ritĂ©. Les arts ou les sciences embrassent tout ce qu’il y a dans les objets delĂ  pensĂ©e de noble ou d’utile de sorte qu’il ne reste Ă  ceux qui les rejettent que ce qui est indigne d’ĂȘtre peint ou enseignĂ©. cccxxxv Voulez-vous dĂ©mĂȘler, rassembler vos idĂ©es, les mettre sous un mĂȘme point de vue, et les rĂ©duire en principes ? jetez-lesd’abord surle papier. Quand vousn’auriez rienĂ  gagner par cet usage du cĂŽtĂ© de la rĂ©flexion, ce qui est faux manifestement, que n’acquerriez-vous pas du cĂŽtĂ© de l’expression ? Laissez ‱ 1 Le tour Ă©levĂ©; mĂ©taphore qui peut paraĂźtre incohĂ©rente. S. 1 Du goĂ»t d'Ă©crire. On a dĂ©jĂ  observĂ© que cette expression Ă©taitincorrccte. S. ; RÉFLEXIONS ET MAXIMES. 277 dire ceux qui regardent cette Ă©tudemomme au-dessous d’eux. Qui peut croire avoir plus d’esprit, un gĂ©nie plus grand et plus noble que le cardinal de Richelieu? qui a Ă©tĂ© chargĂ© de plus d’affaires et de plus importantes ? Cependant nous avons des Controverses de ce grand ministre et un Testament politique on sait mĂȘme qu’il n’a pas dĂ©daignĂ© la poĂ©sie. Un esprit si ambitieux ne pouvait mĂ©priser la gloire la plus empruntĂ©e et la plus Ă  nous qu’on connaisse. 11 n’est pas besoin de citer, aprĂšs un si grand nom, d’autres exemples le duc de La Rochefoucauld, l’homme de son siĂšcle le plus poli et le plus capable d’intrigues, auteur du livre des Maximes ; le fameux cardinal de Retz , le cardinal d’Ossat , le chevalier Guillaume Temple 2 , et une infinitĂ© d’autres qui sont aussi connus par leurs Ă©crits que par leurs actions immortelles. Si nous ne sommes pas Ă  mĂȘme d’exĂ©cuter de si grandes choses que ces hommes illustres, qu’il paraisse du moins par l’expression de nos pensĂ©es, et par ce qui dĂ©pend de nous, que nous n’étions pas incapables de les concevoir. Sur la VĂ©ritĂ© et l'Éloquence. cccxxxvi Deux Ă©tudes sont importantes l’éloquence et la vĂ©ritĂ©; la vĂ©ritĂ© pour donner un fondement solide Ă  l’éloquence et bien disposer notre vie ; l’éloquence, pour diriger la conduite des autres hommes et dĂ©fendre la vĂ©ritĂ©. cccxxxvn La plupart des grandes affaires se traitent par Ă©crit; il ne suffit donc pas de savoir parler tous les intĂ©rĂȘts subalternes, les engagements, les plaisirs, les devoirs de la vie civile, demandent qu’on sache parler ; c’est donc peu de savoir Ă©crire. Nous aurions besoin tous les jours d’unir l’une et l’autre Ă©loquence mais nulle ne peut s’acquĂ©rir si d’abord on ne sait penser; et on ne sait guĂšre penser si l’on n’a des principes fixes 1 Arnaud, cardinal d’Ossal, auteur de lettres regardĂ©es comme des chefs- d'Ɠuvre de politique, mourut Ă  Rome, le 15 mars t604. BriĂšre. 1 Guillaume Temple, cĂ©lĂšbre nĂ©gociateur anglais, auteur d’un grand nombre d’ouvrages historiques, mourut dans le comtĂ© de Susses, en fĂ©vrier 16US RriĂšre. lĂź 2 7 8 VAUVEN ARGUES. et puisĂ©s dans la vĂ©ritĂ©. Tout confirme notre maxime l’étude du vrai la premiĂšre, l’éloquence aprĂšs. PensĂ©es diverses. cccxxxviii C’est un mauvais parti pour une femme que d’ĂȘtre coquette. Il est rare que celles de ce caractĂšre allument de grandes passions ; et ce n’est pas Ă  cause qu’elles sont lĂ©gĂšres, comme on croit communĂ©ment, mais parce que personne ne veut ĂȘtre dupe. La vertu nous fait mĂ©priser la faussetĂ©, et l’amour-propre nous la fait haĂŻr. cccxxxix Est-ce force dans les hommes d’avoir des passions, ou insuffisance et faiblesse ? Est-ce grandeur d’ĂȘtre exempt de passions, ou mĂ©diocritĂ© de gĂ©nie? Ou tout est-il mĂȘlĂ© de faiblesse et de force, de grandeur et de petitesse? cccxl Qui est plus nĂ©cessaire au maintien d’une sociĂ©tĂ© d’hommes faibles, et que leur faiblesse a unis, la douceur ou 'austĂ©ritĂ©? Il faut employer l’une et l’autre. Que la loi soit sĂ©vĂšre , et les hommes indulgents. cccxli La sĂ©vĂ©ritĂ© dans les lois est humanitĂ© pour les peuples ; dans les hommes, elle est la marque d’un gĂ©nie Ă©troit et cruel. Il n’y a que la nĂ©cessitĂ© qui puisse la rendre innocente. cccxlii Le projet de rapprocher les conditions a toujours Ă©tĂ© un beau songe la loi ne saurait Ă©galiser les hommes malgrĂ© la nature. cccxliii S’il n’y avait de domination lĂ©gitime que celle qui s’exerce avec justice, nous ne devrions rien aux mauvais rois. cccxliv Comptez rarement sur l’estime et sur la confiance d’un homme qui entre dans tous vos intĂ©rĂȘts, s’il ne vous parle aussitĂŽt des siens. 279 RÉFLEXIONS ET MAXIMES. - cccxtv Nous haĂŻssons les dĂ©vots qui font profession de mĂ©priser tout ce dont nous nous piquons, et se piquent souvent eux-mĂȘmes de choses encore plus mĂ©prisables. cccxlvi C’est par la conviction manifeste de notre incapacitĂ© ' que le hasard dispose si universellement et si absolument de tout. Il n’y a rien de plus rare dans le monde que les grands talents et que le mĂ©rite des emplois la fortune est plus partiale qu’elle n’est injuste. cccxLViiLe mystĂšre dont on enveloppe ses desseins marque quelquefois plus de faiblesse que l’indiscrĂ©tion , et souvent nous fait plus de tort. cccxlviii Ceux qui font des mĂ©tiers infĂąmes, comme les voleurs, les femmes perdues, s’honorent de leurs crimes, et regardent les honnĂȘtes gens comme des dupes. La plupart des hommes, dans le fond du cƓur, mĂ©prisent la vertu, peu la gloire. cccxLixUne mauvaise prĂ©face allonge considĂ©rablement un mauvais livre; mais ce qui est bien pensĂ© est bien pensĂ©, et ce qui est bien Ă©crit est bien Ă©crit. cccl Ce sont les ouvrages mĂ©diocres qu’il faut abrĂ©ger. Je n’ai jamais vu de prĂ©face ennuyeuse Ă  la tĂȘte d’un bon livre. cccli Toute hauteur 2 affectĂ©e est puĂ©rile-, si elle se fonde 1 C'est par la conviction manifeste de notre incapacitĂ© que le hasard dispose , etc Cette pensĂ©e est obscure; l’auteur veut dire, je crois, que c’est la conviction que noue avons de notre incapacitĂ© qui nous fait abandonner tant de choses au hasard. Il n'y a rien de plus rare dans le monde , dit-il ensuite, que les grands talents et que le mĂ©rite des emplois le mĂ©rite des emplois est une ellipse forcĂ©e. L’auteur ajoute s Infortune est plue partiale qu'elle n'est injuste , c’est-Ă -dire qu’entre des concurrents sans moyens, elle n’est pas injuste en refusant un emploi Ă  tel qui ne le mĂ©rite pas, mais partiale en l’accordant Ă  tel autre qui ne le mĂ©rite pas davantage. S. 2 l'oute hauteur^ t te. Je crois qn'orgueil est ici le mot propre. Hauteur, pris Ă  l'absolu, ne peut s’entendre dans un sens favorable. S 280 VAUVENARGUES sur des titres supposĂ©s, elle est ridicule ; et si ces titres sont frivoles, elle est basse le caractĂšre de la vraie hauteur est d’ĂȘtre toujours Ă  sa place. ccclii Nous n’attendons pas d’un malade qu’il ait l'enjouement de la santĂ© et la mĂȘme force de corps ; s’il conserve mĂȘme sa raison jusqu’à la fin, nous nous en Ă©tonnons; et s’il fait paraĂźtre quelque fermetĂ©, nous disons qu’il y a de l’affectation dans cette mort tant cela est rare et difficile. Cependant, s’il arrive qu’un autre homme dĂ©mente en mourant, ou la fermetĂ©, ou les principes qu’il a professĂ©s pendant sa vie; si dans l’état du monde le plus faible, il donne quelque marque de faiblesse,.... ĂŽ aveugle malice de l’esprit humain! il n’y a pas de contradictions si manifestes que l’envie n’assembie pour nuire. cccliii On n’est pas appelĂ© Ă  la conduite des grandes affaires, ni aux sciences, ni aux beaux-arts, ni Ă  la vertu, quand on n’aime pas ces choses pour elles-mĂȘmes, indĂ©pendamment de la considĂ©ration qu’elles attirent. On les cultiverait donc inutilement dans ces dispositions ni l’esprit ni la vanitĂ© ne peuvent donner le gĂ©nie. cccliv Les femmes ne peuvent comprendre qu’il y ait des hommes dĂ©sintĂ©ressĂ©s Ă  leur Ă©gard. ccclv Il n’est pas libre Ă  un homme qui vit dans le monde de n'ĂȘtre pas galant. ccclvi Quels que soient ordinairement les avantages de la jeunesse, un jeune homme n’est pas bien venu auprĂšs des femmes jusqu’à ce qu’elles eu aient fait un fat. ccclviiU est plaisant qu’on ait fait une loi de la pudeur aux femmes, qui n’estiment dans les hommes que l’effronterie. ccclviii On ne loue point une femme ni un auteur mĂ©diocre comme eux-mĂȘmes se louent. RÉFLEXIONS ET MAXIMES. 281 j ccclix Une femme qui croit se bien mettre ne soupçonne i pas, dit un auteur, que son ajustement deviendra un jour aussi ridicule que la coiffure de Catherine de MĂ©dicis. Toutes les modes dont nous sommes prĂ©venus vieilliront peut-ĂȘtre avant I nous, et mĂȘme le bon ton. ccclx Il y a peu de choses que nous sachions bien. ccclxi Si on n'Ă©crit point parce qu’on pense, il est inutile de penser pour Ă©crire. ccclxii Tout ce qu’on n’a pensĂ© que pour les autres est ordinairement peu naturel. ccclxiii La clartĂ© est la bonne foi des philosophes. ccclxi v La nettetĂ© est le vernis des maĂźtres. ccclxv La nettetĂ© Ă©pargne les longueurs, et sert de preuve aux idĂ©es. ccclxvi La marque d’une expression propre est que mĂȘme dans les Ă©quivoques on ne puisse lui donner qu’un sens. ccclxvii Il semble que la raison, qui se communique aisĂ©ment et se perfectionne quelquefois, devrait perdre d’autant plus vite tout son lustre et le mĂ©rite de la nouveautĂ© ; cependant les ouvrages des grands hommes, copiĂ©s avec tant de soin par d’autres mains, conservent, malgrĂ© le temps, un caractĂšre toujours original car il n’appartient pas aux autres hommes de concevoir et d’exprimer aussi parfaitement les choses qu’ils savent le mieux. C’est cette maniĂšre de concevoir si vive et si parfaite qui distingue dans tous les genres le gĂ©nie, et qui fait que les idĂ©es les plus simples et les plus connues ne peuvent vieillir. cccLxvmLes grands philosophes sont les gĂ©nies de la raison. 16 . 282 VAUVENARGUES. ccclxix Pour savoir si une pensĂ©e est nouvelle, il n’y a qu’à l’exprimer bien simplement. ccclxx Il y a peu de pensĂ©es synonymes, mais beaucoup d’approchantes. ccclxxi Lorsqu’un bon esprit ne voit pas qu’une pensĂ©e puisse ĂȘtre utile, il y a grande apparence qu’elle est fausse . ccclxxii Nous recevons de grandes louanges avant d’en mĂ©riter de raisonnables. ccclxxiii Les feux de l’aurore ne sont pas si doux que les premiers regards de la gloire. ccclxxiv Les rĂ©putations mal acquises se changent en mĂ©pris, ccclxxv L’espĂ©rance est le plus utile ouĂŻe plus pernicieux des biens. ccclxx'vi L’adversitĂ© fait beaucoup de coupables et d’imprudents. Cccclxx'vii La raison est presque impuissante pour les faibles. ccclxxviii Le courage est la lumiĂšre de l’adversitĂ©. ccclxxix L’erreur est la nuit des esprits et le piĂšge de l'innocence. ccclxxx Les demi-philosophes ne louent l’erreur que pour faire les honneurs de la vĂ©ritĂ©. Iccclxxxi C’est ĂȘtre bien impertinent de vouloir faire croire qu'on n’a pas assez d’erreurs pour ĂȘtre heureux. REFLEXIONS ET MAXIMES 2*3 ccclxxxii Celui qui souhaiterait sĂ©rieusement des illusions aurait au delĂ  de ses vƓux. ccclxxxiii Les corps politiques ont leurs dĂ©fauts inĂ©vitables, comme les divers Ăąges de la vie humaine. Qui peut garantir la vieillesse des infirmitĂ©s, hors la mort? ccclxxxiv La sagesse est le tyran des faibles. ccclxxxv Les regards affables ornent le visage des rois. ccclxxxvi La licence Ă©tend toutes les vertus et tous les vices. ccclxxxvi i La paix rend les peuples plus heureux et les hommes plus faibles. ccclxxxviii Le premier soupir de l’enfance est pour la libertĂ©. ccclxxxix La libertĂ© est incompatible avec la faiblesse. cccxc L’indolence est le sommeil des esprits. cccxci Les passions les plus vives sont celles dont l’objet est le plus prochain, comme dans le jeu et l’amour, etc. cccxcil Lorsque la beautĂ© rĂšgne sur les yeux, il est probable qu’elle rĂšgne encore ailleurs. cccxcm Tous les sujets de la beautĂ© ne connaissent pas leur souveraine. i cccxciv Si les faiblesses de l’amour sont pardonnables, c’est principalement aux femmes, qui rĂ©gnent par lui. v cccxcv Notre intempĂ©rance loue les plaisirs. 284 VAU VEN ARGUES. cccxcvi La constance est la chimĂšre de l’amour. t cccxcvn Des hommes simples et vertueux mĂȘlent de la dĂ©licatesse et de la probitĂ© jusque dans leurs plaisirs. cccxcviii Ceux qui ne sont plus en Ă©tat de plaire aux femmes s'en corrigent. cccxcix Les premiers jours du printemps ont moins de grĂące que la vertu naissante d’un jeune homme. cccc L’utilitĂ© de la vertu est si manifeste , que les mĂ©chants la pratiquent par intĂ©rĂȘt. cccci Rien n’est si utile que la rĂ©putation, et rien ne donne la rĂ©putation si sĂ»rement que le mĂ©rite. ccccu La gloire est la preuve de la vertu. cccciit La trop grande Ă©conomie fait plus de dupes que la profusion. cccciv La profusion avilit ceux qu’elle n’illustre pas. ccccv Si un homme obĂ©rĂ© et sans enfants se fait quelques rentes viagĂšres, et jouit par cette conduite des commoditĂ©s de la vie, nous disons que c’est un fou qui a mangĂ© son bien. ccccvi Les sots admirent qu’un homme Ă  talents ne soit pas une bĂȘte sur ses intĂ©rĂȘts. ccccvn La libĂ©ralitĂ© et l’amour des lettres ne ruinent personne; mais les esclaves de la fortune trouvent toujours la vertu trop achetĂ©e. ccccviii On fait bon marchĂ© d’une mĂ©daille, lorsqu’on n’est pas curieux d’antiquitĂ©s ainsi ceux qui n’ont pas de senti- RÉFLEXIONS ET MAXIMES 285 ments pour le mĂ©rite ne tiennent presque pas de compte de? plus grands talents. ccccix Le grand avaatagc des talents paraĂźt en ce que la fortune sans mĂ©rite est presque inutile ccccx D’ordinaire on tente fortune par des talents qu'on n’a pas. ccccxi Il vaut mieux dĂ©roger Ă  sa qualitĂ© qu’à son tenie. Ce serait ĂȘtre fou de conserver un Ă©tat mĂ©diocre au prix d’une grande fortune ou de la gloire. ccccxn II n’y a pas de vice qui ne soit nuisible, dĂ©nuĂ© d’esprit. ccccxiii J’ai cherchĂ© s’il n’y avait point de moyen de faire sa fortune sans mĂ©rite, et je n’en ai trouvĂ© aucun. ccccxiv Moins on veut mĂ©riter sa fortune, plus il faut se donner de peine pour la faire. ccccxvLes beaux esprits ont une place dans la bonne compagnie , mais la derniĂšre. ccccxvi Les sots usent des gens d’esprit comme les petits hommes portent de grands talons. ccccxvii Il y a des hommes dont il vaut mieux se taire que de les louer selou leur mĂ©rite 1 . , ccccxviii I! ne faut pas tenter de contenter les envieux. ' Il y a des hommes dont il vaut mieux se taire que de les louer selon 2 ccccixxxv Quelque mĂ©rite qu’il puisse y avoir Ă  nĂ©gliger les grandes places, il y en a peut-ĂȘtre encore plus Ă  les bien remplir. cccclxxxvi Si les grandes pensĂ©es nous trompent, elles nous amusent. cccclxxxvii Il n’y a point de faiseur de stances qui ne se prĂ©fĂšre Ă  Bossuet, simple auteur de prose ; et dans l’ordre de la nature, nul ne doit penser aussi peu juste qu’un gĂ©nie manquĂ©. Un versificateur ne connaĂźt point de juge compĂ©tent de ses Ă©crits si on ne fait pas de vers, on ne s’y connaĂźt pas ; si on en fait, on est son rival. cccclxxxtx Le mĂȘme croit parler la langue des dieux, lorsqu’il ne parle pas celle des hommes. C’est comme un mauvais comĂ©dien, qui ne peut dĂ©clamer comme l’on parle. ccccxc Un autre dĂ©faut de la mauvaise poĂ©sie est d’allonger la prose, comme le caractĂšre de la bonne est de l’abrĂ©ger. ccccxci Il n’y a personne qui ne pense d’un ouvrage en prose Si je me donnais de la peine, je le ferais mieux. Je dirais Ă  beaucoup de gens Faites une seule rĂ©flexion digne d’ĂȘtre Ă©crite. ccccxcii Tout ce que nous prenons dans la morale pour dĂ©faut n’est pas tel. ccccxciii Nous remarquons peu de vices pour admettre peu de vertus. ccccxciv L’esprit est bornĂ© jusque dans l'erreur, qu’on dit son domaine. ccccxcv L’intĂ©rĂȘt d’une seule passion, souvent rnalheu- RÉFLEXIONS ET MAXIMES. 293 reuse, tient quelquefois toutes les autres en captivitĂ©; et la raison porte ses chaĂźnes sans pouvoir les rompre. ccccxcvi Il y a des faiblesses, si on l’ose dire, insĂ©parables de notre nature. ccccxcvn Si on aime la vie, on craint la mort. ccccxcviii La gloire et la stupiditĂ© cachent la mort sans triompher d'elle 1 . ccccxcix Le terme du courage est l’intrĂ©piditĂ© dans le pĂ©ril 2 . d La noblesse est un monument de la vertu, immortelle comme la gloire. di Lorsque nous appelons les rĂ©flexions, elles nous fuient ; et quand nous voulons les chasser, elles nous obsĂšdent, et tiennent malgrĂ© nous nos yeux ouverts pendant la nuit. du Trop de dissipation et trop d’étude Ă©puisent egalement l’esprit et le laissent Ă  sec ; les traits hardis en tout genre ne s’offrent pas Ă  un esprit tendu et fatiguĂ©. diii Comme il y a des Ăąmes volages que toutes les passions dominent tour Ă  tour, on voit des esprits vifs et sans assiette que toutes les opinions entraĂźnentsuccessivement, ou qui se partagent entre les contraires, sans oser dĂ©cider. div Les hĂ©ros deCorneilleĂ©taient des maximes fastueuses et parlent magnifiquement d’eux-mĂȘmes, et cette enflure de leurs La gloire et la stupiditĂ© cachent la mort sans triompher d’elle. 11 faut, je crois, l’amour de la gloire. Sans triompher d’elle, c'est-Ă -dire, je pense, ans la faire mĂ©priser. S. ’ Le terme du courage, etc. Il semble qu'il faut dire, le dernier terme. M. 29i VMJVENARGUES. discours passe pour vertu parm i ceux qui n’ont point de rĂšgle dans e cƓur pour distinguer la grandeur d’ñme de l’ostentation *. nv L’esprit ne fait pas connaĂźtre la vertu. dvi Il n’y a point d’homme qui ait assez d’esprit pour n’ĂȘtre jamais ennuyeux. dvii La plus charmante conversation lasse l’oreille d’un homme occupĂ© de quelque passion. dviii Les passions nous sĂ©parent quelquefois de la sociĂ©tĂ©, et nous rendent tout l’esprit qui est au monde aussi inutile que nous le devenons nous-mĂ©me aux plaisirs d’autrui. dix Le monde est rempli de ces hommes qui imposent aux autres par leur rĂ©putation ou leur fortune ; s’ils se laissent trop approcher, on passe tout Ă  coup Ă  leur Ă©gard de la curiositĂ© jusqu’au mĂ©pris, comme on guĂ©rit quelquefois en un moment d’une femme qu’on a recherchĂ©e avec ardeur. dx On est encore bien Ă©loignĂ© de plaire lorsqu’on n’a que de l’esprit. dxi L’esprit ne nous garantit pas des sottises de notre humeur. dxii Le dĂ©sespoir est la plus grande de nos erreurs 1 . dxiii La nĂ©cessitĂ© de mourir est la plus amĂšre dĂź nos afflictions. dxiv Si la vie n’avait point de fin, qui dĂ©sespĂ©rerait de sa fortune ? La mort comble l’adversitĂ©. 1 L’auteur a dĂ©veloppĂ© cette idĂ©e dans ses RĂ©flexions sur ÇornelU. lĂź. 3 C'est Ă -dire, en d’autres termes, qu’il n’y a point de mai sans ’emĂšde, et que le suicide est un acte de folie* F* RÉFLEXIONS ET MAXIMES. 295 dxv Combien les meilleurs conseils sont-ils peu utiles, si nos propres expĂ©riences nous instruisent si rarement ! dxvi Les conseils qu’on croit les plus sages sont les moins proportionnĂ©s Ă  notre Ă©tat. Dxvn Nous avons des rĂšgles pour le théùtre qui passent peut-ĂȘtre les forces de l’esprit humain. dxviii Lorsqu’une piĂšce est faite pour ĂȘtre jouĂ©e il est injuste de n’en juger que par la lecture. dxix Le but des poĂštes tragiques est d’émouvoir. C’est faire trop d’honneur Ă  l’esprit humain de croire que des ouvrages irrĂ©guliers ne peuvent produire cet effet. II n’est pas besoin de tant d’art pour tirer les meilleurs esprits de leur assiette et leur cacher de grands dĂ©fauts dans un ouvrage qui peint les passions. 1 ne faut pas supposer dans le sentiment une dĂ©licatesse que nous n’avons que par rĂ©flexion, ni imposer aux auteurs une perfection qu’ils ne puissent atteindre ; notre goĂ»t se contente Ă  moins. Pourvu qu’il n’y ait pas plus d’irrĂ©gularitĂ©s dans un ouvrage que dans nos propres conceptions, rien n’empĂȘche qu’il ne puisse plaire, s’il est bon d’ailleurs. N’avons-nous pas des tragĂ©dies monstrueuses qui entraĂźnenttoujours les suffrages, malgrĂ© es critiques, et qui sont les dĂ©lices du peuple, je veux dire de la plus grande partie des hommes ? Je sais que le succĂšs de ces ouvrages prouve moins le gĂ©nie de leurs auteurs que la faiblesse de leurs partisans c’est aux hommes dĂ©licats Ă  choisir de meilleurs modĂšles, et Ă  s’efforcer, dans tous les genres, d’égaler la belle nature ; mais comme elle n’est pas exempte de dĂ©fauts, toute belle qu’elle paraĂźt, nous avons tort d’exiger des auteurs plus qu’elle ne peut leur fournir. Il s’en faut de beaucoup que notre goĂ»t soit toujours aussi difficile Ă  contenter que notre esprit. nxx 11 peut plaire Ă  un traducteur d’admirer jusqu’aux dĂ©fauts de son original, et d’attribuer toutes ses sottises Ă  la barbarie de son siĂšcle. Lorsque je crois toujours apercevoir dans un ‱>% VAUVENABGUES. auteur les mĂȘmes beautĂ©s et les mĂȘmes dĂ©fauts, il me paraĂźt plus raisonnable d’en conclure que c’est un Ă©crivain qui joint de grands dĂ©fauts Ă  des qualitĂ©s Ă©minentes, une grande imagination et peu de jugement, ou beaucoup de force et peu d’art, etc. ; et quoique je n’admire pas beaucoup l’esprit humain, je ne puis cependant ie dĂ©grader jusqu’à mettre dans le premier rang un gĂ©nie si dĂ©fectueux , qui choque continuellement le sens commun. dxxt C’est faute de pĂ©nĂ©tration que nous concilions si peu de choses. dxxii Nous voudrions dĂ©pouiller de ses vertus l’espĂšce humaine, pournousjustifier nous-mĂȘmesde nosvices, etles mettre Ă  la nlace des vertus dĂ©truites semblables Ă  ceux qui se rĂ©voltent contre les puissances lĂ©gitimes, non pour Ă©galiser tous les hommes oar la libertĂ©, mais pour usurper la mĂȘme autoritĂ© qu’ils calomnient. dxxiii Un peu de culture et beaucoup de mĂ©moire, avec quelque hardiesse dans les opinions et contre les prĂ©jugĂ©s, font paraĂźtre l’esprit Ă©tendu. dxxiv Il ne faut pas jeter du ridicule sur les opinions respectĂ©es ; car on blesse par lĂ  leurs partisans, sans les confondre. dxxv La plaisanterie la mieux fondĂ©e ne persuade point, tant on est accoutumĂ© qu’elle s’appuie sur de faux principes. dxxyi L’incrĂ©dulitĂ© a ses enthousiastes, ainsi que la superstition; et comme l’on voit des dĂ©vots qui refusent Ă  Cromwell jusqu’au bon sens, on trouve d’autres hommes qui traitent Pascal et Bossuet de petits esprits. dxxvii Le plus sage et le plus courageux de tous les hommes, M. de Turenne, a respectĂ© la religion; et une infinitĂ© d’hommes obscurs se placent au rang des gĂ©nies et des Ăąmes fortes, seulement Ă  cause qu’ils la mĂ©prisent. RÉFLEXIONS ET MAXIMES. 297 dxxyiii Ainsi, nous tirons vanitĂ© de nos faiblesses et de nos fausses erreurs. La raison fait des philosophes, et la gloire fait des hĂ©ros ; la seule vertu fait des sages. dxxix Si nous avons Ă©crit quelque chose pour notre instruction ou pour le soulagement de notre cƓur, il y a grande apparence que nos rĂ©flexions seront encore utiles Ă  beaucoup d’autres -, car personne n’est seul dans son espĂšce ; et jamais nous ne sommes ni si vrais, ni si vifs, ni si pathĂ©tiques que lorsque nous traitons les choses pour nous-mĂȘmes. dxxx Lorsque notre Ăąme est pleine de sentiments nos discours sont pleins d’intĂ©rĂȘt. dxxxi Le faux prĂ©sentĂ© avec art nous surprend et nous Ă©blouit; mais le vrai nous persuade et nous maĂźtrise. dxxxii On ne peut contrefaire le gĂ©nie. dxxxiii 11 ne faut pas beaucoup de rĂ©flexions pour faire cuire un poulet; et cependant nous voyons des hommes qui sont toute leur vie mauvais rĂŽtisseurs tant il est nĂ©cessaire, dans tous les mĂ©tiers, d’y ĂȘtre appelĂ© par un instinct particulier et comme indĂ©pendant de la raison. dxxxiv Lorsque les rĂ©flexions se multiplient, les erreurs et les connaissances augmentent dans la mĂȘme proportion. nxxxv Ceux qui viendront aprĂšs nous sauront peut-ĂȘtre plus que nous, et ils s’en croiront plus d’esprit, mais seront-ils plus heureux ou plus sages? Nous-mĂȘmes, qui savons beaucoup, sommes-nous meilleurs que nos pĂšres, qui savaient si peu? dxxxvi Nous sommes tellement occupĂ©s de nous et de nos semblables, que nous ne faisons pas la moindre attention Ă  tout le reste, quoique sous nos yeux et autour de nous. 17 . 298 VAUVENARGUES dxxxvii Qu’il y a peu de choses dont nous jugions bien nxxxvm Nous n’avons pas assez d’amour-propre pour dĂ©daigner le mĂ©pris d’autrui. dxxxix Personne ne nous blĂąme aussi sĂ©vĂšrement que nous ne nous condamnons souvent nous-mĂȘmes. dxl L’amour n’est pas si dĂ©licat que l’amour-propre. dxli Nous prenons ordinairement sur nos bons et nos mauvais succĂšs ; et nous nous accusons ou nous louons des caprices de la fortune. dxlii Personne ne peut se vanter de n’avoir jamais Ă©tĂ© nĂ©prisĂ©. dxliii Il s en faut men que toutes nos habiletĂ©s ou que toutes nos fautes portent coup tant il y a peu de choses qui dĂ©pendent de notre conduite. dxliv Combien de vertus et de vices sont sans consĂ©quence. dxlv Nous ne sommes pas contents d’ĂȘtre habiles si on ne sait pas que nous le sommes ; et pour ne pas en perdre le mĂ©rite, nous en perdons quelquefois le fruit. dxlvi Les gens vains ne peuvent ĂȘtre habiles ; car ils n’ont pas la force de se taire. dxlvii C’est souvent un grand avantage pour un nĂ©gociateur, s’il peut faire croire qu’il n’entend pas les intĂ©rĂȘts de son maĂźtre et que la passion le conseille; il Ă©vite par lĂ  qu’on le pĂ©nĂštre, et rĂ©duit ceux qui ont envie de finir Ă  se relĂącher de leurs prĂ©tentions. Les plus habiles se croient quelquefois obligĂ©s REFLEXIONS ET MAXIMES. 299 de cĂ©der Ă  un homme qui rĂ©siste lui-mĂȘme Ă  la raison, et qui Ă©chappe Ă  toutes leurs prises. dxlviii Tout le fruit qu on a pu tirer de mettre quelques hommes dans les grandes places s’est rĂ©duit Ă  savoir qu’ils Ă©taient habiles. dxlix Il ne faut pas autant d’acquis pour ĂȘtre habile que pour le paraĂźtre. dl Rien n’est plus facile aux hommes en place que de s’approprier le savoir d’autrui. dli Il est peut-ĂȘtre plus utile, dans les grandes places, de savoir et dĂ© vouloir se servir de gens instruits que de l’ĂȘtre soi- mĂȘme. dlii Celui qui a un grand sens sait beaucoup. dliii Quelque amour qu’on ait pour les grandes affaires, ,1 y a peu de lectures si ennuyeuses et si fatigantes que celle d’un traitĂ© entre les princes. dliv L’essence de la paix est d’ĂȘtre Ă©ternelle, et cependant nous n’en voyons durer aucune l’ñge d’un homme ; et Ă  peine y a-t-il quelque rĂšgne oĂč elle n’ait Ă©tĂ© renouvelĂ©e plusieurs fois. Mais faut-il s’étonner que ceux qui ont eu besoin de lois pour ĂȘtre justes soient capables de les violer? dlv La politique fait entre les princes ce que les tribunaux de la justice font entre les particuliers. Plusieurs faibles liguĂ©s contre un puissant lui imposent la nĂ©cessitĂ© de modĂ©rer son ambition et ses violences. dlvi Il Ă©tait plus facile aux Romains et aux Grecs de subjuguer de grandes nations, qu’il ne l’est aujourd’hui de conserver une petite province justement conquise, an milieu de SCO VAUVENARGUES. tant de voisins jaloux, et de peuples Ă©galement instruits dans la politique et dans la guerre, et aussi liĂ©s par leurs intĂ©rĂȘts, par les arts, ou par le commerce, qu’ils sont sĂ©parĂ©s par leurs limites. dlvii M. de Voltaire ne regarde l’Europe que comme une rĂ©publique formĂ©e de diffĂ©rentes souverainetĂ©s. Ainsi un esprit Ă©tendu diminue en apparence les objets en les confondant dans un tout qui les rĂ©duit Ă  leur juste Ă©tendue ; mais il les agrandit rĂ©ellement en dĂ©veloppant leurs rapports, et en ne formant de tant de parties irrĂ©guliĂšres qu’un seul et magnifique tableau DLVin C’est une politique utile , mais bornĂ©e, de se dĂ©terminer toujours par le prĂ©sent, et de prĂ©fĂ©rer le certain Ă  l’incertain, quoique moins flatteur; et ce n’est pas ainsi que les États s’élĂšvent, ni mĂȘme les particuliers. dlix Qui sait tout souffrir peut tout oser. dlx Les hommes sontennemis-nĂ©s les uns des autres, non cause qu’ils se haĂŻssent, mais parce qu’ils ne peuvent s’agrandir sans se traverser ; de sorte qu’en observant religieusement les biensĂ©ances , qui sont les lois de la guerre tacite qu’ils se font, j’ose dire que c’est presque toujours injustement qu’ils se taxent de part et d’autre d’injustice. dlxi Les particuliers nĂ©gocient, font des alliances, des traitĂ©s, des ligues, la paix et la guerre, en un mot, tout ce que les rois et les plus puissants peuples peuvent faire. dlxii Dire Ă©galement du bien de tout le monde est une petite et une mauvaise politique. { dlxiii La mĂ©chancetĂ© tient lieu d’esprit. dlx iv La fatuitĂ© dĂ©dommage du dĂ©faut de cƓur. i dlxv Celui qui s'impose Ă  soi-mĂȘme impose Ă  d’autres. RÉFLEXIONS ET MAXIMES. 301 dlxvi La nature n’ayant pas Ă©galisĂ© tous les hommes par le mĂ©rite, il semble qu’elle n’a pu ni dĂ» les Ă©galiser par la fortune. dlxvii L’espĂ©rance fait plus de dupes que l’habiletĂ©. dlxviii Le lĂąche a moins d’affronts Ă  dĂ©vorer que l’ambitieux. dlxix On ne manque jamais de raisons, lorsqu’on a fait fortune, pour oublier un bienfaiteur ou un ancien ami ; et on rappelle alors avec dĂ©pit tout ce que l'on a si longtemps dissimulĂ© de leur humeur. dlxx Tel que soit un bienfait, et quoi qu’il en coĂ»te, lorsqu’on l’a reçu Ă  ce titre, on est obligĂ© de s’en revancher, comme on tient un mauvais marchĂ© quand on a donnĂ© sa parole. dlxxi Il n’y a point d’injure qu’on ne pardonne quand on s’est vengĂ©. dlxxii On oublie un affront qu’on a souffert, jusqu’à s’en attirer un autre par son insolence. dlxxiii S’il est vrai que nos joies soient courtes, la plupart de nos afflictions ne sont pas longues. dlxxiv La plus grande force d’esprit nous console moins promptement que sa faiblesse. dlxxv 11 n’y a point de perte que l’on sente si vivement et si peu de temps que celle d’une femme aimĂ©e. dlxxvi Peu d’affligĂ©ssavent feindre tout le temps qu’il faut pour leur honneur. dlxxvii Nos consolations sont une flatterie envers les affligĂ©s. 302 ARGUES. dlxxviii Si les hommes ne se flattaient pas les uns les autres, il n’y aurait guĂšre de sociĂ©tĂ©. dlxxix 11 ne tient qu’à nous d’admirer la religieuse franchise de nos pĂšres, qui nous ont appris Ă  nous Ă©gorger pour un dĂ©menti ; un tel respect de la vĂ©ritĂ©, parmi les barbares qui ne connaissaient que la loi de la nature, est glorieux pour l’humanitĂ©. dlxxx Nous souffrons peu d’injures par bontĂ©. dlxxxi Nous nous persuadons quelquefois nos propres mensonges pour n’en avoir pas le dĂ©menti ; et nous nous trompons nous-mĂȘme pour tromper les autres. dilxxxii La vĂ©ritĂ© est le soleil des intelligences. dlxxxiii Pendant qu’une partie de la nation atteint le terme de la politesse et du bon goĂ»t, l’autre moitiĂ© est barbare Ă  nos yeux, sans qu’un spectacle si singulier puisse nous ĂŽter le mĂ©pris de la culture. dlxxxiv Tout ce qui flatte le plus notre vanitĂ© n’est fondĂ© que sur la culture, que nous mĂ©prisons. nLXxxv L’expĂ©rience que nous avons des bornes de notre raison nous rend dociles aux prĂ©jugĂ©s. dlxxxvi Comme il est naturel de croire beaucoup de choses sans dĂ©monstration, il ne l’est pas moins de douter de quelques autres malgrĂ© leurs preuves. dlxxxyii La conviction de l’esprit n’entraĂźne pas toujours celle du cƓur. blx xxviii Les hommes ne se comprennent pas les uns les autres. 11 y a moins de fous qu’on ne croit. RÉFLEXIONS ET MAXIMES. 303 dlxxxix Pour peu qu’on se donne carriĂšre sur la religion et sur les misĂšres de l'homme, on ne fait pas difficultĂ© de se placer parmi les esprits supĂ©rieurs. dxc Des hommes inquiets et tremblants pour les plus petits intĂ©rĂȘts affectent de braver la mort. dxci Si les moindres pĂ©rils dans les affaires nous donnent de vaines terreurs, dans quelles alarmes la mort ne doit-elle pas nous plonger, lorsqu’il est question pour toujours de tout notre ĂȘtre, et que l’unique intĂ©rĂȘt qui nous reste, il n’est plus en notre puissance de le mĂ©nager, ni mĂȘme quelquefois de le connaĂźtre ! dxcii Newton, Pascal, Bossuet, Bacine, Fenelon , c’est-Ă - dire les hommes de la terre les plus Ă©clairĂ©s, dans le plus philosophe de tous les siĂšcles, et dans la force de leur esprit et de leur Ăąge, ont cru JĂ©sus-Christ ; et le grand CondĂ©, en mourant, rĂ©pĂ©tait ces nobles paroles Oui, nous verrons Dieu comme il est, sicuti est, jade ad faciem. » dxciii Les maladies suspendent nos vertus et nos vices. dxciv La nĂ©cessitĂ© comble les maux qu’elle ne peut soulager. dxcv Le silence et la rĂ©flexion Ă©puisent les passions, comme le travail et le jeĂ»ne consomment les humeurs. dxcvi La solitude est Ă  l’esprit ce que la diĂšte est au corps. dxcvii Les hommes actifs supportent plus impatiemment l’ennui que le travail. dxcviii Toute peinture vraie nous charme, jusqu’aux louanges d’autrui. dxcix Les images embellissent la raison, et le sentiment la persuade. 304 VAUVENARGUES. dc L’éloquence vaut mieux que le savoir. DCiCe qui fait que nous prĂ©fĂ©rons trĂšs-justement l’esprit au savoir est que celui-ci est mal nommĂ©, et qu’il n’est ordinairement ni si utile ni si Ă©tendu que ce que nous connaissons par expĂ©rience, ou que nous pouvons acquĂ©rir par rĂ©flexion. Nous regardons aussi l’esprit comme la cause du savoir, et nous estimons plus la causequesoneffet celaestraisonnable. Cependant, celui qui n’ignorerait rien aurait tout l’esprit qu’on peut avoir, le plus grand esprit du monde n’étant que science, ou capacitĂ© d’en acquĂ©rir. DcnLes hommes ne s’approuvent pas assez pour s’attribuer les uns aux autres la capacitĂ© des grands emplois. C’est tout ce qu’ils peuvent, pour ceux qui les occupent avec succĂšs, de les en estimer aprĂšs leur mort. Mais proposez l’homme du monde qui a le plus d’esprit Oui, dit-on, s’il avait plus d’expĂ©rience, ou s’il Ă©tait moins paresseux, ou s’il n’avait pas de l’humeur, ou tout au contraire ; car il n’y a point de prĂ©texte qu’on ne prenne pour donner l’exclusion Ă  l’aspirant, jusqu’à dire qu’il est trop honnĂȘte homme, supposĂ© qu'on ne puisse rien lui reprocher de plus plausible tant cette maxime est peu vraie, qu'il est plus aisĂ© de paraĂźtre diqne des grandes places que de les remplir. dcui Ceux qui mĂ©prisent l’homme ne sont pas de grands hommes. dciv Nous sommes bien plus appliquĂ©s Ă  noter les contradictions , souvent imaginaires, et les autres fautes d’un auteur, qu’à profiter de ses vues, vraies ou fausses. dcv Pour dĂ©cider qu’un auteur se contredit, il faut qu’il soit impossible de le concilier. dcvi La grande faiblesse de ceux qui n’imaginent point est de se croire seuls judicieux et raisonnables. REFLEXIONS ET MAXIMES. 305 DCViiLes esprits subalternes n’ont point d’erreurs en leur privĂ© nom, parce qu’ils sont incapables d’inventer, mĂȘme en se trompant; mais ils sont toujours en traĂźnĂ©s, sans le savoir, par l’erreur d’autrui. dcviii La vanitĂ© est ce qu’il y a de plus naturel dans les hommes , et ce qui les fait sortir le plus souvent de la nature. dcix Les grands hommes dogmatisent; le peuple croit. { dcx C’est une chose remarquable que presque tous les poĂštes se servent des expressions de Racine, et que Racine n’ait jamais rĂ©pĂ©tĂ© ses propres expressions. DCXi 'Les vertus rĂ©gnent plus glorieusement que la prudence. La magnanimitĂ© est l’esprit des rois. t dcxii L’opinion ne gouverne que les faibles; mais l’espĂ©rance trompe les plus grandes Ăąmes. dcxiii Un prince qui n’est que bon aime ses domestiques, ses ministres, sa famille et son favori, et n’est point attachĂ© Ă  son État, Il faut ĂȘtre un grand roi pour aimer un peuple. dgxiv On ne corrigera jamais les hommes d'apprendre des choses inutiles. ncxv Plaisante fortune pour Bossuet d’ĂȘtre chapelain de Versailles ! FĂ©nelon Ă©tait Ă  sa place il Ă©tait nĂ© pour ĂȘtre le prĂ©cepteur des rois ; mais Bossuet de vait ĂȘtre un grand ministre sous un roi ambitieux. dcxvi C’est une marque de fĂ©rocitĂ© et de bassesse d'insulter Ă  un homme dans l’ignominie, principalement s’il est misĂ©rable ; il n’y a point d’infamie dont la misĂšre ne fasse un objet de pitiĂ©. L’opprobre est une loi de la pauvretĂ©. 306 VAUVENARGUES. dcxvii J’ai la sĂ©vĂ©ritĂ© en horreur, et ne la crois P as tro P utile. Les Romains Ă©taient-ils sĂ©vĂšres ? N’exila-t-on pas CicĂ©ron pour avoir fait mourir Lentulus, manifestement conva lncu de trahison? Le sĂ©nat ne fit-il pas grĂące Ă  tous les autres co m Pdces de Catilina ? Ainsi se gouvernait le plus puissant et le plus redoutable peuple de la terre. Et nous, petit peuple barbare, nous croyons qu’il n’y a pas assez de gibets et de supplices. dcxviii Il est plus aisĂ© de dire des choses nouvelles que de concilier parfaitement et de rĂ©unir sous un seul point de vue toutes celles qui ont Ă©tĂ© dites. ncxix La nettetĂ© des pensĂ©es leur tient lieu de preuves. dcxx La raison est presque inutile Ă  la faiblesse. dcxxi La solitude tente puissamment la chastetĂ©. dcxxii La libĂ©ralitĂ© augmente le prix des richesses. dcxxiii Les passions des hommes sont autant de chemins ouverts pour aller Ă  eux. dcxxiv Entre rois, entre peuples, entre particuliers, le plus fort se donne des droits sur le plus faible ; et la mĂȘme rĂšgle est suivie par les animaux, par la matiĂšre, par les Ă©lĂ©ments, etc. de sorte que tout s’exĂ©cute dans l’univers par violence; et cet ordre, que nous blĂąmons avec quelque apparence de justice, est la loi la plus gĂ©nĂ©rale, la plus absolue, la plus ancienne et la plus immuable de la nature. dcxxv Si l’on dĂ©couvrait le secret de proscrire Ă  jamais la guerre, de multiplier le genre humain , et d’assurer Ă  tous les hommes de quoi subsister, combien nos meilleures lois paraĂźtraient-elles ignorantes et barbares ! dcxxvi Il n’y a point de violence ni d’usurpation qui ne s’autorise de quelque loi. RÉFLEXIONS ET MAXIMES. *07 dcxxvii Rien de grand ne comporte la mĂ©diocritĂ©. dcxxviii Tous les hommes naissent sincĂšres et meurent trompeurs. dcxxix Il n’appartient qu’aux Ăąmes fortes et pĂ©nĂ©trantes de faire de la vĂ©ritĂ© le principal objet de leurs passions. dcxxx Pour avoir l’esprit toujours juste, il ne suffit pas de l’avoir droit, il faut encore l’avoir Ă©tendu. dcxxxi Ni la pauvretĂ© ne peut avilir les Ăąmes fortes, ni la richesse ne peut Ă©lever les Ăąmes basses. On cultive la gloire dans l’obscuritĂ© ; on souffre l’opprobre dans la grandeur. La fortune, qu’on croit si souveraine, ne peut presque rien sans la nature. ncxxxn Les grandes places instruisent promptement les grands esprits. ,ncxxxinLa conscience est prĂ©somptueuse dans les sains, timide dans les faibles et les malheureux, inquiĂšte dans les indĂ©cis, etc. ; organe obĂ©issant du sentiment qui nous domine, plus trompeuse que la raison et la nature. DcxxxivLa science des mƓurs ne donne pas celle des hommes. REFLEXIONS CRITIQUES SUR QUELQUES POETES. 1 . LA. FONTAINE. Lorsqu’on a entendu parler de La Fontaine, et qu’on vient a lire ses ouvrages, on est Ă©tonnĂ© d’y trouver, je ne dis pas plus de gĂ©nie, mais plus mĂȘme de ce qu’on appelle de l’esprit, qu’on n’en trouve dans le monde le plus cultivĂ©. On remarque avec la mĂȘme surprise la profonde intelligence qu’il fait paraĂźtre de son art; et on admire qu’un esprit si fin ait Ă©tĂ© en mĂȘme temps si naturel. Userait superflu de s’arrĂȘter Ă  louer l'harmonie variĂ©e et lĂ©gĂšre de ses vers ; la grĂące, le tour, l’élĂ©gance, les charmes naĂŻfs de son style et de son badinage. Je remarquerai seulement que ie bon sens et la simplicitĂ© sont les caractĂšres dominants de ses Ă©crits. Il est bon d’opposer un tel exemple Ă  ceux qui cherchent la grĂące et le brillant hors de la raison et de la nature. La simplicitĂ© de La Fontaine donne de la grĂące Ă  son bon sens, et son bon sens rend sa simplicitĂ© piquante de sorte que le brillant de ses ouvrages naĂźt peut-ĂȘtre essentiellement de ces deux sources rĂ©unies. Rien n’empĂȘche au moins de le croire; car pourquoi le bon sens, qui est un don de la nature, n’en aurait-il pas l’agrĂ©ment ? La raison ne dĂ©plaĂźt, dans la plupart des hommes, que parce qu’elle leur est Ă©trangĂšre. Un bon sens naturel est presque insĂ©parable d’une grande simplicitĂ©; et une simplicitĂ© Ă©clairĂ©e est un charme que rien n’égale. Je ne donne pas ces louanges aux grĂąces d’un homme si sage pour dissimuler ses dĂ©fauts; je crois qu’on peut trouver dans 309 RÉFLEXIONS CRITIQUES. ses Ă©crits plus de style que d’invention, et plus de nĂ©gligence que d’exactitude. Le nƓud et le fond de ses contes ont peu d’intĂ©rĂȘt, et les sujets en sont bas. On y remarque quelquefois bien des longueurs, et un air de crapule qui ne saurait plaire. Ni cet auteur n’est parfait en ce genre, ni ce genre n’est assez noble. II. BOILEAU. Boileau prouve, autant par son exemple que par ses prĂ©ceptes, que toutes les beautĂ©s des bons ouvrages naissent de la vive expression et de la peinture du vrai; mais cette expression si touchante appartient moins Ă  la rĂ©flexion, sujette Ă  l’erreur, qu’à un sentiment trĂšs-intime et trĂšs-fidĂšle de la nature. La raison n’était pas distincte, dans Boileau, du sentiment c'Ă©tait son instinct. Aussi a-t-elle animĂ© ses Ă©crits de cet intĂ©rĂȘt qu’il est si rare de rencontrer dans les ouvrages didactiques. Cela met, je crois, dans son jour ce que je viens de toucher en parlant de La Fontaine. S’il n’est pas ordinaire de trouver de l’agrĂ©ment parmi ceux qui se piquent d’ĂȘtre raisonnables, c’est peut-ĂȘtre parce que la raison est entrĂ©e dans leur esprit, oĂč elle n’a qu’une vie artificielle et empruntĂ©e ; c’est parce qu’on honore trop souvent du nom de raison une certaine mĂ©diocritĂ© de sentiment et de gĂ©nie, qui assujettit les hommes aux lois de l’usage, et les dĂ©tourne des grandes hardiesses, sources ordinaires des grandes fautes. Boileau ne s’est pas contentĂ© de mettre de la vĂ©ritĂ© et de la poĂ©sie dans ses ouvrages, il a enseignĂ© son art aux autres. Il a Ă©clairĂ© tout son siĂšcle ; il en a banni le faux goĂ»t, autant qu’il est permis de le bannir chez les hommes. Il fallait qu’il fĂ»t nĂ© avec un gĂ©nie bien singulier, pour Ă©chapper, comme il a fait, aux mauvais exemples de ses contemporains, et pour leur imposer ses propres lois. Ceux qui bornent le mĂ©rite de sa poĂ©sie a l’art et Ă  l’exactitude de la versification ne font pas peut-ĂȘtre attention que ses vers sont pleins de pensĂ©es, de vivacitĂ©, de saillies, et mĂȘme d’invention de style. Admirable dans la jus- 310 VAV. v’ENARGUES tesse, dans la soliditĂ© et la nettetĂ© de ses idĂ©es, il a su conserver ces caractĂšres dans ses expressions, sans perdre de son feu et de sa force ce qui tĂ©moigne incontestablement un grand talent. Je sais bien que quelques personnes, dont l’autoritĂ© est respectable, ne nomment gĂ©nie dans les poĂštes que l’invention dans le dessein de leurs ouvrages. Ce n’est, disent-ils, ni l’harmonie, ni l’élĂ©gance des vers, ni l’imagination dans l’expression, ni mĂȘme l’expression du sentiment, qui caractĂ©risent le poĂšte ce sont, Ă  leur avis, les pensĂ©es mĂąles et hardies, jointes Ă  l’esprit crĂ©ateur. Par lĂ  on prouverait que Bossuet et Newton ont Ă©tĂ© les plus grands poĂštes de la terre ; car certainement l’invention, la hardiesse et les pensĂ©es mĂąles ne leur manquaient pas. J’ose leur rĂ©pondre que c’est confondre les limites des arts que d’en parler de la sorte. J’ajoute que les plus grands poĂštes de l’antiquitĂ©, tels qu’HomĂšre, Sophocle, Virgile, se trouveraient confondus avec une foule d’écrivains mĂ©diocres, si on ne jugeait d’eux que par le plan de leurs poĂšmes et par l’invention du dessein, et non par l’invention du style, par leur harmonie, par la chaleur de leur versification, et enfin par la vĂ©ritĂ© de leurs images. Si l’on est donc fondĂ© Ă  reprocher quelque dĂ©faut Ă  Boileau, ce n’est pas, Ă  ce qu’il me semble, le dĂ©faut de gĂ©nie. C’est au contraire d’avoir eu plus de gĂ©nie que d’étendue ou de profondeur d’esprit, plus de feu et de vĂ©ritĂ© que d’élĂ©vation et de dĂ©licatesse, plus de soliditĂ© et de sel dans la critique que de finesse ou de gaietĂ©, et plus d’agrĂ©ment que de grĂące on l’attaque encore sur quelques-uns de ses jugements, qui semblent injustes ; et je ne prĂ©tends pas qu’il fut infaillible. III. CHAULIEU. Chaulieu a su mĂȘler avec une simplicitĂ© noble et touchante i’esprit et le sentiment. Ses vers, nĂ©gligĂ©s mais faciles et remplis d’imagination, de vivacitĂ© et de grĂące, m’ont toujours paru supĂ©rieurs Ă  sa prose, qui n’est le plus souvent qu’ingĂ©nieuse. On REFLEXIONS CRITIQUES. 311 ne peut s’empĂȘcher de regretter qu’un auteur si aimable n’ait pas plus Ă©crit, et n’ait pas travaillĂ© avec le mĂȘme soin tous ses ouvrages. Quelque diffĂ©rence que l’on ait mise, avec beaucoup de raison, entre l’esprit et le gĂ©nie, il semble que le gĂ©nie de l’abbĂ© de Chaulieu ne soit essentiellement que beaucoup d’esprit naturel. Cependant il est remarquable que tout cet esprit n’a pu faire d’un poĂšte, d’ailleurs si aimable, un grand homme ni un grand gĂ©nie. IV. MOLIÈBE. MoliĂšre me paraĂźt un peu rĂ©prĂ©hensible d’avoir pris des sujets trop bas '. La BruyĂšre, animĂ© Ă  peu prĂšs du mĂȘme gĂ©nie, a peint avec la mĂȘme vĂ©ritĂ© et la mĂȘme vĂ©hĂ©mence que MoliĂšre les travers des hommes 1 * 3 ; mais je crois que l’on peut trouver plus d’éloquence et d’élĂ©vation dans ses peintures. On peut mettre encore ce poĂšte en parallĂšle avec Racine. L’un et l’autre ont parfaitement connu le cƓur de l’homme ; l’un et l’autre se sont attachĂ©s Ă  peindre la nature. Racine la saisit dans les passions des grandes Ăąmes; MoliĂšre, dans l’humeur et les 1 II semble que les Femmes Savantes , le Tartufe, le Misanthrope , ne sont pas assurĂ©ment des sujets bas ; la comĂ©die n’en peut guĂšre traiter de plus relevĂ©s. Pourquoi TAvare encore serait-il un sujet trop bas pour la comĂ©die ! Passe pour les Fourberies de Scapin, le MĂ©decin malgrĂ© lui, Sganarelle , et si l'on veut mĂȘme Georges Dandin, Mais e'est d’aprĂšs les chefs-d’Ɠuvre d’un grand homme qu’on doit juger de son gĂ©nie et en dĂ©terminer le caractĂšre. On sait d’ailleurs que MoliĂšre, forcĂ© d’abord de se conformer au goĂ»t de son siĂšcle pour en obtenir le droit de le ramener au sien, forcĂ© souvent de faire servir son travail au soutien de la troupe dont il Ă©tait le directeur* ne fut pas toujours le maĂźtre de choisir les sujets de ses comĂ©dies, ni d’en soigner l’exĂ©cution. S. 3 On ne peut pas dire que La BruyĂšre fĂ»t animĂ© du mĂȘme genre que MoliĂšre. Vauvenargues disait autrement dans la premiĂšre Ă©dition, toujours en donnant Ă  La BruyĂšre une sorte de supĂ©rioritĂ© aussi est-il plus facile de caractĂ©riser les hommes que de faire qu'ils se caractĂ©risent eux-mĂȘmes. On ne voit pas trop pourquoi il a retranchĂ© cette phrase, qui Ă©tait du moins une espĂšce de correctif. S. 312 vauvenargues. bizarreries des gens du commun '. L’un a jouĂ© avec un agrĂ©ment inexplicable les petits sujets ; l’autre a traitĂ© les grands avec une sagesse et une majestĂ© touchantes. MoliĂšre a ce bel avantage que ses dialogues jamais ne languissent une forte et continuelle imitation des mƓurs passionne ses moindres discours. Cependant, Ă  considĂ©rer simplement ces deux auteurs comme poĂštes, je crois qu’il ne serait pas juste d’en faire comparaison. Sans parler de la supĂ©rioritĂ© du genre sublime 2 donnĂ© Ă  Racine, on trouve dans MoliĂšre tant de nĂ©gligences et d’expressions bizarres et impropres, qu’il y a peu de poĂštes, si j’ose le dire, moins corrects et moins purs que lui. On peut se convaincre de ce que je dis en lisant le poĂšme du Eal-de-GrĂące, oĂč MoliĂšre n’est que poĂšte on n’est pas toujours satisfait. En pensant bien, il parle souvent mal, dit l’illustre archevĂȘque de Cambray ; il se sert des phrases les plus forcĂ©es et les moins naturelles. TĂ©rence dit en quatre mots, avec la plus Ă©lĂ©gante simplicitĂ©, ce que celui-ci ne dit qu'avec une multitude de mĂ©taphores qui approchent du galimatias. J'aime bien mieux sa prose que ses vers 3 , etc. Alceste n’est certainement pas un homme du commun; U y a peu de caractĂšres plus nobles. S. 2 Cette prĂ©fĂ©rence presque exclusive que donne Vauvenargues au genre sublime, et qui tenait Ă  son caractĂšre, explique son injustice envers MoliĂšre; injustice qui sans cela serait difficile Ă  concevoir dans un homme d’un esprit aussi juste et d’un goĂ»t gĂ©nĂ©ralement aussi sĂ»r que le sien. S. 3 Le jugement de FĂ©nelon sur MoliĂšre nous semble trop intĂ©ressant pour que dous puissions nous dispenser de le citer en entier * Il faut avouer que MoliĂšre est un grand poĂšte comique. Je ne crains pas de dire qu’il a enfoncĂ© plus avant que TĂ©rence dans certains caractĂšres; il a embrassĂ© une plus grande variĂ©tĂ© de sujets ; il a peint par des traits forts tout ce que nous voyons de dĂ©rĂ©glĂ© et de ridicule. TĂ©rence se borne Ă  reprĂ©senter des vieillards avares et ombrageux, des jeunes hommes prodigues et Ă©tourdis, des courtisanes avides et impudentes, des parasites bas et flatteurs, des esclaves imposteurs et scĂ©lĂ©rats. Ces caractĂšres mĂ©ritaient sans doute d’ĂȘtre traitĂ©s suivant les mƓurs des Grecs et des Romains. De plus, nous n'avons que six piĂšces de ce grand auteur. Mais enfin MoliĂšre a ouvert un chemin tout nouveau. Encore une fois, je le trouve grand; mais ne puis-je pas parler en toutn libertĂ© sur ses dĂ©fauts! En pensant bien, il parle souvent mal ; il se sert des phrases les plus forcĂ©es elles moins naturelles TĂ©rence dit en quatre mots, avec la plus Ă©lĂ©gante 313 RÉFLEXIONS CRITIQUES. Cependant l’opinion commune est qu’aucun des auteurs de notre théùtre n’a portĂ© aussi loin son genre que MoliĂšre a poussĂ© le sien; et la raison en est, je crois, qu’il est plus naturel que tous les autres 1 . C’est une leçon importante pour tous ceux qui veulent Ă©crire. simplicitĂ©, ce que celui-ci ne dit qu'avec une multitude de mĂ©taphores qui approchent du galimatias. J’aime bien mieux sa prose que ses vers, etc. Par exemple VAvare est moins mal Ă©crit que les piĂšces qui sont en vers. Il est vrai que la versification française I*a gĂȘnĂ© ; il est vrai mĂȘme qu’il a mieux rĂ©ussi pour les vers dans l* Amphitryon , oĂč U a pris la libertĂ© de faire des vers irrĂ©guliers. Mais en gĂ©nĂ©ral il me parait, jusque dans la prose, ne parler point assez simplement pour exprimer toutes les passions. D’ailleurs, il a outrĂ© souvent les caractĂšres ; il a voulu par cette libertĂ© plaire au parterre, frapper les spectateurs les moins dĂ©licats, et rendrez ridicule plus sensible. Mais, quoiqu’on doive marquer chaque passion dans son plus fort degrĂ© et par les traits les plus vifs, pour en mieux montrer l’excĂšs et la difformitĂ©, on n’a pas besoin de forcer la nature et d’abandonner le vraisemblable. Ainsi, malgrĂ© l’exemple de Plaute, oĂč nous lisons cedo tertiam, je soutiens, contre MoliĂšre, qu’un avare qui n’est point fou ne va jamais jusqu'Ă  vouloir regarder dans la troisiĂšme main de l'homme qu’il soupçonne de l’avoir volĂ©. * Un autre dĂ©faut de MoliĂšre, que beaucoup de gens d’esprit lui pardonnent , et que je n’ai garde de lui pardonner, est qu'il a donnĂ© un tour gracieux au vice, avec une austĂ©ritĂ© ridicule et odieuse Ă  la vertu. Je comprends que ses dĂ©fenseurs ne manqueront pas de dire qu’il a traitĂ© avec honneur la vraie probitĂ©, qu’il n’a attaquĂ© qu’une vertu chagrine et qu’une hypocrisie dĂ©testable; mais, sans entrer dans cette longue discussion, je soutiens que Platon et les autres lĂ©gislateurs de l’antiquitĂ© paĂŻenne n’auraient jamais admis dans leurs rĂ©publiques un tel jeu sur les mƓurs. Enfin, je ne puis m’empĂȘcher de croire, avec M. DesprĂ©aux, que MoliĂšre, qui peint avec tant de force et de beautĂ© les mƓurs de son pays, tombe trop bas quand il imite le badinage de la comĂ©die italienne * Ăź » Dans ce sac ridicule oĂč Scapin s’enveloppe Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope. Boileau, Art poĂ©tique , chant Ul. 1 Si MoliĂšre n’était que le plus naturel des auteurs dramatiques, il ne serait pas assurĂ©ment un des premiers ; car le naturel n’est un mĂ©rite que lĂ  oĂč la nature est bonne Ă  imiter. Mais MoliĂšre est celui qui a le mieux choisi, le plus approfondi, comme il est celui qui a le mieux peint, c’est-Ă -dire quia le mieux su donner Ă  ses personnages, non pas seulement les actions, les discours * OEuvres choisies de FĂ©nelon, t. If, p. 244; Lettre sur T Éloquence, § VU , in-8°; Paris, 1821. B. 18 VAUVENARGUES. i 1 V, VI. CORNEILLE ET RACINE. Je dois Ă  la lecture des ouvrages de M. de Voltaire le peu de connaissance que je puis avoir de la poĂ©sie. Je lui proposai mes idĂ©es lorsque j’eus envie de parler de Corneille et de Racine ; et il eut la bontĂ© de me marquer les endroits de Corneille qui mĂ©ritent le plus d’admiration pour rĂ©pondre Ă  une critique que appartenant Ă  tel caractĂšre, mais pour ainsi dire le maintien , la physionomie, tes traits Ce n’est pas un portrait, une image semblable C’est un amant, un fils, un pĂšre vĂ©ritable. Est-ce lĂ  ce que Vauvenargues a entendu par le plus naturel! En ce cas l’expression serait loin de rendre toute la pensĂ©e. B. C’est une chose digne d’ĂȘtre remarquĂ©e que ce fut Voltaire qui força en quelque sorte Vauvenargues Ă  admirer Corneille, dont celui-ci avoue lui- mĂȘme qu’il n’avait pas senti d’abord les beautĂ©s. On est meme Ă©tonnĂ©, en lisant ses lettres Ă  Voltaire, de son aveuglement Ă  cet Ă©gard, et de la singularitĂ© de ses opinions. Elles cĂ©dĂšrent Ă  l’autoritĂ© de Voltaire ; mais il n’en revint jamais bien entiĂšrement. On le voit dans ce parallĂšle moins occupĂ© Ă  caractĂ©riser Corneille et Racine, qu’à se justifier son extrĂȘme prĂ©dilection pour cc dernier, dont le genre de beautĂ©s Ă©tait plus conforme Ă  son caractĂšre. Corneille, Ă  qui il a Ă©tĂ© donnĂ©, comme dit Vauvenargues, de perdre les vertus ausleres , dures , inflexibles , devait produire bien moins d’effet que Racine sur l’ñme d’un homme tel que Vauvenargues, qui, naturellement doux et facile, mĂȘlant toujours l’indulgence aux sentiments les plus Ă©levĂ©s, tempĂ©rait encore par l’habitude d’une certaine Ă©lĂ©gance de mƓurs ce que la morale a de plus austĂšre. D’ailleurs, Ă  cette prĂ©fĂ©rence pour Racine se joignait encore pour Vauvenargues le sentiment de l’injustice qu’on faisait Ă  ce grand poĂšte, que gĂ©nĂ©ralement on plaçait encore au-dessous de Corneille. Vauve- nargups et Voltaire sont les premiers qui lui aient assignĂ© son vĂ©ritable rang, et ses admirateurs les plus vifs et les plus sincĂšres sont de l’école de Voltaire, qui ainsi dĂ©fendait Corneille contre Vauvenargues, et Racine contre les partisans exclusifs de Corneille. C’est surtout Ă  combattre ces derniers que s’attache Vauvenargues dans son parallĂšle de Corneille et de Racine, ce qui fait qu’il a dĂ» nĂ©cessairement relever davantage les beautĂ©s, alors moins senties, du dernier de ces poĂštes, et les dĂ©fauts, moins avouĂ©s, de l’autre. Si Von trouve dit-il Ă  la tin de cet article, en parlant des jugements qu’il a portĂ©s sur la plupart de nos grands Ă©crivains, si Von trouve que je relĂšve davantage les dĂ©fauts des uns que ceux des autres, je dĂ©clare que c’est Ă  cause que les uns me sont plus sensibles que les autres, ou pour Ă©viter de rĂ©pĂ©ter des choses gui sont trop connues. S. REFLEXIONS CRITIQUES. 3 lĂ  j’en avais faite. EngagĂ© par lĂ  Ă  relire ses meilleures tragĂ©dies, j’y trouvai sans peine les rares beautĂ©s que m’avait indiquĂ©es M. de Voltaire. Je ne m’y Ă©tais pas arrĂȘtĂ© en lisant autrefois Corneille, refroidi ou prĂ©venu par ses dĂ©fauts, et nĂ©, selon toute apparence, moins sensible au caractĂšre de ses perfections. Cette nouvelle lumiĂšre me fĂźt craindre de m’ĂȘtre trompĂ© encore sur Racine et sur les dĂ©fauts mĂȘme de Corneille mais, ayant relu l’un et l’autre avec quelque attention, je n’ai pas changĂ© de pensĂ©e Ă  cet Ă©gard ; et voici ce qu’il me semble de ces hommes illustres. Les hĂ©ros de Corneille disent souvent de grandes choses sans les inspirer; ceux de Racine, les inspirent sans les dire. Les uns parlent, et toujours trop, afin de se faire connaĂźtre; les autres se font connaĂźtre parce qu’ils parlent. Surtout Corneille paraĂźt ignorer que les grands hommes se caractĂ©risent souvent davantage par les chosesqu’ils ne disent pas que par celles qu’ils disent. Lorsque Racine veut peindre Acomat, Osmin l’assure de l'amour des janissaires; ce vizir rĂ©pond Quoi ! tu crois, cher Osmin, que ma gloire passĂ©e Flatte encor leur valeur, et vit dans leur pensĂ©e ? Crois-tu qu’ils me suivraient encore avec plaisir, Et qu’ils reconnaĂźtraient la voix de leur vizir? Bajazet, acte I, scĂšne i. On voit dans les deux premiers vers un gĂ©nĂ©ral disgraciĂ© que le souvenir de sa gloire et l’attachement des soldats attendrissent sensiblement; dans les deux derniers, un rebelle oui mĂ©dite quelque dessein voilĂ  comme il Ă©chappe aux hommes de se caractĂ©riser sans en avoir l’intention. On en trouverait dans Racine beaucoup d’exemples plus sensibles que celui-ci. On peut voir dans la mĂȘme tragĂ©die que lorsque Roxane, blessĂ©e des froideurs de Bajazet, en marque son Ă©tonnement Ă  Atalide, et que celle-ci proteste que ce prince l’aime, Roxane rĂ©pond brie vement U y va de sa vie au moins que je le croie. Bajazet, acte III, scĂšne vi. Ainsi cette sultane ne s’amuse point Ă  dire Je suis d’un caractĂšre fier et violent. J’aime avec jalousie et avec fureur. 316 VAUVE1N ARGUES. * Je ferai mourir Bajazet s’il me trahit. » Le poĂšte tait ces do tails, qu’on pĂ©nĂštre assez d’un coup d’Ɠil, et Roxane se trouvi caractĂ©risĂ©e avec plus de force. VoilĂ  la maniĂšre de peindre de Racine il est rare qu’il s’en Ă©carte; et j’en rapporterais de grands exemples si ses ouvrages Ă©taient moins connus. Il est vrai qu’il la quitte un peu, par exemple lorsqu’il met dans la bouche du mĂȘme Acomat Et s’il faut que je meure, Mourons moi, cher Osmin, comme un vizir; et toi, Comme le favori d’un homme tel que moi. Bojazei, acte IV, scĂšne vu. Ces paroles ne sont peut-ĂȘtre pas d’un grand homme; mais je les cite, parce qu’elles semblent imitĂ©es du style de Corneille ; c’est lĂ  ce que j’appelle, en quelque sorte, parler pour se faire connaĂźtre, et dire de grandes choses sans les inspirer. Mais Ă©coutons Corneille mĂȘme, et voyons de quelle maniĂšre il caractĂ©rise ses personnages. C’est le comte qui parle dans le Ciel Les exemples vivants sont d’un autre pouvoir; Un prince dans un livre apprend mal son devoir. Et qu’a fait, aprĂšs tout, ce grand nombre d’annĂ©es, Que ne puisse Ă©galer une de mes journĂ©es? Si vous fĂ»tes vaillant, je le suis aujourd'hui ; Et ce bras du royaume est le plus ferme appui. Grenade et l’Aragon tremblent quand ce fer brille ; Mon nom sert de rempart Ă  toute la Castille; Sans moi vous passeriez bientĂŽt sous d’autres lois, Et vous auriez bientĂŽt vos ennemis pour rois. Chaque jour, chaque instant, pour rehausser ma gloire, Met laurier sur laurier, victoire sur victoire. Le prince Ă  mes cĂŽtĂ©s ferait, dans les combats, L’essai de son courage Ă  l’ombre de mon bras; 11 apprendrait Ă  vaincre en me regardant faire, Et... Le Cid, acte 1, scĂšne vi. Il n’y a personne peut-ĂȘtre aujourd’hui qui ne sente la ridicule ostentation de ces paroles, et je crois qu’elles ont Ă©tĂ© citĂ©es longtemps avant moi. Il faut les pardonner au temps oĂč Corneille RÉFLEXIONS CRITIQUES 317 a Ă©crit, et aux mauvais exemples qui l'environnaient. Mais voici d’autres vers, qu’on loue encore, et qui, n’étaut pas aussi affectĂ©s, sont plus propres, par cet endroit mĂȘme, Ă  faire illusion. C’est CornĂ©lie, veuve de PompĂ©e, qui parle Ă  CĂ©sar CĂ©sar ; car le destin, que dans tes fers je brave, Me fait ta prisonniĂšre et non pas ton esclave, Et tu ne prĂ©tends pas qu’il m’abatte le cƓur Jusqu’à te rendre hommage et te nommer seigneur. De quelque rude trait qu’il m’ose avoir frappĂ©e, Veuve du jeune Crasse, et veuve de PompĂ©e, Fille de Scipion, et pour dire encor plus, Romaine, mon courage est encore au-dessus. Je le l’ai dĂ©jĂ  dit, CĂ©sar, je suis Romaine Et quoique ta captive , un cƓur comme le mien , De peur de s’oublier, ne te demande rien. Ordonne ; et, sans vouloir qu’il tremble ou s’humilie, Souvicns-toi seulement que je suis CornĂ©lie. PompĂ©e, acte III, scĂšne tv. Et dans un autre endroit, oĂč la mĂȘme CornĂ©lie parle de CĂ©sar, qui punit les meurtriers du grand PompĂ©e Tant d’intĂ©rĂȘts sont joints Ă  ceux de mon Ă©poux, Que je ne devrais rien Ă  ce qu’il fait pour nous, Si, comme par soi mĂȘme un grand cƓur juge un autre Je n’aimais mieux juger sa vertu par la nĂŽtre , Et croire que nous seuls armons ce combattant, Parce qu’au point qu’il est j’en voudrais faire autant. PompĂ©e , acte Y , srĂšne i. tl me paraĂźt , dit encore FĂ©nelon qu'on a donnĂ© souvent aux liomaius un discours trop fastueux.... Je ne trouve point de proportion entre P emphase avec laquelle Auguste parle dans la tragĂ©die de Cinna, et la modeste simplicitĂ© avec laquelle tSuĂ©tone le dĂ©peint dans tout le dĂ©tail de ses mƓurs. Tout ce que nous voyons dans Tite-Live, dans Plutarque, dans CicĂ©ron, ' ƒuvres choisies de FCuelon, Lettre sur VEloquence , tome U, S VI, l-iigu 238 et suivantes. Paris, 1821. B. VAUV EN ARGUËS. 318 dans SuĂ©tone, nous reprĂ©sente les Romains comme des hommes hautains dans leurs sentiments, mais simples, naturels et modestes dans leurs paroles, etc. Cette affectation de grandeur que nous leur prĂȘtons m’a toujours paru le principal dĂ©faut de notre théùtre et l’écueil ordinaire des poĂštes. Je n’ignore pas que la hauteur est en possession d’en imposer Ă  l’esprit humain-, mais rien ne dĂ©cĂšle plus parfaitement aux esprits fins une hauteur fausse et contrefaite, qu’un discours fastueux et emphatique. Il est aisĂ© d’ailleurs aux moindres poĂštes de mettre dans la bouche de leurs personnages des paroles GĂšres. Ce qui est difficile, c’est de leur faire tenir ce langage hautain avec vĂ©ritĂ© et Ă  propos. C’était le talent admirable de Racine, et celui qu’on a le moins remarquĂ© dans ce grand homme. Il y a toujours si peu d’affectation dans ses discours, qu’on ne s’aperçoit pas de la hauteur qu’on y rencontre. Ainsi, lorsque Agrippine, arrĂȘtĂ©e par l’ordre de NĂ©ron, et obligĂ©e de se justifier, commence par ces mots si simples Approchez-vous, NĂ©ron , et prenez votre place. On veut sur vos soupçons que je vous satisfasse. Bnlannicus, acte IV, scĂšne u. je ne crois pas que beaucoup de personnes fassentattention qu’elle commande en quelque maniĂšre Ă  l’empereur de s'approcher et de s’asseoir, elle qui Ă©tait rĂ©duite Ă  rendre compte de sa vie, non Ă  son fils, mais Ă  son maĂźtre. Si elle eĂ»t dit, comme CornĂ©lie NĂ©ron ; car le destin, que dans tes fers je brave, Me fait ta prisonniĂšre, et non pas ton esclave, Et tu ne prĂ©tends pas qu’il m’abatte le coeur Jusqu’à te rendre hommage et te nommer seigneur. alors je ne doute pas que bien des gens n’eussent applaudi Ă  ces paroles, et les eussent trouvĂ©es fort Ă©levĂ©es. Corneille est tombĂ© trop souvent dans ce dĂ©faut de prendre l’ostentation pour la hauteur, et la dĂ©clamation pour l’éloquence; et ceux qui se sont aperçus qu’il Ă©tait peu naturel Ă  beaucoup d’égards ont dit, pour le justifier, qu’il s’était attachĂ© Ă  peindre les hommes tels qu’ils devaient ĂȘtre. II est donc vrai du moins RÉFLEXIONS CRITIQUES. J10 qu’il ne les a pas peints tels qu’ils Ă©taient c’est un grand aveu que cela. Corneille a cru donner sans doute Ă  ses hĂ©ros un caractĂšre supĂ©rieur Ă  celui de la nature. Les peintres n’ont pas eu la mĂȘme prĂ©somption. Lorsqu’ils ont voulu peindre les anges, ils ont pris les traits de l’enfance ; ils ont rendu cet hommage Ă  la nature, leur riche modĂšle. C’était nĂ©anmoins un beau champ pour leur imagination; mais c’est qu’ils Ă©taient persuadĂ©s que l’imagination des hommes, d’ailleurs si fĂ©conde en chimĂšres, ne pouvait donner de la vie Ă  ses propres inventions. Si Corneille eĂ»t fait attention que tous les panĂ©gyriques Ă©taient froids, il en aurait trouvĂ© la cause en ce que les orateurs voulaient accommoder les hommes Ă  leurs idĂ©es, au lieu de former leurs idĂ©es sur les hommes. Mais l’erreur de Corneille ne me surprend point le hou goĂ»t n’est qu’un sentiment fin et fidĂšle de la belle nature, et n’appartient qu’à ceux qui ont l’esprit naturel. Corneille, nĂ© dans un siĂšcle plein d’affectation, ne pouvait avoir le goĂ»t juste aussi l’a-t-il fait paraĂźtre, non-seulement dans ses ouvrages, mais encore dans le choix de ses modĂšles, qu’il a pris chez les Espagnols et les Latins, auteurs pleins d’enflure, dont il a prĂ©fĂ©rĂ© la force gigantesque Ă  la simplicitĂ© plus noble et plus touchante des poĂštes grecs. De lĂ  ses antithĂšses affectĂ©es, ses nĂ©gligences basses, ses licences continuelles, son obscuritĂ©, son emphase, et enfin ces phrases synonymes, oĂč la mĂȘme pensĂ©e est plus remaniĂ©e que la division d’un sermon. De lĂ  encore ces disputes opiniĂątres qui refroidissent quelquefois les plus fortes scĂšnes, et oĂč l’on croit assister Ă  une thĂšse publique de philosophie, qui noue les choses pour les dĂ©nouer. Les premiers personnages de ses tragĂ©dies argumentent alors avec les tournures et les subtilitĂ©s de l’école, et s’amusent Ă  faire des jeux frivoles de raisonnements et de mots, comme des Ă©coliers ou des lĂ©gistes. C’est ainsi que Cinna dit Que le peuple aux tyrans ne soit plus exposĂ© S’il eĂ»t puni Sylla, CĂ©sar eĂ»t moins osĂ©. Cinna, acte II, scene u 320 VAUVENARGUES. Car il n’y a personne qui ne prĂ©vienne la rĂ©ponse de Maxime Mais la mort de CĂ©sar, que vous trouvez si juste, A servi de prĂ©texte aux cruautĂ©s d’Auguste. Voulant nous affranchir, lĂźrutes’est abusĂ©; S’il n’eĂ»t puni CĂ©sar, Auguste eĂ»t moins osĂ©. Cinna, acte II, scĂšne n. Cependant je suis moins choquĂ© de ees subtilitĂ©s que des gros siĂšretĂ©s de quelques scĂšnes. Par exemple, lorsque Horace quitte Curiace, c’est-Ă -dire dans un dialogue d’ailleurs admirable, Curiace parle ainsi d’abord Je vous connais encore, et c’est ce qui me lue. Mais cette Ăąpre vertu ne m’était point connue Comme notre malheur, elle est au plus haut point ; Souffrez que je l’admire et ne l’imite point. Horace, acte II, scĂšne tu. Horace, le hĂ©ros de cette tragĂ©die, lui rĂ©pond Non, non, n’embrassez pas de vertu par contrainte; Et puisque vous trouvez plus de charme Ă  la plainte, En toute libertĂ© goĂ»tez un bien si doux. Vaici venir ma soeur pour se plaindre avec vous. Horace , acte 11, scĂšne in. Ici Corneille veut peindre apparemment une valeur fĂ©roce ; mais la fĂ©rocitĂ© s’exprime-t-elle ainsi contre un ami et un rival modeste ? La fiertĂ© est une passion fort théùtrale ; mais elle dĂ©gĂ©nĂšre en vanitĂ© et en petitesse sitĂŽt qu’elle se montre sans qu’on la provoque. Me permettra-t-on de le dire? il me semble que l’idĂ©e des caractĂšres de Corneille est presque toujours assez grande; mais l’exĂ©cution en est quelquefois bien faible, et le coloris faux ou peu agrĂ©able. Quelques uns des caractĂšres de Racine peuvent bien manquer de grandeur dans le dessein ; mais les expressions sont toujours de main de maĂźtre, et puisĂ©es dans la vĂ©ritĂ© et la nature. J’ai cru remarquer encore qu’on ne trouvait guĂšre dans les personnages de Corneille de ces traits simples qui annoncent une grande Ă©tendue d'esprit. Ces traits se rencontrent en foule dans Roxane, dans Agrippine, Joad , Acomat, Athalie. REFLEXIONS CRITIQUES. SĂźl Je ne puis cacher ma pensĂ©e il Ă©tait donne Ă  Corneille de peindre des vertus austĂšres, dures et inflexibles ; mais il appartient Ă  Racine de caractĂ©riser les esprits supĂ©rieurs , et de les caractĂ©riser sans raisonnements et sans maximes, par la seule nĂ©cessitĂ© oĂč naissent les grands hommes d’imprimer leur caractĂšre dans leurs expressions. Joad ne se montre jamais avec plus d'avantage que lorsqu’il parle avec une simplicitĂ© ma jestueuse et tendre au petit Joas, et qu’il semble cacher tout son esprit pour se proportionner Ă  cet enfant; de mĂȘme Athalie. Corneille, au contraire , se guindĂ© souvent pour Ă©lever ses personnages ; et on est Ă©tonnĂ©que le mĂȘme pinceau ait caractĂ©risĂ© quelquefois l’hĂ©roĂŻsme avec des traits si naturels et si Ă©nergiques. Que dirai-je encore de la pesanteur qu’il donne quelquefois aux plus grands hommes ? Auguste, en parlant Ă  Cinna, fait d’abord un exorde de rhĂ©teur. Remarquez que je prends l’exemple de tous ses dĂ©fauts dans les scĂšnes les plus admirĂ©es. Prends un siĂšge, Cinna, prends, et sur toute chose Observe exactement la loi que je t’impose; PrĂȘte, sans me troubler, l’oreille Ă  mes discours; Êk 1 aucun mot, d’aucun cri n’en interromps le cours Tiens ta langue captive ; et si ce grand silence A ton Ă©motion fait trop de violence, Tu pourras me rĂ©pondre aprĂšs tout Ă  loisir Sur ce point seulement contente mon dĂ©sir. Cinna , ade V, scĂšne i. De combien la simplicitĂ© d’Agrippine, dans Ilritannicua, est elle plus noble et plus naturelle ! Approchez-vous, NĂ©ron, et prenez votre place. On veut sur vos soupçons que je vous satisfasse. Britannicus , acte IV, scĂšne n. Cependant, lorsqu’on fait le parallĂšle de ces deux poetes, il semble qu’on ue convienne de l’art de Racine que pour donner Ă  Corneille l’avantage du gĂ©nie. Qu’on emploie cette distinction pour marquer le caractĂšre d’un faiseur de phrases, je la trouverai raisonnable; mais lorsqu’on parle de l’art de Racine, l’art qui met toutes les choses Ă  leur place, qui caractĂ©rise les hommes , 322 VACVENAIÎCUES. leurs passions, leurs mƓurs, leur gĂ©nie; qui chasse les obscuritĂ©s, les superfluitĂ©s, les faux brillants; qui peint la nature avec feu, avec sublimitĂ© et avec grĂące, que peut-on penser d’un tel art, si ce n’est qu’il est le gĂ©nie des hommes extraordinaires et l'original mĂȘme de ces rĂšgles que les Ă©crivains sans gĂ©nie embrassent avec tant de zĂšle et avec si peu de succĂšs? Qu’est-ce, dans la Mort de CĂ©sar', que l’art des harangues d’Antoine, si ce n’est le gĂ©nie d’un esprit supĂ©rieur et celui de la vraie Ă©loquence ? C’est le dĂ©faut trop frĂ©quent de cet art qui gĂąte les plus beaux ouvrages de Corneille. Je ne dis pas que la plupart de ses tragĂ©dies ne soient trĂšs-bien imaginĂ©es et trĂšs-bien conduites. Je crois mĂȘme qu’il a connu mieux que personne l’art des situations et des contrastes. Mais l’art des expressions et l’art des vers, qu’il a si souvent nĂ©gligĂ©s ou pris Ă  faux , dĂ©parent ses autres beautĂ©s. Il paraĂźt avoir ignorĂ© que pour ĂȘtre lu avec plaisir, ou mĂȘme pour faire illusion Ă  tout le monde dans la reprĂ©sentation d’un poĂšme dramatique, il fallait, par une Ă©loquence continue, soutenir l’attention des spectateurs, qui se relĂąche et se rebute nĂ©cessairement quand les dĂ©tails sont nĂ©gligĂ©s. Il y a longtemps qu’on a dit que l’expression Ă©tait la principale partie de tout ouvrage Ă©crit en vers. C’est le sentiment des grands maĂźtres, qu’il n’est pas besoin de justifier. Chacun sait ce qu’on souffre, je ne dis pas Ă  lire de mauvais vers, mais mĂȘme Ă  entendre mal rĂ©citer un bon poĂšme. Si l’emphase d’un comĂ©dien dĂ©truit le charme naturel de la poĂ©sie, comment l’emphase mĂȘme du poĂšte ou l’impropriĂ©tĂ© de ses expressions ne dĂ©goĂ»teraient-elles pas les esprits justes de sa fiction et de ses idĂ©es ? Racine n’est pas sans dĂ©fauts. Il a mis quelquefois dans ses ouvrages un amour faible, qui fait languir son action. Il n’a pas conçu assez fortement la tragĂ©die. Il n’a point assez fait agir ses personnages. On ne remarque pas dans ses Ă©crits autant d’énergie que d’élĂ©vation, ni autant de hardiesse que d’égalitĂ©. Plus savant encore Ă  faire naĂźtre la pitiĂ© que la terreur, et l’admiration que l’étonnement, il n’a pu atteindre au tragique de quelques poĂštes. Nul homme n’a eu en partage tous les dons. Si d’ailleurs 1 TragĂ©die de Voltaire. REFnEXIOXS CRITIQUES. 323 on veut ĂȘtre juste, on avouera que personne ne donna jamais au théùtre plus de pompe, n’éleva plus haut la parole, et n’y versa plus de douceur. Qu’on examine ses ouvrages sans prĂ©vention quelle facilitĂ© ! quelle abondance! quelle poĂ©sie ! quelle imagination dans l’expression ! Qui crĂ©a jamais une langue ou plus magnifique, ou plus simple, ou plus variĂ©e, ou plus noble, ou plus harmonieuse et plus touchante ? Qui mit jamais autant de vĂ©ritĂ© dans ses dialogues, dans ses images , dans ses caractĂšres, dans l'expression des passions ? Serait-il trop hardi de dire que c’est le plus beau gĂ©nie que la France ait eu et le plus Ă©loquent de ses poĂštes? Corneille a trouvĂ© le théùtre vide, et a eu l’avantage de former le goĂ»t de son siĂšcle sur son caractĂšre. Racine a paru aprĂšs lui, et a partagĂ© les esprits. S’il eĂ»t Ă©tĂ© possible de changer cet ordre, peut ĂȘtre qu’on aurait jugĂ© de l’un et de l’autre fort diffĂ©remment. Oui, dit-on; mais Corneille est venu le premier, il a créé le théùtre. Je ne puis souscrire Ă  cela. Corneille avait de grands modĂšles parmi les anciens ; Racine ne l’a point suivi personne n’a pris une route, je ne dis pas plus diffĂ©rente, mais plus opposĂ©e ; personne n’est plus original Ă  meilleur titre. Si Corneille a droit de prĂ©tendre Ă  la gloire des inventeurs, on ne peut FĂȘter Ă  Racine. Mais si l’un et l’autre ont eu des maĂźtres, lequel a choisi les meilleurs et les a le mieux imitĂ©s ? On reproche Ă  Racine de n’avoir pas donne Ă  ses hĂ©ros le caractĂšre de leur siĂšcle et de leur nation ; mais les grands hommes sont de tous les Ăąges et de tous les pays. On rendrait le vicomte de Turenne et le cardinal de Richelieu mĂ©connaissables en leur donnant le caractĂšre de leur siĂšcle. Les Ăąmes vĂ©ritablement grandes ne sont telles que parce qu’elles se trouvent en quelque maniĂšre supĂ©rieures Ă  l’éducation et aux coutumes. Je sais qu’elles retiennent toujours quelque chose de l’une et de l’autre ; mais le poĂšte peut nĂ©gliger ces bagatelles, qui ne touchent pas plus au fond du caractĂšre que la coiffure et l’habit du comĂ©dien, pour ne s’attacher qu’à peindre vivement les traits d’une nature forte et Ă©clairĂ©e et ce gĂ©nie Ă©levĂ© qui appartient Ă©galement Ă  tous les peuples. Je ne vois point d’ailleurs que Racine ait manquĂ© Ă  ces 324 VAU VEN ARGUES. prĂ©tendues biensĂ©ances du théùtre. Ne parlons pas des tragĂ©dies faibles de ce poĂšte, Alexandre, la ThĂ©balde, BĂ©rĂ©nice, Esther, dans lesquelles on pourrait citer encore de grandes beautĂ©s. Ce n’est point par les essais d’un auteur, et par le plus petit nombre de ses ouvrages, qu’on doit en juger; mais par le plus grand nombre de ses ouvrages et par ses chefs-d’Ɠuvre. Qu’on observe cette rĂšgle avec Racine, et qu’on examine ensuite ses Ă©crits. Dira-t-on qu’Acomat, Roxane, Joad, Athalie, Mithridate, NĂ©ron, Agrippine, Burrhus, Narcisse, Clytemnestre, Agamem- non, etc., n’aient pas le caractĂšre de leur siĂšcle et celui que les historiens leur ont donnĂ©? Parce que Bajazet et XipharĂšs ressemblent Ă  Britannicus, parce qu’ils ont un caractĂšre faible pour le théùtre, quoique naturel, sera-t on fondĂ© Ă  prĂ©tendre que Racine n’ait pas su caractĂ©riser les hommes, lui dont le talent Ă©minent Ă©tait de les peindre avec vĂ©ritĂ© et avec noblesse ? Bajazet, XipharĂšs, Britannicus, caractĂšres si critiquĂ©s, ont la douceur et la dĂ©licatesse de nos mƓurs, qualitĂ©s qui ont pu se rencontrer chez d’autres hommes, et n’en ont pas le ridicule, comme on l’insinue. Mais je veux qu’ils soient plus faibles qu’ils ne me paraissent quelle tragĂ©die a-t-on vue oĂč tous les personnages fussent de la mĂȘme force ? Cela ne se peut Mathan et Abner sont peu considĂ©rables dans Athalie, et cela n’est pas un dĂ©faut, mais privation d’une beautĂ© plus achevĂ©e. Que voit-on d’ailleurs de plus suh’ime que toute cette tragĂ©die? Que reprocher donc Ă  Racine? d’avoir mis quelquefois dans ses ouvrages un amour faible, tel peut-ĂȘtre qu’il est dĂ©placĂ© au théùtre ? Je l’avoue ; mais ceux qui se fondent lĂ -dessus pour bannir de la scĂšne une passion si gĂ©nĂ©rale et si violente passent, ce me semble, dans un autre excĂšs. Les grands hommes sont grands dans leurs amours, et ne sont jamais plus aimables. 1 amour est le caractĂšre le plus tendre de l’humanitĂ©, et l'humanitĂ© est le charme et la perfection de la nature. .1 e reviens encore Ă  Corneille, afin de finir ce discours. Je crois qu’il a connu mieux que Racine le pouvoir des situations et des tragĂ©dies, toujours fort au-dessous, par l’expression, de celles de son rival, sont moins agrĂ©ables Ă  lire, RÉFLEXIONS CRI TIQUES. mais plus intĂ©ressantes quelquefois dans la reprĂ©sentation, soit par le choc des caractĂšres, soit par l’art des situations, soit par la grandeur des intĂ©rĂȘts. Moins intelligent que Racine, il concevait peut-ĂȘtre moins profondĂ©ment, mais plus fortement ses sujets. Il n’était ni si grand poĂšte ni si Ă©loquent ; mais il s’exprimait quelquefois avec uuegrande Ă©nergie. Personne n’a des traits plus Ă©levĂ©s et plus hardis ; personne n’a laissĂ© l’idĂ©e d’un dialogue si serrĂ© et si vĂ©hĂ©ment personne n’a peint avec le mĂȘme bonheur l’inflexibilitĂ© et la force d’esprit qui naissent de la vertu. De ces disputes mĂȘme que je lui reproche sortent quelquefois des Ă©clairs qui laissent l'esprit Ă©tonnĂ©, et des combats qui vĂ©ritablement Ă©lĂšvent l’ñme; et enfin, quoiqu’il lui arrive continuellement des’écarter de la nature, on est obligĂ© d’avouer qu’il la peint naĂŻvement et bien fortement dans quelques endroits ; et c’est uniquement dans ces morceaux naturels qu’il est admirable. VoilĂ  ce qu’il me semble qu’on peut dire sans partialitĂ© de ses talents. Mais lorsqu’on a rendu justice Ă  son gĂ©nie, qui a surmontĂ© si souvent le goĂ»t barbare de son siĂšcle, on ne peut s’empĂȘcher de rejeter, danssesouvrages, ce qu’ils retiennentde ce mauvais goĂ»t, et ce qui servirait Ă  le perpĂ©tuer dans les admirateurs trop passionnĂ©s de ce grand maĂźtre. Les gens du mĂ©tier sont plus indulgents que les autres Ă  ces defauts, parce qu’ils ne regardent qu’aux traits originaux de leurs modĂšles, et qu’ils connaissent mieux le prix de l’invention et du gĂ©nie. Mais le reste des hommes juge des ouvrages tels qu’ils sont, sans Ă©gard pour le temps et pour les auteurs et je crois qu’il serait Ă  dĂ©sirer que les gens de lettres voulussent bien sĂ©parer les dĂ©fauts des plus grands hommes de leurs perfections ; car si l’on confond leurs beautĂ©s avec leurs fautes par une admiration superstitieuse, il pourra bien arriver que les jeunes gens imiteront les dĂ©fauts de leurs maĂźtres, qui sont aisĂ©s Ă  imiter, et n’atteindront jamais Ă  leur gĂ©nie. Pour moi, quand je fais la critique de tant d’hommes illustres, mon objet est de prendre des idĂ©es plus justes de leur caractĂšre. Je ne crois pas qu’on puisse raisonnablement me reprocher cette hardiesse la nature a donnĂ© aux grands hommes de faire, et laissĂ© aux autres dĂ©juger. KXX1UES, . 19 326 VAUVENARGUES. Si l’on trouve que je relĂšve davantage les dĂ©fauts des uns que ceux des autres, je dĂ©clare que c’est Ă  cause que les uns me son plus sensibles que les autres, ou pour Ă©viter de rĂ©pĂ©ter des choses qui sont trop connues. Pour finir, et marquer chacun de ces poĂštes par ce qu’ils ont eu de plus propre, je dirai que Corneille a Ă©minemment la force, Boileau la justesse, La Fontaine la naĂŻvetĂ©, Chaulieu les grĂąces et l’ingĂ©nieux, MoliĂšre les saillies et la vive imitation des mƓurs, Racine la dignitĂ© et l’éloquence. Ils n’ont pas ces avantages Ă  l’exclusion les uns des autres ; ils les ont seulement dans un degrĂ© plus Ă©minent, avec une infinitĂ© d’autres perfections que chacun y peut remarquer. Vil. J. -B. HOUSSEAU. On ne peut disputer Ă  Rousseau d’avoir connu parfaitement la mĂ©canique des vers. Égal peut-ĂȘtre Ă  DesprĂ©aux par cet endroit, on pourrait le mettre Ă  cĂŽtĂ© de ce grand homme si celui-ci, nĂ© Ă  l’aurore du bon goĂ»t, n’avait Ă©tĂ© le maĂźtre de Rousseau et de tous les poĂštes de son siĂšcle. Ces deux excellents Ă©crivains se sont distinguĂ©s l’un et l’autre par l’art difficile de faire rĂ©gner dans les vers une extrĂȘme simplicitĂ©, par le talent d’y conserver le tour et le gĂ©nie de notre langue, et enfin par cette harmonie continue sans laquelle il n’y a point de vĂ©ritable poĂ©sie. On leur a reprochĂ©, Ă  la vĂ©ritĂ©, d’avoir manquĂ© de dĂ©licatesse et d’expression pour le sentiment. Ce dernier dĂ©faut me paraĂźt peu considĂ©rable dans DesprĂ©aux, parce que, s’étant attachĂ© uniquement Ă  peindre la raison, il lui suffisait de la peindre avec vivacitĂ© et avec feu, comme il a fait ; mais l’expression des passions ne lui Ă©tait pas nĂ©cessaire. Son Art poĂ©tique et quelques autres de ses ouvrages approchent de la perfection qui leur est propre, et on n’y regrette point la langue du sentiment, quoiqu’elle puisse entrer peut-ĂȘtre dans tous les genres et les embellir de ses charmes. RÉFLEXIOXS CRITIQUES. 327 Il n'est pas tout Ă  fait si facile de justifier Rousseau Ă  ce! Ă©gard. L’ode Ă©tant, comme il dit lui-mĂȘme, le vĂ©ritable champ du pathĂ©tique et du sublime , on voudrait toujours trouver dans les siennes ce haut caractĂšre ; mais, quoiqu’elles soient dessinĂ©es avec une grande noblesse, je ne sais si elles sont toutes assez passionnĂ©es. J’excepte quelques-unes des odes sacrĂ©es, dont le fonds appartient 5 de plus grands maĂźtres. Quant Ă  celles qu’il a tirĂ©es de son propre fonds, il me semble qu’en gĂ©nĂ©ral les fortes images qui les embellissent ne produisent pas de grands mouvements, et n’excitent ni la pitiĂ©, ni l’étonnement, ni la crainte, ni ce sombre saisissement que le vrai sublime fait naĂźtre. La marche impĂ©tueuse de l’ode n’est pas celle de l’esprit tranquille il faut donc qu’elle soit justifiĂ©e par un enthousiasme vĂ©ritable. Lorsqu’un auteur se jette de sang-froid dans ces Ă©carts qui n’appartiennent qu’aux grandes passions, il court risque de marcher seul; car le lecteur se lasse de ces transitions forcĂ©es, et de ces frĂ©quentes hardiesses que l’art s’efforce d’imiter du sentiment, et qu’il imite toujours sans succĂšs. Les endroits oĂč le poĂšte paraĂźt s’égarer devraient ĂȘtre, Ă  ce qu’il me semble, les plus passionnĂ©s de son ouvrage; il est mĂȘme d’autant plus nĂ©cessaire de mettre du sentiment dans nos odes, que ces petits poĂšmes sont ordinairement vides de pensĂ©es, et qu’un ouvrage vide dĂ©pensĂ©es sera toujours faible s’il n’est rempli de passion. Or, je ne crois pas qu’on puisse dire que les odes de Rousseau soient fort passionnĂ©es. Il est tombĂ© quelquefois dans le dĂ©faut de ces poĂštes qui semblent s’ĂȘtre proposĂ© dans leurs Ă©crits, non d’exprimer plus fortement par des images,des passions violentes, mais seulement d’assembler des images magnifiques, plus occupĂ©s de chercher de grandes figures que de faire naĂźtre dans leur Ăąme de grandes pensĂ©es. Les dĂ©fenseurs de Rousseau rĂ©pondent qu’il a surpassĂ© Horace et Pindare, auteurs illustres dans le mĂȘme genre et de plus rendus respectables par l’estime dont ils sont en possession depuis tant de siĂšcles. Si cela est ainsi, je ne m’étonne point que Rousseau ait emportĂ© tous les suffrages. On ne juge que par comparaison de toutes choses , et ceux gui font mieux que les autres dans leur genre 528 vauvenargues. passent toujours pour excellents, personne n’osant leur contester d’ĂȘtre dans le bon chemin. Il m’appartient moins qu’à tout .1 utre de dire que Rousseau n’a pu atteindre le but de son art; mais je crains bien que si on n’aspire pas Ă  faire de l’ode une imitation plus fidĂšle de la nature, ce genre ne demeure enseveli dans une espĂšce de mĂ©diocritĂ©. S’il m’est permis d’ĂȘtre sincĂšre jusqu’à la fin, j’avouerai que je trouve encore des pensĂ©es bien fausses dans les meilleures odes de Rousseau. Cette fameuse Ode Ă  la Fortune, qu’on regarde comme le triomphe de la raison, prĂ©sente, ce me semble, peu de rĂ©flexions qui ne soient plus Ă©blouissantes que solides. Écoutons ce poĂšte philosophe Quoi ! Rome et l’Italie en cendre Me feront honorer Sylla ? Non vraiment, U Italie en cendre ne peut faire honorer Sylla, mais ce qui doit, je crois, le faire respecter avec justice, c’est ce gĂ©nie supĂ©rieur et puissant qui vainquit le gĂ©nie de Rome, qui lui fit dĂ©fier dans sa vieillesse les ressentiments de ce mĂȘme peuple qu’il avait soumis, et qui suttoujours subjuguer, par les bienfaits ou par la force, le courage ailleurs indomptable de ses ennemis. Voyons ce qui suit J’admirerai dans Alexandre Ce que j’abhorre en Attila 1 * 3 ? Je ne sais quel Ă©tait le caractĂšre d’Attila ; mais je suis forcĂ© d’admirer les rares talents d’Alexandre, et cette hauteur de gĂ©nie qui, soit dans le gouvernement, soit dans la guerre, soit dans les sciences, soit mĂȘme dans sa vie privĂ©e, l’a toujours fait paraĂźtre comme un homme extraordinaire et qu’un instinct grand et sublime dispensait des moindres vertus ». Je veux rĂ©vĂ©rer un hĂ©ros qui parvenu au faĂźte des grandeurs humaines ne 1 U ne s’agit ici ni du gĂ©nie de Sylla ni des grandes qualitĂ©s d’Alexandre, mais des maux que leur ambition et leur exemple ont faits au monde ; et le poĂšte philosophe a pu sous ce rapport les comparer avec AtUla. B. 3 Pour dispensait des vertus d’un ordre moins relevĂ© , paraĂźt amphibologique. S. 329 REFLEXIONS CRITIQUES. dĂ©daignait pas l’amitiĂ©, qui dans cette haute fortune respectait encore le mĂ©rite; qui aima mieux s’exposer Ă  mourir que de soupçonner son mĂ©decin de quelque crime, et d’affliger par une dĂ©fiance qu’on n’aurait pas blĂąmĂ©e la fidĂ©litĂ© d’un sujet qu’il estimait; le maĂźtre le plus libĂ©ral qu’il y eut jamais, jusqu’à ne rĂ©server pour lui que Y espĂ©rance ; plus prompt Ă  rĂ©parer ses injustices qu’à les commettre, et plus pĂ©nĂ©trĂ© de ses fautes que de ses triomphes; nĂ© pour conquĂ©rir l’univers, parce qu’il Ă©tait digne de lui commander, et en quelque sorte excusable de s’ĂȘtre fait rendre les honneurs divins dans un temps oĂč toute la terre adorait des dieux moins aimables. Rousseau paraĂźt donc trop injuste lorsqu’il ose ajouter d’un si grand homme Mais Ă  la place de Socrate, Le fameux vainqueur de l’Euphrate Sera le dernier des mortels. Apparemment que Rousseau ne voulait Ă©pargner aucun conquĂ©rant; et voici comme il parle encore L’inexpĂ©rience indocile Du compagnon de Paul-Émile Fit tout le succĂšs d’Annibal. Combien toutes ces rĂ©flexions ne sont-elles pas superficielles! Qui ne sait que la science de la guerre consiste Ă  profiter des fautes de ses ennemis ? Qui ne sait qu’Annibal s’est montrĂ© aussi grand dans ses dĂ©faites que dans ses victoires ? S’il Ă©tait reçu de tous les poĂštes, comme il l’est du reste des hommes, qu’il n’y a rien de beau dans aucun genre que le vrai, et que les fictions mĂȘmes de la poĂ©sie n’ont Ă©tĂ© inventĂ©es que pour peindre plus vivement la vĂ©ritĂ©, que pourrait-on penser des invectives que je viens de rapporter? Serait-on trop sĂ©vĂšre de juger que l’Ode Ă  la Fortune n’est qu’une pompeuse dĂ©clamation et un tissu de lieux communs Ă©nergiquement exprimĂ©s ? Je ne dirai rien des allĂ©gories et de quelques autres ouvrages de Rousseau. Je n’oserais surtout juger d’aucun ouvrage allĂ©gorique , parce que c’est un genre que je n’aime pas ; mais je louerai volontiers ses Ă©pigrammes, oĂč l’on trouve toute la naĂŻvetĂ© deMarot avec une Ă©nergie que Marot n’avait pas. Je louerai des 330 VAUVKNARGUES. morceaux admirables dans ses Ă©pĂźtres, oĂč le gĂ©nie de ses Ă©pi grammes se fait singuliĂšrement apercevoir. Mais en admiran ces morceaux, si dignes de l’ĂȘtre, je ne puis m’empĂȘcher d’ĂȘtr choque de ia grossiĂšretĂ© insupportable qu’on remarque en d’autres endroits. Rousseau voulant dĂ©peindre, dans 1 ’Êpitre aux Muses, je ne sais quel mauvais poĂšte, il le compare Ă  un oison que la flatterie enhardit Ă  prĂ©fĂ©rer sa voix au chant du cygne. Un autre oison lui fait un long discours pour l’obliger Ă  chanter, et Rousseau continue ainsi A ce discours notre oiseau tout gaillard Perce le ciel de son cri nasillard ; Et tout d’abord, oubliant leur mangeaille, Vous eussiez vu canards, dindons, poulaille De toutes parts accourir, l’entourer, Battre de l’aile, applaudir, admirer, V anter la voix dont nature le doue, Et faire nargue au cygne de Mantoue. Le chant fini, le pindarĂźque oison, Se rengorgeant, rentre dans la maison Tout orgueilleux d’avoir, par son ramage. Du poulailler mĂ©ritĂ© le suffrage '. On ne nie pas qu’il n’y ait quelque force dans cette peinture ; mais combien en sont basses les images! La mĂȘme Ă©pĂźtre est remplie de choses qui ne sont ni plus agrĂ©ables ni plus dĂ©licates. C’est un dialogue avec les Muses, qui est plein de longueurs, dont les transitions sont forcĂ©es et trop ressemblantes; oĂč l’on trouve Ă  la vĂ©ritĂ© de grandes beautĂ©s de dĂ©tails, mais qui en rachĂštent Ă  peine les dĂ©fauts. J’ai choisi cette Ă©pĂźtre exprĂšs, ainsi que VOde Ă  la Fortune, afin qu’on ne m’accusĂąt pas de rapporter les ouvrages les plus faibles de Rousseau pour diminuer l’estime que l’on doit aux autres. Puis-je me flatter en cela d’avoir contentĂ© la dĂ©licatesse de tant de gens de goĂ»t et de gĂ©nie qui respectent tous les Ă©crits de ce poĂšte ? Quelque crainte que je ‱- Toute cette tirade est dirigĂ©e contre La Motte, dont les odes jouissaient du temps de J. B. Rousseau d'une rĂ©putation que la postĂ©ritĂ© n'a point confirmĂ©e. B. 331 RÉFLEXIONS CRITIQUES. doive avoir de me tromper en m’écartant de leur sentiment et de celui du public, je hasarderai eneore ici une rĂ©flexion. C’est que le vieux langage employĂ© par Rousseau dans ses meilleures Ă©pĂźtres ne me paraĂźt ni nĂ©cessaire pour Ă©crire naĂŻvement, ni assez noble pour la poĂ©sie. C’est Ă  ceux qui font profession eux- mĂȘmes de cet art Ă  prononcer lĂ -dessus je leur soumets sans rĂ©pugnance toutes les remarques que j’ai osĂ© faire sur les plus illustres Ă©crivains de notre langue. Personne n’est plus passionnĂ© que je ne le suis pour les vĂ©ritables beautĂ©s de leurs ouvrages, .le ne connais peut-ĂȘtre pas tout le mĂ©rite de Rousseau, mais je ne serai pas fĂąchĂ© qu’on me dĂ©trompe des dĂ©fauts que j’ai cru pouvoir lui reprocher 1 . On ne saurait trop honorer les grands talents d’un auteur dont la cĂ©lĂ©britĂ© a fait les disgrĂąces, comme c'est la coutume chez les hommes, et qui n’a pu jouir dans sa patrie de la rĂ©putation qu’il mĂ©ritait que lorsque, accablĂ© sous le poids de l’humiliation et de l’exil, la longueur de son infortune a dĂ©sarmĂ© la haine de ses ennemis et flĂ©chi l’injustice de l’envie. Vlll. QUINAULT. Ou ne peut trop aimer la douceur, la mollesse, la facilitĂ© et l’harmonie tendre et touchante de la poĂ©sie de Quinault. On peut mĂȘme estimer beaucoup l’art de quelques-uns de ses opĂ©ras, intĂ©ressants par le spectacle dont ils sont remplis, par l’invention ou la disposition des faits qui les composent, par le merveilleux qui y rĂšgne, et enfin par le pathĂ©tique des situations, qui donne lieu Ă  celui de la musique, et qui l’augmente nĂ©cessairement. Ni la grĂące, ni la noblesse, ni le naturel, n’ont manquĂ© Ă  l’auteur de ces poĂšmes singuliers. 11 y a presque toujours de la naĂŻvetĂ© dans son dialogue, et quelquefois du sentiment. Ses vers sont semĂ©s d’images charmantes et de pensĂ©es ingĂ©nieuses. On admirerait trop les fleurs dont il se pare s’il eĂ»t Ă©vitĂ© les dĂ©fauts ' fceorrect. ReconnaĂźtre quon s'esi trompĂ© en regardant comme un dĂ© faut ce oui n'en est pas un, ce n'est pas se dĂ©tromper des dĂ©fauts. M. 335 VAUVENARGUES. qui font languir quelquefois ses beaux ouvrages. Je n’aime pas les familiaritĂ©s qu’il a introduites dans ses tragĂ©dies je suis fĂąchĂ© qu’on trouve dans beaucoup de scĂšnes, qui sont faites pour inspirer la terreur et la pitiĂ©, des personnages qui, par le contraste de leurs discours avec les intĂ©rĂȘts des malheureux, rendent ces mĂȘmes scĂšnes ridicules et en dĂ©truisent tout le pathĂ©tique. Je ne puis m’empĂȘcher encore de trouver ses meilleurs opĂ©ras trop vides de choses, trop nĂ©gligĂ©s dans les dĂ©tails, trop fades mĂȘme dans bien des endroits. Enfin, je pense qu’on a dit de lui avec vĂ©ritĂ© qu’il n’avait fait qu’effleurer d’ordinaire les passions. Il me paraĂźt que Lulli a donnĂ© Ă  sa musique un caractĂšre supĂ©rieur Ă  la poĂ©sie de Quinault. Lulli s’est Ă©levĂ© souvent jusqu’au sublime par la grandeur et par le pathĂ©tique de ses expressions ; et Quinault n’a d’autre mĂ©rite Ă  cet Ă©gard que celui d’avoir fourni les situations et les canevas auxquels le musicien a fait recevoir la profonde empreinte de son gĂ©nie. Ce sont sans doute les dĂ©fauts de ce poĂšte et la faiblesse de ses premiers ouvrages qui ont fermĂ© les yeux de DesprĂ©aux sur son mĂ©rite ; mais DesprĂ©aux peut ĂȘtre excusable de n’avoir pas cru que l’opĂ©ra, théùtre plein d’irrĂ©gularitĂ©s et de licences, eĂ»t atteint en naissant sa perfection. Ne penserions-nous pas encore qu’il manque quelque chose Ă  ce spectacle, si les efforts inutiles de tant d’auteurs renommĂ©s ne nous avaient fait supposer que le dĂ©faut de ces poĂšmes Ă©tait peut-ĂȘtre un vice irrĂ©parable ? Cependant je conçois sans peine qu’on ait fait Ă  DesprĂ©aux un grand reproche de sa sĂ©vĂ©ritĂ© trop opiniĂątre 1 . Avec des talents si aimables que ceux de Quinault, et la gloire qu’il a d’ĂȘtre l’inventeur de son genre, on ne saurait ĂȘtre surpris qu’il ait des partisans trĂšs-passionnĂ©s, qui pensent qu’on doit respecter ses dĂ©fauts mĂȘme. Mais cette excessive indulgence de ses admirateurs me fait comprendre encore l’extrĂȘme rigueur de ses critiques. Je vois qu’il n’est point dans le caractĂšre des hommes de 1 Boileau a cependant dit lui-mĂȘme, dans la prĂ©face de la derniĂšre Ă©dition 1e ses ƒuvres, que dans le temps oĂč il Ă©crivit contre Quinault tous deux ‱taient fort jeunes, et Quinault n’avait pas fait alors beaucoup d’ouvrages qui uiont acquis dans la suite une juste rĂ©putation. Ce sont les expressions doni 1 se sert. F. 333 RÉFLEXIONS CRITIQUES. juger du mĂ©rite d’un autre homme par l’ensemble de ses qualitĂ©s on envisage sous divers aspects le gĂ©nie d’un auteur illustre; on le mĂ©prise ou l’admire avec une Ă©gale apparence de raison, selon les choses que l’on considĂšre en ses ouvrages. Les beautĂ©s que Quinault a imaginĂ©es demandent grĂące pour ses dĂ©fauts; mais j’avoue que je voudrais bien qu’on se dispensĂąt de copier jusqu’à ses fautes. Je suis fĂąchĂ© qu’on dĂ©sespĂšre de mettre plus de passion, plus de conduite, plus de raison et plus de force dans nos opĂ©ras, que leur inventeur n’y en a mis. J’aimerais qu’on en retranchĂąt le nombre excessif des refrains qui s’y rencontrent, qu’on ne refroidĂźt pas les tragĂ©dies par des puĂ©rilitĂ©s, et qu’on n’en fit pas des paroles pour le musicien, entiĂšrement vides de sens. Les divers morceaux qu’on admire dans Quinault prouvent qu’il y a peu de beautĂ©s incompatibles avec la musique; et que c’est la faiblesse des poĂštes ou celle du genre qui fait languir tant d’opĂ©ras, faits Ă  la hĂąte et aussi mal Ă©crits qu’ils sont frivoles. IX. SUR QUELQUES OUVRAGES DE VOLTAIRE. AprĂšs avoir parlĂ© de Rousseau et des plus grands poĂštes du siĂšcle passĂ©, je crois que ce peut ĂȘtre ici la place de dire quelque chose des ouvrages d’un homme qui honore notre siĂšcle, et qui n’est ni moins grand ni moins cĂ©lĂšbre que tous ceux qui l’ont prĂ©cĂ©dĂ©, quoique sa gloire , plus prĂšs de nos yeux, soit plus exposĂ©e Ă  l’envie. Il ne m’appartient pas de faire une critique raisonnĂ©e de tous ses Ă©crits, qui passent de bien loin mes connaissances et la faible Ă©tendue de mes lumiĂšres; ce soin me convient d’autant moins, qu’une infinitĂ© d’hommes plus instruits que moi ont dĂ©jĂ  fixĂ© les idĂ©es qu’on doit en avoir. Ainsi je ne parlerai pas de la Hen- riade, qui, malgrĂ© les dĂ©fauts qu’on lui impute, et ceux qui y sont en effet, passe nĂ©anmoins, sans contestation, pour le plus grand ouvrage de ce siĂšcle, et le seul poĂšme en ce genre de notre nation. VAUVEN ARGUES. 33 i Je dirai peu de chose encore de ses tragĂ©dies comme il n’y en a aucune qu’on ne joue au moins une fois chaque annĂ©e, tous ceux qui ont quelque Ă©tincelle de bon goĂ»t peuvent y remarquer d’eux-mĂȘmes le caractĂšre original de l’auteur, les grandes pensĂ©es qui y rĂ©gnent, les morceaux Ă©clatants de poĂ©sie qui les embellissent, la maniĂšre forte dont les passions y sont ordinairement traitĂ©es, et les traits hardis et sublimes dont elles sont pleines. Je ne m’arrĂȘterai donc pas Ă  faire remarquer dans Mahomet cette expression grande et tragique du genre terrible, qu’on croyait Ă©puisĂ©e par l’auteur Ă 'Electre 1 . Je ne parlerai pas de la tendresse rĂ©pandue dans ZaĂŻre, ni du caractĂšre théùtral des passions violentes d’HĂ©rode 5 , ni de la singuliĂšre et noble nouveautĂ© Ă 'Mzire, ni des Ă©loquentes harangues qu’on voit dans la Mort de CĂ©sar, ni enfin de tant d’autres piĂšces, toutes diffĂ©rentes , qui font admirer le gĂ©nie et la fĂ©conditĂ© de leur auteur. Mais parce que la tragĂ©die de MĂ©rope me paraĂźt encore mieux Ă©crite, plus touchante et plus naturelle que les autres, je n’hĂ©siterai pas Ă  lui donner la prĂ©fĂ©rence. J’admire les grands caractĂšres qui y sont dĂ©crits, le vrai qui rĂšgne dans les sentiments et les expressions, la simplicitĂ© sublime, et tout Ă  fait nouvelle sur notre théùtre, du rĂŽle d’Égisthe ; la tendresse impĂ©tueuse de MĂ©rope, ses discours coupĂ©s, vĂ©hĂ©ments, et tantĂŽt remplis de violence, tantĂŽt de hauteur. Je ne suis pas assez tranquille Ă  une piĂšce qui produit de si grands mouvements, pour examiner si les rĂšgles et les vraisemblances sĂ©vĂšres n’y sont pas blessĂ©es. La piĂšce me serre le cƓur dĂšs le commencement, et me mĂšne jusqu’à la catastrophe sans me laisser la libertĂ© de respirer. S’il y a donc quelqu’un qui prĂ©tende que la conduite de l’ouvrage est peu rĂ©guliĂšre, et qui pense qu’en gĂ©nĂ©ral M. de Voltaire n’est pas heureux dans la fiction ou dans le tissu de ses iĂšces ; sans entrer dans cette question, trop longue Ă  discuter, e me contenterai de lui rĂ©pondre que ce mĂȘme dĂ©faut dont on accuse M. de Voltaire a Ă©tĂ© reprochĂ© trĂšs-justement Ă  plusieurs piĂšces excellentes, sans leur faire tort. Les dĂ©noĂ»ments de Mo- 1 VÊlectre de Voltaire, et non celle de CrĂ©billon. 1 Dans la tragĂ©die de Marianne. B. REFLEXIONS CRITIQUES. 335 liĂšre sont peu estimĂ©s, et le Misanthrope, qui est le chef-d’Ɠuvre de la comĂ©die, est une comĂ©die sans action. Mais c’est le privilĂšge des hommes comme MoliĂšre et M. de Voltaire d'ĂȘtre admirables malgrĂ© leurs dĂ©fauts, et souvent dans leurs dĂ©fauts mĂȘmes. La maniĂšre dont quelques personnes, d’ailleurs Ă©clairĂ©es, parlent aujourd’hui de la poĂ©sie me surprend beaucoup. Ce n’est pas, disent-ils, la beautĂ© des vers et des images qui caractĂ©rise le poĂšte, ce sont les pensĂ©es mĂąles et hardies ; ce n’est pas l’expression du sentiment et de l’harmonie, c’est l’invention. Par lĂ  on prouverait que Bossuet et Newton ont Ă©tĂ© les plus grands poĂštes de leur siĂšcle ; car assurĂ©ment l’invention, la hardiesse et les pensĂ©es mĂąles ne leur manquaient point. Reprenons MĂ©rope. Ce que j’admire encore dans cette tragĂ©die , c’est que les personnages y disent toujours ce qu’ils doivent dire, et sont grands sans affectation. Il faut lire la seconde scĂšne du second acte pour comprendre ce que je dis. Qu’on me permette d’en citer la fin , quoiqu’on pĂ»t trouver dans la mĂȘme piĂšce de plus beaux endroits. ÉCISTIIE. Un vain dĂ©sir de gloire a sĂ©duit mes esprits. On me parlait souvent des troubles de MessĂšne Des malheurs dont le ciel avait frappĂ© la reine, Surtout de ses vertus, dignes d’un autre prix Je me sentais Ă©mu par ces tristes rĂ©cits. De l’Élide en secret dĂ©daignant la mollesse, J’ai voulu dans la guerre exercer ma jeunesse, Servir sous vos drapeaux, et vous offrir mon bras VoilĂ  le seul dessein qui conduisit mes pas. Ce faux instinct de gloire Ă©gara mon courage A mes parents, flĂ©tris par les rides de l’ñge, J’ai de mes jeunes ans dĂ©robĂ© les secours ; C’est ma premiĂšre faute, elle a troublĂ© mes jours. Le ciel m’en a puni ; le ciel inexorable M’a conduit dans le piĂšge, et m’a rendu coupable. MÉROPE. 11 ne l’est point, j’en crois son ingĂ©nuitĂ©; Le mensonge n’a point cette simplicitĂ©. 336 VACYlCNAKĂŒCliS. Tendons Ă  sa jeunesse une main bienfaisante; C’est un infortunĂ© que le ciel me prĂ©sente Il suffit qu’il soit bomme et qu’il soit malheureux. Mon fils peut Ă©prouver un sort plus rigoureux. Il me rappelle Égisthe, Égisthe est de son Ăąge ; Peut-ĂȘtre comme lui, de rivage en rivage, Inconnu, fugitif, et partout rebutĂ©, 11 souffre le mĂ©pris qui suit la pauvretĂ©. L’opprobre avilit l’ñme et flĂ©trit le courage. MĂ©rope, acte II, scĂšne ir. Cette derniĂšre rĂ©flexion de MĂ©rope est bien naturelle et bien sublime. Une mĂšre aurait pu ĂȘtre touchĂ©e de toute autre crainte dans une telle calamitĂ©; et nĂ©anmoins MĂ©rope paraĂźt pĂ©nĂ©trĂ©e de ce sentiment. VoilĂ  comme les sentences sont grandes dans la tragĂ©die, et comme il faudrait toujours les y placer. C’est, je crois , cette sorte de grandeur qui est propre Ă  Racine, et que tant de poĂštes aprĂšs lui ont nĂ©gligĂ©e, ou parce qu’ils ne la connaissaient pas, ou parce qu’il leur a Ă©tĂ© bien plus facile de dire des choses guindĂ©es, et d’exagĂ©rer la nature. Aujourd’hui on croit avoir fait un caractĂšre lorsqu’on a mis dans la bouche d’un personnage ce qu’on veut faire penser de lui, et qui est prĂ©cisĂ©ment ce qu’il doit taire. Une mĂšre affligĂ©e dit qu’elle est affligĂ©e, et un hĂ©ros dit qu'il est un hĂ©ros. Il faudrait que les personnages fissent penser tout cela d’eux, et que rarement ils le dissent ; mais, tout au contraire, ils le disent, et le fopt rarement penser. Le grand Corneille n’a pas Ă©tĂ© exempt de ce dĂ©faut, et cela a gĂątĂ© tous ses caractĂšres. Car enfin ce qui forme un caractĂšre , ce n’est pas, je crois, quelques traits, ou hardis, ou forts, ou sublimes, c’est l’ensemble de tous les traits et des moindres discours d’un personnage. Si on fait parler un hĂ©ros, qui mĂȘle partout de l’ostentation, de la vanitĂ©, et des choses basses Ă  de grandes choses, j’admire ces traits de grandeur qui appartiennent au poĂšte, mais je sens du mĂ©pris pour son hĂ©ros, dont le caractĂšre est manquĂ©. L’éloquent Racine, qu’on accuse de stĂ©ril itĂ© dans ses caractĂšres, est le seul de son temps qui ait fait des caractĂšres ; et ceux qui admirent la variĂ©tĂ© du grand Corneille sont bien indulgents de lui pardonner l’invariable ostentation de ses per- REFLEXIONS CRITIQUES 337 sonnages, et le caractĂšre toujours dur des vertus qu’il a .ta dĂ©crire. C’est pourquoi quand M. de Voltaire a critiquĂ© 1 les caractĂšres d’Hippolyte, Bajazet, XipharĂšs, Britannicus, il n’a pas prĂ©tendu, je crois, diminuer l’estime de ceux d’Athalie, Joad, Acomat, Agrippine, NĂ©ron, Burrhus, Mithridate, etc. Mais, puisque cela me conduit Ă  parler du Temple du GoĂ»t , je suis bien aise d’avoir occasion de dire que j’en estime grandement les dĂ©cisions. J’excepte ces mots Bossuet, le seul Ă©loquent entre tant d’écrivains qui ne sont qu’élĂ©gants 2 car je ne crois pas que M. de Voltaire lui-mĂȘme voulĂ»t sĂ©rieusement rĂ©duire Ă  ce petit mĂ©rite d’élĂ©gance les ouvrages de M. Pascal, l’homme de la terre qui savait mettre la vĂ©ritĂ© dans un plus beau jour et raisonner avec plus de force. Je prends la libertĂ© de dĂ©fendre encore contre son autoritĂ© le vertueux auteur de TĂ©lĂ©maque, homme nĂ© vĂ©ritablement pour enseigner aux rois l’humanitĂ©, dont les paroles tendres et persuasives pĂ©nĂštrent le cƓur, et qui, par la noblesse et par la vĂ©ritĂ© de ses peintures, par les grĂąces touchantes de son style, se fait aisĂ©ment pardonner d’avoir employĂ© trop souvent les lieux communs de la poĂ©sie et un peu de dĂ©clamation. 1 Dans son Temple du GoĂ»t , Voltaire, aprĂšs avoir parlĂ© de Pierre Corneille, s’exprime ainsi sur Racine Plus pur, plus Ă©lĂ©gant, plus tendre, Et parlant au cƓur de plus prĂšs, Nbus attachant sans nous surprendre, Et ne se dĂ©mentant jamais, Racine observe les portraits De Bajazet, de XipharĂšs, De Britannicus, d’Hippolyte. A peine il distingue leurs traits; lis ont tons le mĂȘme mĂ©rite Tendres, galants, doux et discrets; Et l’Amour, qui marche Ă  leur suite, Les croit des courtisans français. ; Dans l’édition faite sous les yeux de Voltaire, Ă  GenĂšve, en 1768, etdaus les rĂ©impressions faites depuis sa mort, cette phrase ne se trouve point ; et le Temple du GoĂ»t s’exprime ainsi sur l’évĂȘque de Meaux L'Ă©loquent Bossuet voulait bien rayer quelques familiaritĂ©s Ă©chappĂ©es Ă  son gĂ©nie vaste , impĂ©tueux et facile, lesquelles dĂ©parent un peu la sublimitĂ© de ses orai - tons funĂšbres. 338 VAUVENARGUES. Mais, quoi qu’il puisse ĂȘtre de cette trop grande partialitĂ© de M. de Voltaire pour Bossuet, que je respecte d’ailleurs plus que personne, je dĂ©clare que tout le reste du Temple du GoĂ»t m’a frappĂ© par la vĂ©ritĂ© des jugements, par la vivacitĂ©, la variĂ©tĂ© et le tour aimable du style ; et je ne puis comprendre que l’on juge si sĂ©vĂšrement d’un ouvrage si peu sĂ©rieux, et qui est un modĂšle d’agrĂ©ments. Dans un genre assez diffĂ©rent, YÉpitre aux mĂąnes de GĂ©nonville et celle sur la mort de mademoiselle Lecouvreur m’ont paru deux morceaux remplis de charmes, et oĂč la douleur, l’amitiĂ©, l’éloquence et la poĂ©sie parlaient avec la grĂące la plus ingĂ©nue et la simplicitĂ© la plus touchante. J’estime plus deux petites piĂšces faites de gĂ©nie, comme celles-ci, et qui ne respirent que la passion, que beaucoup d’assez longs poĂšmes. Je finirai sur les ouvrages de M. de Voltaire en disant quelque chose de sa prose. Il n’y a guĂšre de mĂ©rite essentiel qu’on ne puisse trouver dans ses Ă©crits. Si l’on est bien aise de voir toute la politesse de notre siĂšcle, avec un grand art pour faire sentir la vĂ©ritĂ© dans les choses de goĂ»t, on n’a qu’à lire la prĂ©face d'OEdipe, Ă©crite contre M. de La Motte avec une dĂ©licatesse inimitable. Si on cherche du sentiment, de l’harmonie jointe Ă  une noblesse singuliĂšre, on peut jeter les yeux sur la prĂ©face Ă 'Jlzire, et sur YÉpĂźtre Ă  madame la marquise du ChĂątelet. Si on souhaite une littĂ©rature universelle, un goĂ»t Ă©tendu , qui embrasse le caractĂšre de plusieurs nations, et qui peigne les maniĂšres diffĂ©rentes des plus grands poĂštes, on trouvera cela dans les RĂ©flexions sur tes voĂ«tes Ă©piques, et les divers morceaux traduits par M. de Voltaire des poĂštes anglais, d’une maniĂšre qui passe peut-ĂȘtre les originaux. Je ne parle pas de Y Histoire de Charles XII, qui, par la faiblesse des critiques que l’on a faites, a dĂ» acquĂ©rir une autoritĂ© incontestable, et qui me paraĂźt ĂȘtre Ă©crite avec une force, une prĂ©cision et des images dignes d’un tel peintre. Mais quand ou n’aurait vu de M. de Voltaire que son Essai sur le SiĂšcle de Louis XIV et ses RĂ©flexions sur C Histoire, ce serait dĂ©jĂ  trop 1 pour reconnaĂźtre 1 Trop emporte toujours l'idĂ©e d’excĂšs, et l'auteur ne veut exprimer ici que surabondance. S. REFLEXIONS CRITIQUES. 339 en lui, non-seulement un Ă©crivain du premier ordre, mais encore un gĂ©nie sublime, qui voit tout en grand, une vaste imagination, qui rapproche de loin les choses humaines, enfin uĂŒ esprit supĂ©rieur aux prĂ©jugĂ©s, et qui joint Ă  la politesse et Ă  l’esprit philosophique de son siĂšcle la connaissance des siĂšcles passĂ©s, de leurs moeurs, de leur politique, de leurs religions, et de toute l’économie du genre humain. Si pourtant il se trouve encore des gens prĂ©venus, qui s’attachent Ă  relever ou les erreurs ou les dĂ©fauts de ses ouvrages, et qui demandent Ă  un homme si universel la mĂȘme correction et la mĂȘme justesse qu’à ceux qui se sont renfermĂ©s dans un seul genre, et souvent dans un genre assez petit, que peut-on rĂ©pondre Ă  des critiques si peu raisonnables ? J’espĂšre que le petit nombre des juges dĂ©sintĂ©ressĂ©s me saura du moins quelque grĂ© d’avoir osĂ© dire les choses que j’ai dites, parce que je les ai pensĂ©es, et que la vĂ©ritĂ© m’a Ă©tĂ© chĂšre. C’est le tĂ©moignage que l’amour des lettres m’oblige de rendre Ă  un homme qui n’est ni en place, ni puissant, ni favorisĂ©, et auquel je ne dois que la justice que tous les hommes lui doivent comme moi et que l’ignorance ou l’envie s’efforcent inutilement de lui ravir. FRAGMENTS. BOSSUET. — PASCAL. — FÉNELON. Qui n’admire la majestĂ©, la pompe, la magnificence, l’enthousiasme de Bossuet, et la vaste Ă©tendue de ce gĂ©nie impĂ©tueux, fĂ©cond, sublime? Qui conçoit sans Ă©tonnement la profondeur incroyable de Pascal, son raisonnement invincible, sa mĂ©moire surnaturelle, sa connaissance universelle et prĂ©maturĂ©e? Le premier Ă©lĂšve l’esprit, l’autre le confond et le trouble. L’an Ă©clate comme un tonnerre dans un tourbillon orageux, et par ses soudaines hardiesses Ă©chappe aux gĂ©nies trop timides; l’autre presse, Ă©tonne, illumine, fait sentir despotiquement l’ascendant de la vĂ©ritĂ©; et, comme si c’était un ĂȘtre d’une autre nature que nous, sa vive intelligence explique toutes les conditions, toutes les affections qt toutes les pensĂ©es des hommes, et paraĂźt toujours supĂ©rieure Ă  leurs conceptions incertaines. GĂ©nie simple et puissant, ilassemble des choses qu’on croyait ĂȘtre incompatibles, la vĂ©hĂ©mence, l’enthousiasme, la naĂŻvetĂ©, avec les profondeurs les plus cachĂ©es de l’art; mais d’un art qui, bien loin de gĂȘner la nature, n’est lui-mĂȘme qu’une nature plus parfaite et l’original des prĂ©ceptes. Que dirai-je encore ? Bossuet fait voir plus de fĂ©conditĂ©, et Pascal a plus d’invention ; Bossuet est plus impĂ©tueux, et Pascal plus transcendant l’un excite l’admiration par de plus frĂ©quentes saillies; l’autre, toujours plein et solide, l’épuise par un caractĂšre plus concis et plus soutenu. Mais toi 1 qui les as surpassĂ©s en amĂ©nitĂ©s et en grĂąces, ombre illustre, aimable gĂ©nie; toi qui fis rĂ©gner la vertu par Fonction et par la douceur, pourrais-je oublier la noblesse et le charme de ta parole, lorsqu’il est question d’éloquence? NĂ© pour cul- 1 FĂ©nelon. FRAGMENTS. 341 tiver la sagesse et l’humanitĂ© dans les rois, ta voix ingĂ©nue fit retentir au pied du trĂŽne les calamitĂ©s du genre humain foulĂ© par les tyrans, et dĂ©fendit contre les artifices de la flatterie la cause abandonnĂ©e des peuples. Quelle bontĂ© de cƓur, quelle sincĂ©ritĂ© se remarque dans tes Ă©crits ! Quel Ă©clat de paroles et d’images ! Qui sema jamais tant de fleurs dans un style si naturel, si mĂ©lodieux et si tendre? Qui orna jamais la raison d’une si touchante parure? Ah ! que de trĂ©sors, d’abondance, dans ta riche simplicitĂ©! O noms consacrĂ©s par l’amour et par les respects de tous ceux qui chĂ©rissent l’honneur des lettres! restaurateurs des arts, pĂšres de l’éloquence, lumiĂšres de l’esprit humain, que n’ai-je un rayon du gĂ©nie qui Ă©chauffĂą*vos profondsdiscours, pour vous expliquer dignement et marquer tous les traits qui vous ont Ă©tĂ© propres ! Si l’on pouvait mĂȘler des talents si divers, peut-ĂȘtre qu’on voudrait penser comme Pascal, Ă©crire comme Bossuet, parler comme FĂ©nelon. Mais parce quela diffĂ©rence de leur style venait de la diffĂ©rence de leurs pensĂ©es et de leur maniĂšre de sentir les choses, ils perdraient beaucoup tous les trois si l’on voulait rendre les pensĂ©es de l’un par les expressions de l’autre. On ne souhaite point cela en les lisant; car chacun d’eux s’exprime dans les termes les plus assortis au caractĂšre de ses sentiments et de ses idĂ©es ce qui est la vĂ©ritable marque du gĂ©nie. Ceux qui n’ont que de l’esprit empruntent nĂ©cessairement toutes sortes de tours et d’expressions ils n ont pas un caractĂšre distinctif. SUR LA BRUYÈRE. Il n’y a presque point de tour dans l’éloquence qu’on ne trouve dans La BruyĂšre; et si on y dĂ©sire quelque chose, ce ne sont pas certainement les expressions, qui sont d’une force infinie et toujours les plus propres et les plus prĂ©cises qu’on puisse employer. Peu de gens l’ont comptĂ© parmi les orateurs, parce qu’il n’y a pas une suite sensible dans ses CaractĂšres. Nous faisons trop peu d’attention Ă  la perfectiondeses fragments, 342 VAUVENARGUES. qui contiennent souvent plus de matiĂšre que de longs discours, plus de proportion et plus d’art. On remarque dans tout son ouvrage un esprit juste, Ă©levĂ©, nerveux, pathĂ©tique, Ă©galement capable de rĂ©flexion et de sentiment, et douĂ© avec avantage de cette invention qui distingue la main des maĂźtres et qui caractĂ©rise le gĂ©nie. Personne n’a peint les dĂ©tails avec plus de feu, plus de force, plus d’imagination dans l’expression, qu’on n’en voit dans ses CaractĂšres. Il est vrai qu’on n’y trouve pas aussi souvent que dans les Ă©crits de Bossuet et de Pascal de ces traits qui caractĂ©risent une passion ou les vices d’un particulier, mais le genre humain. Ses portraits les plus Ă©j^vĂ©s ne sont jamais aussi grands que ceux de FĂ©nelon et de Bossuet ce qui vient en grande partie de la diffĂ©rence des genres qu’il a traitĂ©s. La BruyĂšre a cru, ce me semble , qu’on ne pouvait peindre les hommes assez petits; et il s’est bien plus attachĂ© Ă  relever leurs ridicules que leui force. Je crois qu’il est permis de prĂ©sumer qu’il n’avait ni l’élĂ©vation, ni la sagacitĂ©, ni la profondeur de quelques esprits du premier ordre ; mais on ne lui peut disputer sans injustice une forte imagination, un caractĂšre vĂ©ritablement original et un gĂ©nie crĂ©ateur. TABLE LA ROCHEFOUCAULD. Page. Notice 9ur le caractĂšre et les Ă©crits du duc de La Rochefoucauld. . . ni Avis de l’éditeur. I Portrait du duc de La Rochefoucauld, fait par lui-mĂȘme. 3 Portrait du duc de La Rochefoucauld, par le cardinal de Retz. . . 9 Jugement sur les Sentences et Maximes morales, par madame de La Fayette. * 0 Avis au lecteur de l’édition de 1665 12 Avis au lecteur de l’édition de 1666 . 14 RÉFLEXIONS OU SENTENCES ET MAXIMES MORALES. 15 Premier supplĂ©ment. 80 Second supplĂ©ment PensĂ©es tirĂ©es des lettres manuscrites qui se trouvent Ă  la BibliothĂšque du Roi. .. 90 TroisiĂšme RÉFLEXIONS DIVERSES. 97 De la Confiance. . De Sa DiffĂ©rence des Des De la SociĂ©tĂ©. *03 De la Du De l’Air et des 2 MONTESQUIEU. PensĂ©es diverses. 117 Portrait de Montesquieu par lui-mĂȘme. ib. Des Des Modernes. . . . ,.126 Des grands hommes de De la Des Des Anglais et des Français. ib. VariĂ©tĂ©s. 133 Notes sur l’ VAUVENARGUES. Notice sur la vie et les Ă©crits de Discours Introduction a la connaissance de l’esphit Livre premier. — De l’esprit en gĂ©nĂ©ral. ib. Imagination, RĂ©flexion, 344 TABLE. Pajc- FĂ©conditĂ©..173 PĂ©nĂ©tration... 174 De la Justesse, de la NettetĂ©, du Du Bon Sens. ..176 De la Profondeur..177 De la DĂ©licatesse, de la Finesse, et de la Force..178 De l’Étendue de l’ Des Saillies. ...... ib. Du Du Langage et de l'Éloquence..183 De l’ Du GĂ©nie et de l’Esprit.. 186 Du Du SĂ©rieux..189 Du De la PrĂ©sence d’esprit. ib. DelĂ  Distraction. 191 De l’Esprit du jeu. ib. Livre deuxiĂšme. — Des Ie la GaietĂ©, de la Joie, de la De l’Amour-propre et de l’Amour de nous-mĂȘme. ib. De l’ De l'Amour du monde. ..197 Sur l’Amour de la De l’Amour des sciences et des lettres. ib. De l’Avarice. . . . ..200 De la Passion du jeu. ib. De la Passion des De l'Amour paternel..202 De l’Amour filial et fraternel.*6. De l'Amour qu’on a pour les De l'AmitiĂ©. ib . De l’ De la De la PitiĂ©..207 De la Haine. ib. De l'Estime, du Respect, et du De l'Amour des objets sensibles..211 Des Passions en gĂ©nĂ©ral. ib. Livre troisiĂšme. — Du Bien et du Mal De la Grandeur d’ñme..218 Du Du Bon et du Conseils k un jeune homme. — Sur les consĂ©quences de la conduite. . . 224 Sur ce que les femmes appellent un homme Ne pas se laisser dĂ©courager par le sentiment de ses faiblesses. . . . 226 Sur le Bien de la familiaritĂ©. ib. Sur les Moyens de vivre en paix avec les Sur une maxime du cardinal de Sur l'empressement des hommes Ă  se rechercher et leur facilitĂ© Ă  se dĂ©goĂ»ter. .. 229 TABLE. Pages Sur le mĂ©pris des petites Aimer les passions nobles. . . ib. Quand il faut sortir de sa sphĂšre.. ..232 Du faux Jugement que l’on porte des choses. ..233 RĂ©flexions et maximes.,... 233 Sur la VĂ©ritĂ© et l’Éloquence.. . . . 277 PensĂ©es diverses.. . . 278 RĂ©flexions critiques sur quelques poetes. — La Fontaine.>08 MoliĂšre. .311 Corneille et \ B. Rousseau.. . . . . 326 Quinault. ....331 Sur quelques ouvrages de Voltaire. . . 335 Fragments. — Bossuet » Pascal, Sur la BruyĂšre.. . 34 1 ». ^.-> _ ^ - ; ssRĂŠfcs ^ .-> r * ‱ - - - ‱""~ - Z -^>''^v ^Ccoaaia^^^S? ^ - _ ‱. „ ^a^o-Ă  k ^-? Ai*ℱ AAArcrV \i r* A f^^r^Qr } Arw'/''''^^ " / ' -. -v ^r' A” r ~A_ 1 .»' . r ^rv V v-\rw A' - ' .Q r, A. , ' , 'AnVA^C ^''\ f ,A fl’-' -A Ata - ĂŽl _ A_ kj r ^n^ĂźSĂąa -Ă  ^ - s ?->., ‱; ~a'-\* a - 151 - T ' AA '^ A *%*vsm. \A » >sÂŁtoĂź58i^» -?f? »ÿ^^^S8S!^MS ĂąS gSS"gP 3 ÂŁPW*8*fĂ«3gS^»8 s .'/WW''^»''-"''f'Pr-;.Ofr>A. -n S»PSï»»» I ^ x ^ / ^ÀaÂÀ " rA ,.^;^^^ Ă Ăą^ & .ĂźflĂźiĂ Ăąi' ^ - A A A jn? * '^/V ^aaa *’ A ’ v r w^ 7 ^^a^»ri»' v ['AajAAĂąi.a-' r*TW! w&m **AĂź2t SA&a ' Aft'i. LAKO a av; Si Ïü^ ^agsl i *c***k > s ?^ w *wv!S 3 * ,*V^f S§§ Sa&sÏÏjg a ^W> li l^f-y^/vv 7 T ÎÎÔfiMĂą^ '’PÏVAaa'J '/VV* ;^Ă L "rAA'.r\^ji VVv/V\ '^A 'AA.? mm JÉÜSB. &$r* ‱aiifW mw. ? eV ik% JSÉ&?! Sw^feft ♩8s- ,v-' 35&ÂŁ IftSĂ S

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Le narrateur Ă©voque les souvenirs de son enfance Ă  Alger. Pendant des semaines, l'Ă©tĂ© et ses sujets se traĂźnaient ainsi sous le ciel lourd, moite et torride, jusqu'Ă  ce que fĂ»t oubliĂ© jusqu'au souvenir des fraĂźcheurs et des eaux de l'hiver, comme si le monde n'avait jamais connu le vent, ni la neige, ni les eaux lĂ©gĂšres, et que depuis la crĂ©ation jusqu'Ă  ce jour de septembre il n'ait Ă©tĂ© que cet Ă©norme minĂ©ral sec creusĂ© de galeries surchauffĂ©es, oĂč s'activaient lentement, un peu hagards, le regard fixe, des ĂȘtres couverts de poussiĂšre et de sueur. Et puis, d'un coup, le ciel contractĂ© sur lui-mĂȘme jusqu'Ă  l'extrĂȘme tension s'ouvrait en deux. La premiĂšre pluie de septembre, violente, gĂ©nĂ©reuse, inondait la ville. Toutes les rues du quartier se mettaient Ă  luire, en mĂȘme temps que les feuilles vernissĂ©es des ficus, les fils Ă©lectriques et les rails du tramway. Par-dessus les collines qui dominaient la ville, une odeur de terre mouillĂ©e venait des champs plus lointains, apporter aux prisonniers de l'Ă©tĂ© un message d'espace et de libertĂ©. Alors les enfants se jetaient dans la rue, couraient sous la pluie dans leurs vĂȘtements lĂ©gers et pataugeaient avec bonheur dans les gros ruisseaux bouillonnants de la rue, plantĂ©s en rond dans les grosses flaques, se tenant aux Ă©paules, le visage plein de cris et de rires, renversĂ©s vers la pluie incessante, foulaient en cadence la nouvelle vendange pour en faire jaillir une eau sale plus grisante que le vin. A. CAMUS, Le Premier Homme , 1959, publiĂ© en 1994 A - QUESTIONS D'OBSERVATION 1. Etudiez les oppositions lexicales dans la premiĂšre phrase. 2. Justifiez le temps de "s'ouvrait" dans la phrase "Et puis, d'un coup, ...s'ouvrait en deux". 3. Dans le passage "La premiĂšre pluie de septembre [...] plus grisante que le vin", quels sont les sens sollicitĂ©s, par "la premiĂšre pluie de septembre" ? B - QUESTIONS D'ANALYSE, D'INTERPRETATION OU DE COMMENTAIRE 1. Quels sont les pouvoirs de l'eau suggĂ©rĂ©s par la description que fait Camus ? 2. En vous fondant sur l'ensemble du texte, commentez l'expression "apporter aux prisonniers de l'Ă©tĂ© un message d'espace et de libertĂ©".

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